Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Média Bonheur a demandé au Conseil d'Etat d'annuler le refus opposé le 5 avril 2011 par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) à sa candidature à l'attribution d'une fréquence radioélectrique pour la diffusion d'un service radio au sein de la zone de Laval.
Par une décision n° 351109 du 23 septembre 2013, le Conseil d'Etat a fait droit à sa demande et a enjoint au CSA de réexaminer sa candidature dans un délai de deux mois.
La société Média Bonheur a demandé au Conseil d'Etat d'annuler le nouveau refus opposé à sa candidature par une décision du 16 octobre 2013 du CSA.
Par une décision n° 374185 du 27 juillet 2015, le Conseil d'Etat a annulé cette décision en tant qu'elle refuse d'organiser un appel à candidatures.
Par une décision n° 376022 du 27 juillet 2015, le Conseil d'Etat a attribué à la Cour administrative d'appel de Paris le jugement de la présente requête de la société Média Bonheur.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 4 mars 2014, 4 juin 2014, 3 juillet 2015, 27 janvier 2016 régularisé par un mémoire du 23 mars 2016 et 15 juin 2017, la société Média Bonheur, représentée par Me A..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de condamner l'Etat à lui verser, en réparation du préjudice subi du fait de la décision du CSA du 5 avril 2011 et du 16 octobre 2013 refusant de lui attribuer une fréquence dans la zone de Laval, la somme globale de 1 632 867 euros ou la somme de 1 716 euros par jour pour la période d'engagement de sa responsabilité, et subsidiairement, à lui verser une somme qui ne serait être inférieure à 498 euros par jour pour cette même période ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- compte tenu des deux motifs d'annulation de la décision du 5 avril 2011 retenu par le Conseil d'Etat, Radio Bonheur disposait d'une chance sérieuse d'obtenir une autorisation d'émission dans la zone de Laval ;
- le programme de Radio Bonheur répondait mieux que celui des candidats retenus à l'intérêt du public au regard des impératifs prioritaires de sauvegarde du pluralisme des courants d'expression socio-culturels, la diversification des opérateurs, la nécessité d'éviter les abus de position dominante ainsi que les pratiques entravant le libre exercice de la concurrence ;
- la responsabilité du fait de la faute du CSA ne saurait prendre fin, contrairement à ce que ce dernier soutient, le 16 octobre 2013 ou même le 15 octobre 2014, dès lors que c'est la décision du 5 avril 2011 rejetant la candidature de l'exposante qui est à l'origine de sa perte de chance sérieuse d'obtenir une autorisation d'exploiter une fréquence pour cinq ans dans la zone de Laval ; en conséquence, la période d'engagement de la responsabilité de l'Etat s'étend du 10 juillet 2011, point de départ des autorisations délivrées pour cinq ans aux services Fun Radio et RTL2 au 10 juillet 2016, mais également aux dix années suivantes compte tenu de la reconduction des autorisations par deux fois pour une période de cinq années, hors appel aux candidatures, prévue à l'article 28-1 de la loi du 30 septembre 1986 ;
- l'indemnité accordée devra inclure les rémunérations accordées à l'actionnaire de la société M. D...pour les exercices 2009 à 2013 qui ne constituent pas une charge fixe pour la SARL mais une modalité de distribution de ses bénéfices purement discrétionnaire ;
- le manque à gagner correspondant au bénéfice net que lui aurait procuré l'exploitation d'une fréquence à Laval ne peut être inférieur à 1 716 euros par jour sur la période de responsabilité et, subsidiairement à la somme de 498 euros par jour si on se réfère au budget prévisionnel pour 2011 à 2013 calculé dans le dossier de candidature ;
- ne saurait être déduit du montant de l'indemnité accordée le montant des charges de locaux et de rémunération d'un employé supplémentaire pour l'exploitation d'une fréquence à Laval, ainsi que le soutient le CSA, dès lors que ces charges n'auraient pas été exposées que dans l'hypothèse d'un taux d'audience élevé et uniquement en ce qui concerne l'embauche d'un animateur journaliste local ;
- l'estimation du manque à gagner doit se fonder sur l'indicateur d'audience cumulée et non sur la méthode exposée par le CSA de calcul des résultats d'audience sur la base du quart d'heure moyen.
