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24/05/2018 | FRANCE | N°16PA02797,16PA02826

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 24 mai 2018, 16PA02797,16PA02826


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A...a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner le centre hospitalier de Coulommiers à lui verser la somme de 539 550 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2013 et la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices résultant des fautes commises lors du suivi postérieur à l'intervention chirurgicale réalisée le 17 novembre 2008. La caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne a présenté des conclusions en remboursement de se

s débours.

Par un jugement n° 1402502 du 30 juin 2016, le Tribunal administrati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A...a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner le centre hospitalier de Coulommiers à lui verser la somme de 539 550 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2013 et la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices résultant des fautes commises lors du suivi postérieur à l'intervention chirurgicale réalisée le 17 novembre 2008. La caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne a présenté des conclusions en remboursement de ses débours.

Par un jugement n° 1402502 du 30 juin 2016, le Tribunal administratif de Melun a condamné le centre hospitalier de Coulommiers à verser à M. A... la somme de 91 926 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2013 et de la capitalisation des intérêts à compter du 26 décembre 2014 puis à chaque échéance annuelle, mais a rejeté les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, enregistrée sous le n° 16PA02797 le 25 août 2016 et un mémoire enregistré le 19 octobre 2017, M. A..., représenté par MeC..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement n° 1402502 du 30 juin 2016 du Tribunal administratif de Melun en tant que, par ce jugement, celui-ci a limité à la somme de 91 926 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier de Coulommiers ;

2°) de porter à la somme de 560 183,46 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2013 et de la capitalisation des intérêts, le montant de l'indemnité due en réparation des préjudices résultant des fautes commises lors de son suivi post-opératoire ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Coulommiers la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance.

Il soutient que :

- la responsabilité du centre hospitalier de Coulommiers est engagée pour faute sur le fondement du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;

- l'assistance par tierce personne dont il a besoin nécessite l'allocation d'une somme de 46 226 euros ;

- la perte de gains professionnels et l'incidence professionnelle représentent une somme de 499 741,62 euros ;

- le déficit fonctionnel temporaire doit être indemnisé à hauteur de 8 307 euros ;

- les souffrances endurées, évaluées à 2 sur 7, justifient une indemnité de 4 000 euros ;

- son déficit fonctionnel permanent, évalué à 10 %, justifie une indemnité de 20 000 euros ;

- son préjudice esthétique permanent, évalué à 1,5 sur 7, justifie une indemnité de 2 500 euros ;

- son préjudice d'agrément justifie une indemnité de 5 000 euros ;

- il a exposé des frais pour être assisté par un médecin conseil lors des opérations d'expertise.

Par des mémoires, enregistrés les 24 août 2017 et 6 avril 2018, la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne, représentée par MeH..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement n° 1402502 du 30 juin 2016 du Tribunal administratif de Melun en tant que, par ce jugement, celui-ci a rejeté ses conclusions ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Coulommiers à lui verser la somme de 25 156,30 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2014 en remboursement de ses débours ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Coulommiers la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Coulommiers la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le Tribunal a jugé ses conclusions irrecevables, dès lors que la signataire du mémoire disposait d'une délégation de signature antérieure ;

- elle a pris en charge une somme de 25 156,30 euros au titre des frais hospitaliers, médicaux et pharmaceutiques exposés à raison de l'infection dont M. A... a été victime.

Par un mémoire en défense et en appel incident, enregistré le 2 octobre 2017, le centre hospitalier de Coulommiers, représenté par MeG..., conclut au rejet de la requête de M. A... et des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne et à la réduction du montant des indemnités allouées à M. A... par le jugement n° 1402502 du 30 juin 2016 du Tribunal administratif de Melun.

