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12/06/2018 | FRANCE | N°16PA03592

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 12 juin 2018, 16PA03592


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...Truffaut a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler la délibération du 9 avril 2015 par laquelle le conseil municipal de la commune d'Arcueil a accordé la protection fonctionnelle au maire de la commune pour l'introduction d'une procédure pénale pour diffamation.

Par un jugement n° 1504439 du 5 octobre 2016, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour:

Par une requête, enregistrée le 2 décembre 2016, M. Truffaut, représenté p

ar Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 octobre 2016 du Tribunal admin...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...Truffaut a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler la délibération du 9 avril 2015 par laquelle le conseil municipal de la commune d'Arcueil a accordé la protection fonctionnelle au maire de la commune pour l'introduction d'une procédure pénale pour diffamation.

Par un jugement n° 1504439 du 5 octobre 2016, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour:

Par une requête, enregistrée le 2 décembre 2016, M. Truffaut, représenté par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 octobre 2016 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la délibération du 9 avril 2015 par laquelle le conseil municipal de la commune d'Arcueil a accordé la protection fonctionnelle au maire de la commune ;

3°) d'enjoindre au maire de la commune d'Arcueil de restituer les sommes perçues ;

4°) de mettre à la charge de la commune d'Arcueil le versement de la somme de 600 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la somme de 500 euros sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ;

5°) " d'ordonner la publication d'un communiqué judiciaire ".

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier ; en effet, il pourrait avoir été adopté en méconnaissance des garanties d'impartialité prévues par les stipulations de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la délibération a été prise en méconnaissance de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales ; la notice explicative de synthèse était insuffisamment complète pour se prononcer ;

- c'est à tort que le Tribunal administratif de Melun s'est fondé sur les dispositions de la loi du 13 juillet 1983 et sur les travaux préparatoires au vote de la loi du 27 février 2002 ;

- l'article L. 2123-35 du code général des collectivités territoriales n'est pas applicable aux cas de diffamation ;

- les propos qu'il a tenus lors du conseil municipal du 15 janvier 2015 s'inscrivent dans un débat d'intérêt général, et ne peuvent en conséquence être qualifiés de diffamatoires ; il a d'ailleurs agi en tant que " lanceur d'alerte " ;

- le maire de la commune d'Arcueil a commis une faute personnelle ; il a agi dans le seul objectif de faire obstacle à la libre expression de l'opposition ;

- l'action en diffamation intentée par le maire de la commune d'Arcueil n'est justifiée par aucun intérêt communal ;

- la délibération méconnait le principe d'égalité devant la justice dès lors qu'elle octroie au maire davantage de moyens pour se défendre lors de son procès, que les élus de l'opposition qui ne peuvent obtenir aisément la protection fonctionnelle ;

- elle a été adoptée en méconnaissance de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales ; le maire a participé aux débats lors du conseil municipal du 9 avril 2015 et a influencé les votes ;

- elle est entachée d'un détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2017, la commune d'Arcueil, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. Truffaut au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de première instance était irrecevable dès lors que M. Truffaut n'a pas produit la décision attaquée ;

- les moyens soulevés par M. Truffaut ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 24 juillet 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 25 août 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet,

- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,

- et les observations de Me C...pour la commune d'Arcueil.

1. Considérant que, par une délibération du 9 avril 2015, le conseil municipal de la commune d'Arcueil a accordé la protection fonctionnelle à M. D..., maire de la commune, pour la prise en charge des frais exposés dans le cadre d'une instance pénale pour diffamation engagée à l'encontre de M. Truffaut, conseiller municipal ; que, par un jugement du 5 octobre 2016, le Tribunal administratif de Melun a rejeté la demande de M. Truffaut tendant à l'annulation de cette délibération ; que M. Truffaut fait appel de ce jugement ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant qu'en se bornant à faire état de sa qualité d'élu d'opposition, M. Truffaut n'établit pas que les premiers juges auraient fait preuve de partialité en rejetant sa demande ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ; que le bien-fondé du jugement est en tout état de cause sans incidence sur sa régularité ;

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal. " ; qu'aux termes de son article L. 2121-13 : " Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération. " ; qu'il résulte de ces dispositions que, dans les communes de 3 500 habitants et plus, la convocation aux réunions du conseil municipal doit être accompagnée d'une note explicative de synthèse portant sur chacun des points de l'ordre du jour ; que cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l'importance des affaires, doit permettre aux conseillers municipaux de connaître le contexte et de comprendre les motifs de fait et de droit ainsi que les implications des mesures envisagées ; qu'elle n'impose pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises ;

4. Considérant qu'en l'espèce, la note explicative de synthèse, dont il n'est pas argué qu'elle ne serait pas parvenue aux conseillers municipaux dans les délais prévus par les dispositions de l'article L. 2121-13 précitées, mentionnait les faits à l'origine de la demande présentée par le maire de la commune, et précisait qu'elle devait avoir pour objet d'assurer sa protection fonctionnelle dans le cadre de la procédure pénale intentée par lui en qualité de maire de la commune, contre M. Truffaut ; qu'ainsi, alors même que les propos litigieux tenus par M. Truffaut lors du conseil municipal du 15 janvier 2015 n'étaient pas reproduits dans cette note, les conseillers municipaux étaient suffisamment informés pour comprendre les motifs de la mesure envisagée et pour en apprécier les conséquences ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées ci-dessus des articles L. 2121-12 et L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales doit être écarté ;