Par des mémoires enregistrés le 2 février 2015, le 18 décembre 2015, 1er juin 2016, 28 juillet 2017, le CSA, représenté par la SCP Baraduc-Duhamel-Rameix, dans le dernier état de ses écritures, conclut à titre principal au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que le montant maximum d'indemnisation des préjudices résultant pour la société requérante de l'illégalité des décisions du CSA du 5 avril 2011 et 16 octobre 2013 soit limité à 33 637,50 euros, enfin, à la mise à la charge de la société Média Bonheur du versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de MmeC...,
- et les conclusions de M. Sorin, rapporteur public.
Considérant ce qui suit
1. Par une décision du 1er juin 2010, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a lancé un appel à candidatures en vue de l'attribution de fréquences radiophoniques dans le ressort du comité technique radiophonique de Caen. Par décision du 5 avril 2011, il a écarté la candidature de la société Média Bonheur pour la diffusion du service " Radio Bonheur " dans la zone de Laval. Par une décision n° 351109 du 23 septembre 2013, le Conseil d'Etat a annulé le refus opposé à la société Média Bonheur dans cette zone et a enjoint au CSA de réexaminer la candidature de cette dernière dans un délai de deux mois. Par une décision du 16 octobre 2013, le CSA a opposé un nouveau refus à la candidature de la société Média Bonheur, fondé sur l'absence de fréquence disponible dans cette zone. Par une décision n° 374185 du 27 juillet 2015 le Conseil d'Etat a rejeté les conclusions de la société Média Bonheur tendant à ce qu'il soit enjoint au CSA de lui attribuer une fréquence dès lors qu'aucune fréquence n'était plus disponible dans cette zone, a annulé la décision du 16 octobre 2013 en tant qu'elle refusait d'organiser un appel à candidatures et constaté qu'étaient devenues sans objet les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au CSA de lancer un appel à candidatures, dès lors qu'une telle procédure avait été engagée le 15 octobre 2014 pour lequel la société Média Bonheur devait être regardée comme candidate de plein droit. Par la présente requête, la société Media Bonheur demande la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des refus illégalement opposés à sa candidature dans la zone de Laval par les décisions des 5 avril 2011 et 16 octobre 2013.
Sur la responsabilité de l'Etat à raison de l'illégalité des décisions du 5 avril 2011 et du 16 octobre 2013 :
2. En premier lieu, pour annuler la décision du 5 avril 2011 du CSA rejetant la candidature de Radio Bonheur en catégorie B, le Conseil d'Etat a estimé, notamment, que le choix d'attribuer les trois fréquences disponibles dans la zone de Laval à des services relevant de la catégorie D, déjà représentée par neuf services, impliquait un déséquilibre entre catégories contraire à l'impératif de diversification des opérateurs et à l'objectif, fixé à l'avant-dernier alinéa de l'article 29 de la loi du 30 septembre 1986, de juste équilibre entre les réseaux nationaux de radiodiffusion et les services locaux, régionaux et thématiques indépendants et qu'ainsi, cette décision était entachée d'une erreur d'appréciation. Il résulte de l'instruction que le CSA a attribué les trois fréquences disponibles dans la zone de Laval à Fun Radio, Ouï FM et RTL 2 dont les programmations musicales s'adressent à des catégories de publics proches sinon semblables à celles visées par les services de radios déjà présents dans la zone, NRJ, Virgin Radio, Skyrock et Radio Nova, notamment en termes de tranches d'âge. En outre, deux des radios attributaires d'autorisations, Fun Radio et RTL2, appartiennent au groupe RTL, déjà présent dans la zone. Il n'est par ailleurs pas contesté que Radio Bonheur, radio musicale populaire, diffuse des titres de musique exclusivement française des années 1950 à 1989, des morceaux d'accordéon et des artistes peu connus et non diffusés par les autres radios déjà autorisées. Par suite, eu égard aux impératifs de sauvegarde du pluralisme des courants d'expression socioculturels et de diversification des opérateurs, la candidature de Radio Bonheur doit être regardée comme ayant disposé d'une chance sérieuse d'obtenir une autorisation et la société requérante est fondée à demander à être indemnisée de son manque à gagner à raison de son éviction irrégulière de la zone de Laval.