Il soutient que :

- c'est à tort que le Tribunal a indemnisé un besoin d'assistance par tierce personne, dès lors que celui-ci résulte autant de l'accident à l'origine de l'hospitalisation que de l'infection objet du litige ; qu'en tout état de cause, l'état de M. A... n'a nécessité une assistance que deux heures par jour ; qu'en outre, le taux horaire doit être fixé à 10 euros et ne doit pas être majoré au titre des congés, dès lors que l'aide a été assurée par un membre de la famille de M. A... ;

- l'indemnité accordée à M. A... par le Tribunal au titre de l'incidence professionnelle est excessive, dès lors que l'interruption de son activité professionnelle ne saurait être entièrement imputée aux complications infectieuses en cause ;

- l'indemnisation des souffrances endurées doit être fixée à 1 800 euros ;

- l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent doit être fixée à 10 000 euros ;

- l'indemnisation du préjudice esthétique doit être fixée à 1 000 euros ;

- M. A... n'apporte pas la preuve de l'existence d'un préjudice d'agrément ;

- les moyens soulevés par M. A... et par la caisse primaire d'assurance maladie ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 10 octobre 2017, la Caisse des dépôts et consignations, en sa qualité de gestionnaire de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, représentée par Me I..., demande que son intervention soit déclarée recevable et qu'il soit sursis à statuer sur l'indemnisation des postes de préjudice de M. A... soumis au recours des organismes sociaux jusqu'à ce qu'elle soit en mesure de produire sa créance.

Elle soutient qu'elle va être amenée à verser à M. A... une pension d'invalidité en application du décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la CNRACL mais que l'employeur de M. A... tarde à lui communiquer les éléments nécessaires à la liquidation de ladite pension.

II. Par une requête, enregistrée sous le n° 16PA02826 le 30 août 2016, et un mémoire enregistré le 6 avril 2018, la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne, représentée par MeH..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement n° 1402502 du 30 juin 2016 du Tribunal administratif de Melun en tant que, par ce jugement, celui-ci a rejeté ses conclusions ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Coulommiers à lui verser la somme de 25 156,30 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2014 en remboursement de ses débours ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Coulommiers la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Coulommiers la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le Tribunal a jugé ses conclusions irrecevables, dès lors que la signataire du mémoire disposait d'une délégation de signature antérieure ;

- elle a pris en charge une somme de 25 156,30 euros au titre des frais hospitaliers, médicaux et pharmaceutiques exposés à raison de l'infection dont M. A... a été victime.

Par des mémoires en défense et en appel incident, enregistrés les 2 et 20 octobre 2017, le centre hospitalier de Coulommiers, représenté par MeG..., conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne, au rejet des conclusions de M. A... et de la Caisse des dépôts et consignations et à la réduction du montant des indemnités allouées à M. A... par le jugement n° 1402502 du 30 juin 2016 du Tribunal administratif de Melun.

Il soutient que :

- c'est à tort que le Tribunal a indemnisé un besoin d'assistance par tierce personne, dès lors que celui-ci résulte autant de l'accident à l'origine de l'hospitalisation que de l'infection objet du litige ; qu'en tout état de cause, l'état de M. A... n'a nécessité une assistance que deux heures par jour ; qu'en outre, le taux horaire doit être fixé à 10 euros et ne doit pas être majoré au titre des congés, dès lors que l'aide a été assurée par un membre de la famille de M. A... ;

- l'indemnité accordée à M. A... par le Tribunal au titre de l'incidence professionnelle est excessive, dès lors que l'interruption de son activité professionnelle ne saurait être entièrement imputée aux complications infectieuses en cause ;

- l'indemnisation des souffrances endurées doit être fixée à 1 800 euros ;

- l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent doit être fixée à 10 000 euros ;

- l'indemnisation du préjudice esthétique doit être fixée à 1 000 euros ;

- M. A... n'apporte pas la preuve de l'existence d'un préjudice d'agrément ;

- les moyens soulevés par M. A... et par la caisse primaire d'assurance maladie ne sont pas fondés.

