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09/05/2018 | FRANCE | N°16PA01999

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 09 mai 2018, 16PA01999


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...B...a demandé au Tribunal administratif de Paris :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande du 12 novembre 2014, par laquelle elle sollicitait la reconnaissance de faits de harcèlement moral, le versement d'une indemnité en réparation des préjudices subis, son inscription rétroactive au tableau d'avancement au grade de directeur du travail et son affectation sur un nouveau poste ;

2°) de prononcer son inscription au tableau d'avancement au grade de directeur du trav

ail, de manière rétroactive ;

3°) d'enjoindre à l'administration de l'affecter à u...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...B...a demandé au Tribunal administratif de Paris :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande du 12 novembre 2014, par laquelle elle sollicitait la reconnaissance de faits de harcèlement moral, le versement d'une indemnité en réparation des préjudices subis, son inscription rétroactive au tableau d'avancement au grade de directeur du travail et son affectation sur un nouveau poste ;

2°) de prononcer son inscription au tableau d'avancement au grade de directeur du travail, de manière rétroactive ;

3°) d'enjoindre à l'administration de l'affecter à un nouveau poste ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 100 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1501175/5-2 du 21 avril 2016, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à Mme B...la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, enjoint au ministre des affaires sociales de proposer à l'intéressée un poste correspondant à son grade dans un délai de trois mois et rejeté le surplus des demandes de

MmeB....

Procédure devant la Cour :

Par un recours et un mémoire complémentaire enregistrés les 21 juin et

21 septembre 2016 le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 21 avril 2016 en tant qu'il fait partiellement droit aux demandes de MmeB... ;

2°) de rejeter l'ensemble des demandes présentées par l'intéressée devant le tribunal.

Il soutient que :

- Mme B...n'a fait l'objet d'aucun harcèlement moral ; la mission qui lui avait été confiée avait simplement perdu de son objet ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, de nouvelles activités lui ont été confiées après la réorganisation qui en a résulté et le transfert à d'autres agents des dossiers qu'elle suivait ;

- au demeurant, l'intéressée n'a pas été empêchée dans ses démarches de recherche d'emploi ; celles-ci lui ont, au contraire, été facilitées ;

- c'est dès lors à tort que le tribunal a estimé que l'administration n'avait pas cherché, dans un délai raisonnable, à aider Mme B...à trouver un nouvel emploi ; pour ce motif, le tribunal a insuffisamment motivé son jugement et commis une erreur de fait.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 mai 2017, MmeB..., représentée par Me Aude-Rebière Lathoud (Selarl Callon Avocat et conseil) demande à la Cour de rejeter le recours du ministre, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, par la voie de l'appel incident, de porter à 30 000 euros l'indemnité due en réparation du préjudice moral subi, à titre principal, pour harcèlement moral, à titre subsidiaire, pour absence d'affectation, et d'enjoindre à l'administration, d'une part, de prononcer son inscription au tableau d'avancement au grade de directeur du travail de manière rétroactive, à compter de novembre 2014, d'autre part, de lui proposer un poste correspondant à son grade dans le délai de trois mois à compter de l'arrêt à intervenir.

Elle soutient que :

- elle a subi des agissements dont la multiplicité et la concomitance laissent incontestablement entrevoir la situation de harcèlement moral dont elle a été victime pendant plus d'un an et demi, avant son placement en congé de longue maladie ;

- elle aurait dû être inscrite au tableau d'avancement au grade de directeur du travail à compter de novembre 2014, dès lors que la très grande majorité de ses collègues a pu bénéficier de cette promotion ; elle a fait l'objet, à cet égard, d'un traitement discriminatoire ;

- les premiers juges n'ont tenu compte que de l'absence d'affectation, alors qu'il existe une multitude d'autres éléments relevant du harcèlement moral ;

- l'administration ne justifie à aucun moment des nouvelles propositions de postes correspondant à son grade qui lui auraient été faites.