3. En second lieu, la société Media Bonheur soutient que l'illégalité de la décision du 16 octobre 2013 du CSA engage également la responsabilité de l'Etat. Il ressort, toutefois, de la décision du Conseil d'Etat que ce dernier a jugé que le CSA était, pour attribuer à Radio Bonheur une autorisation dans la zone de Laval à l'issue d'un nouvel examen de son projet et de celui des autres candidats qui avaient répondu à l'appel à candidatures ayant donné lieu à la décision annulée du 5 avril 2011, en situation de compétence liée dès lors qu'aucune fréquence ayant fait l'objet de l'appel à candidature ayant donné lieu à la décision annulée n'était disponible à la date de cette décision et qu'ainsi le CSA ne pouvait qu'opposer un refus à la demande de la SARL Média Bonheur. Par suite, une telle décision ne saurait, de ce chef, être de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Par la même décision, le Conseil d'Etat a considéré que la décision du 16 octobre 2013 du CSA, en tant qu'elle refusait de procéder à un nouvel appel à candidatures faute de fréquence disponible était, dès lors qu'il existait des fréquences disponibles à la date de cette décision dans la zone de Laval, illégale, et a constaté que le CSA avait lancé un appel à candidatures le 15 octobre 2014 pour lequel la société Média Bonheur devait être regardée comme candidate de plein droit. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, la société Média Bonheur n'apportant aucune précision à ce sujet, notamment quant à l'issue de ce nouvel appel à candidatures et les circonstances dans lesquelles il est intervenu et s'est déroulé, que la perte de chance de participer plus tôt à un nouvel appel à candidatures est à l'origine d'une perte de chance sérieuse d'exploitation pour la société Média Bonheur. Par suite, l'annulation de la décision du 16 octobre 2013 du CSA par le Conseil d'Etat n'est pas susceptible d'engager la responsabilité pour faute de l'Etat.
Sur le préjudice :
En ce qui concerne la période d'indemnisation :
4. D'une part, si le CSA soutient que la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée postérieurement au 15 octobre 2014, date du lancement d'un nouvel appel à candidatures auquel la requérante a été candidate de plein droit, la candidature de la société Média Bonheur n'est que la conséquence de son éviction illégale du précédent appel à candidature. D'autre part, la société Média Bonheur n'est pas, quant à elle, fondée à soutenir que la période de responsabilité de l'Etat devrait s'étendre au-delà du 10 juillet 2016 dès lors qu'à cette date, la reconduction de son autorisation hors appel aux candidatures, prévue à l'article 28-1 de la loi du 30 septembre 1986, aurait été soumise au respect des conditions que cet article édicte et ne pouvait en conséquence être regardée comme certaine. Compte tenu de l'ensemble de ce qui précède, la société Média Bonheur n'est fondée à solliciter l'indemnisation de son préjudice que pour la période pendant laquelle elle a été irrégulièrement privée d'exploiter une fréquence, soit à compter du 10 juillet 2011, point de départ des autorisations délivrées aux allocataires de ladite fréquence pour une durée de cinq ans, soit jusqu'au 10 juillet 2016.
En ce qui concerne le montant du préjudice indemnisable :
5. Il résulte de l'instruction que le bénéfice net attendu par la société Média Bonheur de l'exploitation d'une fréquence sur la zone de Laval sur une période 60 mois peut être évalué par référence au bénéfice annuel moyen réalisé pour les années 2011, 2012 et 2013, seules années pertinentes, soit 39 208 euros, somme qu'il convient de diviser par trois, qui est le nombre des fréquences exploitées par la société Média Bonheur au cours de ces années, soit une somme de 21 782 euros pour la période d'engagement de la responsabilité de l'Etat de cinq ans. Compte tenu des gains d'échelle sur la programmation qui est identique dans toutes les zones, il sera fait une juste appréciation du manque à gagner pour la requérante de l'exploitation d'une fréquence sur la zone de Laval entre le 10 juillet 2011 et le 10 juillet 2016 en lui allouant de ce chef une somme de 25 000 euros.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Média Bonheur, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le CSA demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à la société Média Bonheur sur le fondement de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à la société Média Bonheur une somme de 25 000 euros.
Article 2 : L'Etat versera à la société Média Bonheur une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Média Bonheur et les conclusions du CSA présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Média Bonheur et au Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Copie en sera adressée à la ministre de la culture.
Délibéré après l'audience du 22 mars 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- MmeC..., première conseillère,
- MmeB..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 24 mai 2018.
La rapporteure,
M. C...Le président,
J. LAPOUZADE Le greffier,
Y. HERBER
La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA03418