Par des mémoires, enregistrés les 11 et 19 octobre 2017, M. A..., représenté par Me C..., demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1402502 du 30 juin 2016 du Tribunal administratif de Melun en tant que, par ce jugement, celui-ci a limité à la somme de 91 926 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier de Coulommiers ;

2°) de porter à la somme de 560 183,46 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2013 et de la capitalisation des intérêts, le montant de l'indemnité due en réparation des préjudices résultant des fautes commises lors de son suivi post-opératoire ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Coulommiers la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance.

Il soutient que :

- la responsabilité du centre hospitalier de Coulommiers est engagée pour faute sur le fondement du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;

- l'assistance par tierce personne dont il a besoin nécessite l'allocation d'une somme de 46 226 euros ;

- la perte de gains professionnels et l'incidence professionnelle représentent une somme de 499 741,62 euros ;

- le déficit fonctionnel temporaire doit être indemnisé à hauteur de 8 307 euros ;

- les souffrances endurées, évaluées à 2 sur 7, justifient une indemnité de 4 000 euros ;

- son déficit fonctionnel permanent, évalué à 10 %, justifie une indemnité de 20 000 euros ;

- son préjudice esthétique permanent, évalué à 1,5 sur 7, justifie une indemnité de 2 500 euros ;

- son préjudice d'agrément justifie une indemnité de 5 000 euros ;

- il a exposé des frais pour être assisté par un médecin conseil lors des opérations d'expertise, pour un montant de 700 euros.

Par un mémoire enregistré le 11 octobre 2017, la Caisse des dépôts et consignations, en sa qualité de gestionnaire de la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, représentée par Me I..., demande que son intervention soit déclarée recevable et qu'il soit sursis à statuer sur l'indemnisation des postes de préjudice de M. A... soumis au recours des organismes sociaux jusqu'à ce qu'elle soit en mesure de produire sa créance.

Elle soutient qu'elle va être amenée à verser à M. A... une pension d'invalidité en application du décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la CNRACL mais que l'employeur de M. A... tarde à lui communiquer les éléments nécessaires à la liquidation de ladite pension.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de la sécurité sociale,

- l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959,

- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003,

- le décret n° 2007-173 du 7 février 2007,

- l'arrêté du 20 décembre 2017 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de MmeE...,

- et les conclusions de M. Sorin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes nos 16PA02797 et 16PA02826, présentées respectivement par M. A... et par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne, sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.

2. Le 16 novembre 2008 au soir, M. A..., alors âgé de 42 ans, a été victime d'une chute. Il a été admis au service des urgences du centre hospitalier de Coulommiers, où a été constatée une fracture luxation ouverte de la cheville droite avec exposition de la totalité du pilon tibial. Une intervention chirurgicale pour réduction de la luxation et ostéosynthèse du péroné a été réalisée en urgence. Une botte en résine avec une fenêtre du côté interne a été posée. M. A... a regagné son domicile le 22 novembre 2008 avec prescription de soins infirmiers. Il a été revu par le chirurgien à deux reprises. Lors du troisième rendez-vous, le 21 janvier 2009, le plâtre a été ouvert et le chirurgien a constaté une " cicatrice externe inflammatoire avec surinfection sur fil ". Un prélèvement bactériologique a révélé l'existence d'un staphylocoque aureus et d'un staphylocoque coagulase négatif, traités par un antibiotique. M. A... a regagné son domicile le jour même. Le 28 janvier 2009, l'infirmière qui le suivait a constaté l'aggravation de l'infection et a fait de nouveau hospitaliser M. A.... Les médecins ont alors constaté qu'il existait des signes évoquant une ostéo-arthrite. Des perfusions d'antibiotiques ont été prescrites, mais aucune intervention chirurgicale pour lavage articulaire n'a été réalisée. Un nouveau plâtre a été posé le 29 janvier 2009 avec, cette fois, des fenêtres aux côtés interne et externe. M. A... a regagné son domicile le 9 février 2009, où il a été pris en charge par le service d'hospitalisation à domicile pendant quarante-cinq jours. La cicatrisation a été acquise le 5 mars 2009 et les antibiotiques ont été arrêtés. La botte d'immobilisation a été enlevée le 12 mars 2009. La rééducation (comprenant deux cent quinze séances de kinésithérapie) s'est déroulée du 31 mars 2009 au 21 juillet 2011. M. A... souffre depuis lors d'une arthrose tibio-tarsienne, c'est-à-dire d'une atteinte dégénérative du cartilage articulaire de la cheville.