Par une ordonnance du 22 mai 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au

30 juin 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 53-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligation des fonctionnaires ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brotons,

- les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public ;

- et les observations de MmeB....

1. Considérant que MmeB..., directrice adjointe du travail, a été nommée, le

1er mars 2013, chef du projet de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes à la direction générale de la cohésion sociale (D.G.C.S) au ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes ; que, par un courrier du 12 novembre 2014, elle a sollicité la reconnaissance de faits de harcèlement moral, le versement d'une indemnité en réparation des préjudices subis, son inscription rétroactive au tableau d'avancement et son affectation sur un nouveau poste ; que, faute de réponse à cette demande dans le délai de deux mois, elle a demandé au Tribunal administratif de Paris, à titre principal, de prononcer l'annulation de la décision implicite qui lui était ainsi opposée et la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 30 000 euros en réparation de ses préjudices ; que le ministre des affaires sociales relève appel du jugement n° 1501175/5-2 du 21 avril 2016 par lequel le Tribunal administratif de Paris, faisant partiellement droit à la demande de MmeB..., a condamné l'Etat à verser à l'intéressée la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et enjoint au ministre des affaires sociales de lui proposer, dans un délai de trois mois, un poste correspondant à son grade ;

Sur le recours du ministre :

2. Considérant que, pour condamner l'Etat, par le jugement attaqué, à verser à

Mme B...la somme de 5 000 euros, les premiers juges ont considéré, après avoir rappelé que, sous réserve de dispositions statutaires particulières, tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade, que Mme B...se trouvait privée d'affectation réelle depuis le mois d'avril 2014 et que cette absence d'affectation, qui constituait une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, avait généré un préjudice direct et certain dont l'intéressée était en droit d'obtenir réparation ; que le ministre fait valoir en appel que de nouvelles fonctions ont été proposées à Mme B...dès le 18 juillet 2014, puis à plusieurs reprises en 2015, lesdites fonctions ayant consisté en la réalisation d'études sur différents thèmes ; que, toutefois, il ne produit, ni en appel ni en première instance, aucun document à l'appui de ces allégations ; que, par ailleurs, le ministre n'a contesté à aucun moment que Mme B...avait été dépossédée de ses fonctions dès le mois d'avril 2014, à la suite d'une réorganisation du service ; que, s'il soutient que l'intéressée a été assistée par son administration dans ses démarches en vue de la recherche d'une nouvelle affectation, il ne produit aucun élément de nature à l'établir et se borne, au demeurant, à invoquer un entretien au cours duquel un " accompagnement " aurait été proposé à l'intéressée, pour la rédaction de son curriculum vitae ; que, dans ces conditions, le ministre des affaires sociales, qui ne justifie à aucun moment avoir proposé à MmeB..., dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris, qui a précisément indiqué, notamment au point 8 de son jugement, les motifs de droit et de fait sur lesquels il se fondait, a mis à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subis par

Mme B...du fait de son absence d'affectation ;

Sur l'appel incident de MmeB... :

3. Considérant en premier lieu que, comme l'a jugé à bon droit le tribunal, les conclusions présentées par Mme B...tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de prononcer son inscription au tableau d'avancement au grade de directeur du travail, avec effet rétroactif au mois de novembre 2014, ne sauraient, en tout état de cause, être accueillies, dès lors qu'en dehors des cas prévus aux articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, il n'appartient pas au juge administratif d'adresser des injonctions à l'administration ; qu'il est constant, à cet égard, que Mme B...n'a pas formé un recours contre le tableau d'avancement au grade de directeur du travail au titre de l'année 2015, établi le

12 novembre 2014 ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du

13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) " ; qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ;