5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 2123-35 du code général des collectivités territoriales : " Le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la commune conformément aux règles fixées par le code pénal, les lois spéciales et le présent code./ La commune est tenue de protéger le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation contre les violences, menaces ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion ou du fait de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté./ (...) " ;

6. Considérant que lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité publique dont il dépend de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle, et, à moins qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l'objet ; que ce principe général du droit a d'ailleurs été expressément réaffirmé par la loi par les articles L. 2123-34, L. 2123-35, L. 3123-28, L. 3123-29, L. 4135-28 et L. 4135-29 du code général des collectivités territoriales, s'agissant des exécutifs des collectivités territoriales y compris en cas de diffamation ; que cette protection s'applique à tous les agents publics, quel que soit le mode d'accès à leurs fonctions ; que cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis ; que la mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre ; qu'il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce ; que par suite le conseil municipal a pu légalement, en application de ce principe et des dispositions de l'article L. 2123-35 du code général des collectivités territoriales, accorder au maire le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le cadre d'une instance pénale, quand bien même celle-ci concernera une action en diffamation ;

8. Considérant, en troisième lieu, que, si M. Truffaut conteste le caractère diffamatoire des propos qu'il a tenus au cours de la séance du conseil municipal du 15 janvier 2015, qui ont motivé l'engagement par le maire d'une instance pénale à son encontre et se prévaut de sa qualité de " lanceur d'alertes ", il ne ressort pas des pièces du dossier que cette action en justice aurait été manifestement dépourvue de toute chance de succès, ce qui aurait pu conduire la commune à refuser à son maire le bénéfice de la protection fonctionnelle pour un motif d'intérêt général ; que M. Truffaut a d'ailleurs été condamné pour diffamation à raison de ces propos par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 12 mai 2016, et que son pourvoi en cassation n'a pas été admis ;

9. Considérant, en quatrième lieu, qu'en soutenant, sans d'ailleurs l'établir, que le maire de la commune d'Arcueil aurait décidé de le poursuivre pour diffamation dans le but de " bâillonner " l'opposition, M. Truffaut ne démontre pas que le maire aurait décidé d'engager cette action pénale à cette fin et aurait ainsi commis une faute personnelle excluant que lui soit accordé le bénéfice de la protection fonctionnelle ; que par ailleurs, le détournement de pouvoir également allégué n'est pas établi ; que ces moyens doivent donc être écartés ;

10. Considérant, en cinquième lieu, que l'article L. 2123-35 du code général des collectivités territoriales ne subordonne pas l'octroi de la protection fonctionnelle à la justification d'un intérêt communal ; que, dès lors, le moyen tiré de l'absence d'intérêt communal est inopérant ;

11. Considérant, en sixième lieu, que, M. Truffaut soutient que la délibération octroyant la protection fonctionnelle au maire de la commune d'Arcueil aurait été adoptée en méconnaissance du principe d'égalité devant la justice puisqu'elle octroie au maire des moyens pour se défendre dans le cadre du procès en diffamation, plus importants que ceux d'un élu de l'opposition ; que toutefois, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que des régimes distincts soient appliqués à des élus lorsqu'il existe une différence de situation résultant de la nature et des conditions d'exercice de leurs fonctions ; que le moyen doit être écarté ;

12. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales : " Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l'affaire qui en fait l'objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires " ;

13. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le maire, s'il a présidé le conseil municipal du 9 avril 2015, n'était pas le rapporteur de la délibération et n'a pas pris part au vote ; qu'il ne ressort pas davantage des pièces du dossier qu'il aurait exercé une influence sur le vote de la délibération lui reconnaissant le bénéfice de la protection fonctionnelle ; qu'ainsi le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 2131-11 précité ne peut qu'être écarté ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par la commune d'Arcueil, que M. Truffaut n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant que les dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune d'Arcueil, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement des sommes que M. Truffaut demande au titre des dépens et des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. Truffaut le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune au titre des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. Truffaut est rejetée.

Article 2 : M. Truffaut versera à la commune d'Arcueil une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Arcueil et à M. A...Truffaut.

Délibéré après l'audience du 29 mai 2018, à laquelle siégeaient :

- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- M. Pagès, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 juin 2018.

Le rapporteur,

J-C. NIOLLET

Le président,

O. FUCHS TAUGOURDEAU

Le greffier,

T. ROBERT

La République mande et ordonne préfet du Val-de-Marne en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16PA03592


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA03592
Date de la décision : 12/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

135-02-01-02-02-02 Collectivités territoriales. Commune. Organisation de la commune. Organes de la commune. Maire et adjoints. Statut du maire.


Composition du Tribunal
Président : Mme FUCHS TAUGOURDEAU
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: M. BAFFRAY
Avocat(s) : PICHON

Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-06-12;16pa03592 ?
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