3. Par la requête enregistrée sous le n° 16PA02797, M. A... demande la réformation du jugement du 30 juin 2016 du Tribunal administratif de Melun en tant qu'il a limité à la somme de 91 926 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier de Coulommiers en réparation des préjudices subis. Il demande que cette somme soit portée à 560 183,46 euros. Par la requête enregistrée sous le n° 16PA02826, la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne demande la réformation de ce même jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions pour irrecevabilité. Elle demande la condamnation du centre hospitalier de Coulommiers à lui rembourser la somme de 25 156,30 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2014. Par des mémoires en appel incident, le centre hospitalier de Coulommiers demande la réduction du montant des indemnités allouées à M. A.... Enfin, la Caisse des dépôts et consignations demande qu'il soit sursis à statuer sur l'indemnisation de certains postes de préjudice.

I. Sur les conclusions à fin de sursis à statuer présentées par la Caisse des dépôts et consignations :

4. La Caisse des dépôts et consignations, en sa qualité de gestionnaire de la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), demande qu'il soit sursis à statuer sur l'indemnisation des postes de préjudice de M. A... soumis au recours des organismes sociaux jusqu'à ce qu'elle soit en mesure de produire sa créance. Elle fait valoir que M. A... a été déclaré inapte le 4 avril 2013 et qu'elle va en conséquence être amenée à lui verser une pension d'invalidité en application du décret susvisé du 26 décembre 2003, mais que l'employeur de M. A...tarde à lui communiquer les éléments nécessaires à la liquidation de ladite pension.

5. Toutefois, la Caisse des dépôts et consignations ne fait état d'aucune instruction du dossier de M. A... ni d'aucune démarche auprès de son employeur près de cinq ans après l'avis d'inaptitude émis le 4 avril 2013 par le comité médical départemental. L'affaire apparaît en outre en état d'être jugée. Dans ces conditions, les conclusions aux fins de sursis à statuer présentées par la Caisse des dépôts et consignations ne peuvent qu'être rejetées.

II. Sur la régularité du jugement :

6. Les caisses primaires d'assurance maladie constituent des organismes de droit privé. En vertu de l'article L. 122-1 du code de la sécurité sociale, le directeur d'une caisse primaire d'assurance maladie représente l'organisme en justice et décide des actions en justice à intenter au nom de celui-ci dans les matières concernant notamment ses rapports avec les établissements de santé. En vertu des articles R. 122-3 et D. 253-6, il peut déléguer une partie de ses pouvoirs ainsi que sa signature à un ou plusieurs agents de l'organisme. Ni ces dispositions ni aucun principe ne subordonnent l'entrée en vigueur d'une telle délégation à l'accomplissement d'une mesure de publicité.

7. Le Tribunal administratif de Melun a rejeté comme irrecevables les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne au motif qu'en réponse à la fin de non-recevoir soulevée par le centre hospitalier de Coulommiers, ladite caisse n'avait pas justifié que Mme B...F..., sa directrice de la santé et des affaires juridiques, signataire du mémoire daté du 30 avril 2014 par lequel elle présentait ses conclusions, avait reçu délégation pour ce faire. La caisse avait en effet produit un acte de délégation ne prenant effet que le 2 mars 2015.

8. Compte tenu, d'une part, du lien qu'établissent les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale entre la détermination des droits de la victime et celle des droits de la caisse d'assurance maladie à laquelle elle est affiliée et, d'autre part, de l'obligation qu'elles instituent d'appeler cette caisse dans la cause, en tout état de la procédure, afin de la mettre en mesure de rechercher le remboursement de ses débours par l'auteur de l'accident, l'appel régulièrement formé par la victime contre un jugement statuant sur sa demande et sur un recours subrogatoire présenté au nom de la caisse rouvre à cette dernière, si elle avait omis de le faire en première instance, la possibilité de justifier que les agents qui ont introduit ce recours étaient dûment habilités à cette fin.