5. Considérant que Mme B...se plaint d'avoir fait l'objet d'une mise à l'écart à compter du mois d'avril 2014, après le recrutement d'une stagiaire à laquelle ont été confiées les fonctions qu'elle exerçait depuis son recrutement en mars 2013 ; qu'elle indique avoir été dépossédée de ses fonctions, subissant de ce fait un désaveu préjudiciable à sa carrière, et soutient que sa hiérarchie s'est opposée à ses tentatives de recherche d'un nouvel emploi correspondant à son grade ; que, toutefois, les rares documents qu'elle produit au dossier ne sont pas de nature à faire présumer l'existence du harcèlement invoqué ; qu'en effet, la seule circonstance qu'il a été mis fin à sa mission à la suite d'une réorganisation du service, et qu'en conséquence elle n'a pas été rendue destinataire des courriels afférents aux réunions organisées dans le cadre de l'expérimentation à laquelle elle avait précédemment participé, ne suffisent pas à faire présumer l'existence d'une situation de harcèlement ; qu'il ressort d'ailleurs du dossier que la réorganisation du service à l'origine de la situation dont elle se plaint a été maintenue à la suite d'un changement dans sa hiérarchie ; que, de même, la circonstance qu'il lui a été indiqué dans un courriel du 19 janvier 2015 que, pour des raisons budgétaires, il n'avait pas été possible d'accepter sa demande de mise à disposition sur un poste auquel elle se portait candidate, ou la seule circonstance qu'elle n'a pas été inscrite au tableau d'avancement au grade de directeur du travail au titre de l'année 2015, ne suffisent pas à faire présumer l'existence de la situation de harcèlement qu'elle invoque ; que, par suite, Mme B...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges n'ont pas fait droit à sa demande présentée à ce titre ;

6. Considérant enfin, que si l'administration ne justifie par aucune pièce avoir proposé à MmeB..., à compter du mois d'avril 2014 et dans un délai raisonnable, une nouvelle affectation correspondant à son grade, et s'il ressort d'ailleurs des écritures produites par le ministre en première instance que la hiérarchie de Mme B...considérait qu'il appartenait à l'intéressée de " se trouver de nouvelles fonctions ", il ne résulte d'aucun élément du dossier qu'en fixant à 5 000 euros l'indemnité due en réparation du préjudice moral subi par

Mme B...en raison de l'absence prolongée de nouvelle affectation, les premiers juges auraient mal apprécié les faits de l'espèce ; que les conclusions de l'intéressée tendant à ce que cette indemnité soit augmentée doivent, dès lors, être rejetées ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Considérant que le présent arrêt n'implique aucune nouvelle mesure d'exécution, dès lors que les premiers juges ont enjoint au ministre des affaires sociales de proposer à

Mme B...un poste correspondant à son grade dans un délai de trois mois, l'intéressée étant dès lors en droit de demander l'exécution du jugement ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'accorder à

Mme B...une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre des affaires sociales et de la santé n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à Mme B...la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et lui a enjoint de proposer à l'intéressée un poste correspondant à son grade dans un délai de trois mois ; que le recours du ministre doit, dès lors être rejeté ; que doit également être rejeté l'appel incident présenté par Mme B...et qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais supportés par le défendeur dans la présente instance ;

DECIDE :

Article 1er : Le recours du ministre des affaires sociales et de la santé est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à Mme B...la somme de 1 500 euros en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : le surplus des conclusions présentées en appel par Mme B...est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des solidarités et de la santé et à Mme A...B....

Délibéré après l'audience du 11 avril 2018, à laquelle siégeaient :

Mme Brotons, président de chambre,

Mme Appèche, président assesseur,

Mme Jimenez, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 9 mai 2017.

Le président rapporteur,

I. BROTONSL'assesseur le plus ancien

S. APPECHE

Le greffier,

P. LIMMOIS

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16PA01999


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA01999
Date de la décision : 09/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Isabelle BROTONS
Rapporteur public ?: M. CHEYLAN
Avocat(s) : CAILLOCE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-05-09;16pa01999 ?
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