9. En appel, la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne produit un acte du 17 juin 2013, prenant effet le jour-même, par lequel son directeur a consenti une délégation de pouvoir et de signature à Mme F..., notamment aux fins d'ester en justice au nom de la caisse. Mme F... était donc bien compétente pour signer le mémoire du 30 avril 2014 par lequel ladite caisse avait présenté ses conclusions devant le Tribunal. Par suite, le jugement du Tribunal administratif de Melun du 30 juin 2016 doit être annulé en tant qu'il a rejeté pour irrecevabilité les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne.

10. En conséquence, il y a lieu pour la Cour de se prononcer par la voie de l'évocation sur les conclusions présentées devant le Tribunal administratif par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les conclusions des autres parties.

III. Sur le bien fondé du jugement :

A. En ce qui concerne la responsabilité :

11. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 5 à 7 de leur jugement, d'ailleurs non contestés par les parties, de juger que la responsabilité du centre hospitalier de Coulommiers est engagée sur le fondement du premier et du second alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique à raison tant de l'infection nosocomiale contractée par M. A... que de la prise en charge fautive du suivi post-opératoire de cette infection, qui sont à l'origine de la destruction rapide de l'articulation tibio-tarsienne de la cheville droite de l'intéressé.

B. En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :

Quant à l'assistance par tierce personne :

12. Il résulte de l'instruction, et particulièrement du rapport d'expertise ordonné par le Tribunal en référé, que si l'évolution de la cheville de M. A... avait été normale, celui-ci aurait été autonome six mois après son accident, soit le 16 mai 2009, date à laquelle toute assistance par tierce personne aurait dû prendre fin. Or, il résulte de l'instruction que M. A... a eu besoin de l'aide d'une tierce personne postérieurement à cette date pour faire ses courses, préparer ses repas et se rendre à ses séances de kinésithérapie environ trois fois par semaine, jusqu'à la consolidation de son état le 21 juillet 2011 (date de la fin de sa rééducation), soit pendant 796 jours. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que M. A... aurait eu besoin de l'assistance d'une tierce personne postérieurement au 21 juillet 2011. Ainsi que le fait valoir le centre hospitalier de Coulommiers par la voie de l'appel incident, cette aide doit être évaluée à une moyenne de deux heures par jour. Elle doit par ailleurs être indemnisée sur la base d'un taux horaire de 14 euros, déterminé en tenant compte du salaire minimum moyen augmenté des charges sociales, soit un total de 22 288 euros. La somme de 46 226 euros accordée à ce titre par le Tribunal doit donc être ramenée à 22 288 euros.

Quant à la perte de gains professionnels :

13. Il résulte de l'instruction qu'au moment de son accident, le 16 novembre 2008, M. A..., infirmier au centre hospitalier de Coulommiers, se trouvait en arrêt de travail pour maladie depuis le 15 octobre 2007. Il avait épuisé ses droits à maladie ordinaire depuis le 14 octobre 2008 et était placé en disponibilité d'office. Il percevait l'équivalent d'un demi traitement, qu'il a continué à percevoir au moins jusqu'à la fin de l'année 2013. M. A... soutient qu'en l'absence de faute, il aurait pu reprendre son emploi d'infirmier à l'issue de son placement en disponibilité d'office, qui devait intervenir le 14 avril 2009. Devant le Tribunal, le centre hospitalier de Coulommiers a fait valoir l'absence de lien de causalité entre les fautes commises et les pertes de revenus alléguées en se prévalant de ce que seul l'état antérieur de M. A... était à l'origine de ses arrêts de travail. Le Tribunal a rejeté la demande d'indemnisation de ce préjudice. Or, M. A... n'a produit, que ce soit en première instance ou en appel, aucun élément permettant de savoir si les raisons médicales pour lesquelles il se trouvait en arrêt de travail depuis plus d'un an à la date de son accident lui auraient permis de reprendre son emploi d'infirmier en avril 2009. Il ressort en outre de l'expertise que M. A... souffrait d'alcoolisme, d'obésité et d'hypertension artérielle et était porteur du virus de l'hépatite C. Ainsi, le lien de causalité entre les pertes de revenus alléguées et les fautes commises par le centre hospitalier de Coulommiers n'est pas établi. M. A... n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal a rejeté sa demande d'indemnisation de ce préjudice.

Quant à l'incidence professionnelle :

14. Il résulte de l'instruction, et particulièrement du rapport d'expertise, que l'arthrose de la cheville droite dont souffre M. A... limite son périmètre de marche à environ 200 mètres, ainsi que la station debout. Les fautes commises par le centre hospitalier de Coulommiers ont donc restreint les capacités physiques de M. A.... Elles ont, par suite, mis fin à toute possibilité de reprendre un jour son métier d'infirmier et ont, plus généralement, réduit ses chances de retrouver un emploi. Il sera fait une juste appréciation de l'incidence professionnelle des fautes commises par le centre hospitalier de Coulommiers en ramenant la somme de 25 000 euros allouée à ce titre par le Tribunal à la somme de 5 000 euros.

Quant aux frais divers :

15. M. A... justifie du paiement de frais d'honoraires d'un montant total de 1 500 euros au docteur Jacques Rapoport qui l'a assisté dans la procédure d'expertise ordonnée en référé par le Tribunal administratif de Melun. Il peut donc prétendre au remboursement de cette somme par le centre hospitalier de Coulommiers.

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

16. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que la gêne fonctionnelle subie par M. A... imputable aux fautes commises par le centre hospitalier de Coulommiers a été totale du 28 janvier au 5 mars 2009, partielle à hauteur de 75 % du 6 au 31 mars 2009 et partielle à hauteur de 33 % du 1er avril 2009 au 21 juillet 2011. Les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 4 500 euros.

Quant aux souffrances endurées :

17. Il résulte de l'instruction que les premiers juges ont fait une juste appréciation des souffrances endurées par M. A..., évaluées à 2 sur 7 par l'expert, en lui allouant la somme de 2 000 euros à ce titre.

Quant au déficit fonctionnel permanent :

18. Il résulte de l'instruction, et particulièrement du rapport d'expertise, que M. A..., qui était âgé de 45 ans à la date de consolidation de son état, reste atteint d'un déficit fonctionnel permanent de 20 % à raison de l'état de sa cheville, dont la moitié est imputable aux fautes commises par le centre hospitalier de Coulommiers. Dans ces conditions, il y a lieu de lui accorder une somme de 15 000 euros en réparation de ce préjudice. La somme de 12 000 euros accordée à ce titre par le Tribunal doit donc être portée à 15 000 euros.

Quant au préjudice esthétique :

19. Il résulte de l'instruction que les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice esthétique permanent subi par M. A..., évalué à 1,5 sur 7 par l'expert, en lui allouant la somme de 1 200 euros à ce titre.

Quant au préjudice d'agrément :

20. Ainsi qu'il a été dit précédemment, l'arthrose de la cheville dont souffre M. A... l'empêche de se déplacer aisément. En revanche, M. A... n'apporte aucun commencement de preuve de ce qu'à la date de son accident il aurait pratiqué le rugby, le jogging et le moto cross comme il l'a déclaré à l'expert. Les premiers juges ont donc fait une juste appréciation du préjudice d'agrément subi par M. A... en lui accordant à ce titre la somme de 1 000 euros.

IV. Sur le bien fondé des conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne :

21. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'attestation d'imputabilité établie le 27 mars 2018 par le médecin conseil du recours contre tiers de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne, que ladite caisse a droit au remboursement des frais hospitaliers qu'elle a exposés pour le compte de M. A... pour la période du 28 janvier au 17 mars 2009, correspondant à l'hospitalisation de M. A... au centre hospitalier de Coulommiers pour le traitement de l'infection, suivie de son hospitalisation à son domicile pour la même raison. La caisse a également droit au remboursement des frais médicaux, correspondant, d'une part, à plusieurs consultations médicales d'un spécialiste en orthopédie ainsi que de son médecin traitant nécessitées par l'infection au cours de la période du 11 février 2009 au 28 juin 2011 et, d'autre part, aux séances supplémentaires de kinésithérapie nécessitées par l'infection au cours de la période du 8 juillet 2009 au 28 juin 2011. Enfin, la caisse a droit au remboursement des frais pharmaceutiques, dont elle a produit un relevé détaillé, des frais d'appareillage et des frais de transports engagés en raison de l'infection dont a été victime M. A.... Par suite, la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne est bien fondée à demander la condamnation du centre hospitalier de Coulommiers à lui rembourser la totalité de ces débours qui s'élèvent à la somme de 25 156,30 euros.

V. Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

22. D'une part, les premiers juges ont assorti les sommes accordées à M. A... des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2013, date de réception par le centre hospitalier de Coulommiers de sa demande préalable, ainsi que la capitalisation des intérêts à compter du 26 décembre 2014, date à laquelle a été due au moins une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle ultérieure. Le jugement n'est pas contesté sur ce point.

23. D'autre part, la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne a droit aux intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de ses conclusions aux fins de remboursement de ses débours au greffe du Tribunal administratif de Melun le 7 mai 2014.

24. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de ramener à 52 488 euros le montant de l'indemnité due par le centre hospitalier de Coulommiers à M. A..., de condamner le centre hospitalier de Coulommiers à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne la somme de 25 156,30 euros assortie des intérêts à compter du 7 mai 2014 et de réformer en ce sens le jugement attaqué du Tribunal administratif de Melun. Par ailleurs, il y a lieu de rejeter les conclusions aux fins de sursis à statuer de la Caisse des dépôts et consignations.

VI. Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie tendant au versement de l'indemnité prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :

25. Il résulte des dispositions du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale que le montant de l'indemnité forfaitaire qu'elles instituent au profit des caisses d'assurance maladie en contrepartie des frais qu'elles engagent pour obtenir le remboursement de leurs débours est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un plafond dont le montant est révisé chaque année par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget. Il y a donc lieu d'allouer à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

VII. Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier de Coulommiers le versement de la somme que M. A... demande au titre des frais de l'instance. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Coulommiers le versement de la somme que la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 4 du jugement n° 1402502 du 30 juin 2016 du Tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier de Coulommiers est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne la somme de 25 156,30 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2014, ainsi que la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Article 3 : La somme de 91 926 euros que le centre hospitalier de Coulommiers a été condamné à verser à M. A... par le jugement du Tribunal administratif de Melun est ramenée à 52 488 euros.

Article 4 : L'article 1er du jugement n° 1402502 du 30 juin 2016 du Tribunal administratif de Melun est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne, au centre hospitalier de Coulommiers et à la Caisse des dépôts et consignations en sa qualité de gestionnaire de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales.

Délibéré après l'audience du 2 mai 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme E..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 24 mai 2018.

La rapporteure,

A. E...Le président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

C. POVSELa République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 16PA02797, 16PA02826


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA02797,16PA02826
Date de la décision : 24/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Interprétation

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice.

Responsabilité de la puissance publique - Recours ouverts aux débiteurs de l'indemnité - aux assureurs de la victime et aux caisses de sécurité sociale - Droits des caisses de sécurité sociale - Imputation des droits à remboursement de la caisse - Article L - 376-1 (ancien art - L - 397) du code de la sécurité sociale.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Aurélie BERNARD
Rapporteur public ?: M. SORIN
Avocat(s) : DELECROIX

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-05-24;16pa02797.16pa02826 ?
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