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24/04/2018 | FRANCE | N°14PA04078,17PA03773

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 24 avril 2018, 14PA04078,17PA03773


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...A...B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions par lesquelles le ministre des affaires sociales et de la santé et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ont rejeté ses demandes indemnitaires préalables tendant à ce qu'elle soit indemnisée des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la prise du médicament Médiator, de condamner solidairement l'Etat et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé

à lui verser une provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices, et d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...A...B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions par lesquelles le ministre des affaires sociales et de la santé et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ont rejeté ses demandes indemnitaires préalables tendant à ce qu'elle soit indemnisée des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la prise du médicament Médiator, de condamner solidairement l'Etat et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé à lui verser une provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices, et d'ordonner une expertise médicale ;

Par un jugement avant dire droit n° 1312473 du 7 août 2014, le tribunal administratif de Paris a déclaré l'Etat responsable des conséquences dommageables éventuelles pour Mme A...B...de l'absorption du Médiator à partir du 7 juillet 1999, prescrit une expertise et a rejeté la demande de provision.

Dans le dernier état de ses écritures, Mme A...B...a indiqué au tribunal qu'elle a accepté l'offre d'indemnisation proposée par les laboratoires Servier mais qu'elle maintenait ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice d'anxiété dont elle a été victime ; elle a demandé en conséquence au tribunal de condamner l'Etat à lui verser à ce titre la somme de 15 000 euros.

Par un jugement n° 1312473 du 10 octobre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté les demandes de Mme A...B....

Procédure devant la cour :

I) Par un recours enregistré le 26 septembre 2014 sous le n°14PA04078, le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement avant dire droit du 7 août 2014 ;

2°) de considérer à titre principal que la responsabilité de l'Etat n'est pas engagée et à titre subsidiaire que les fautes du laboratoire Servier sont de nature à exonérer l'Etat de toute responsabilité ;

3°) de rejeter les demandes de Mme A...B....

Le ministre soutient que :

- la responsabilité de l'Etat n'est pas engagée ;

- l'absence de toute collaboration entre l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et le laboratoire Servier exclut en droit la condamnation in solidum de l'Etat ;

- les pouvoirs de l'AFSSAPS ne lui permettaient pas de contrôler l'activité scientifique et commerciale du laboratoire Servier ;

- les manoeuvres du laboratoire Servier, exceptionnelles par leur durée et leur gravité, présentent le caractère d'une tromperie qui exonère l'Etat d'une éventuelle responsabilité.

Par un mémoire en défense et d'appel incident enregistré le 3 mars 2015, Mme C...A...B..., représentée par la société d'avocats Verdier et associés, demande à la cour :

1°) d'ordonner au magistrat instructeur du pôle santé publique du tribunal de grande instance de communiquer le rapport d'expertise versé au dossier le 20 décembre 2013 ;

2°) de confirmer le jugement avant dire droit du 7 août 2014 en tant qu'il a déclaré l'Etat responsable des conséquences dommageables de l'absorption du Médiator ;

3°) par la voie de l'appel incident, de dire que cette responsabilité est encourue à partir de l'autorisation de mise sur le marché du Médiator ou à titre subsidiaire à compter de 1994 et en toute hypothèse au plus tard au 10 mai 1995 ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser une provision de 15 000 euros ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- la responsabilité de l'Etat est engagée sur le fondement de l'article L. 793-1 du code de la santé publique à compter de la mise sur le marché du Médiator en 1974 ;

- à titre subsidiaire, elle est engagée à compter de 1994 ou de 1995, date à laquelle la toxicité de la norfenfluramise a été connue ;

- les documents médicaux qu'elle produit établissent le lien causal entre sa pathologie cardiaque et l'exposition au Médiator ;

- les troubles dont elle est affectée et le préjudice d'anxiété justifient l'octroi d'une provision de 15 000 euros.

Par des mémoires enregistrés le 21 aout 2015 et le 4 mars 2016, le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes conclut aux mêmes fins que la requête et demande à la cour de rejeter l'appel incident de Mme A...B....

Il soutient que :

- Mme A...B...ne peut prétendre cumuler l'indemnisation sollicitée de l'ONIAM et celle demandée à la cour ;

- elle ne peut davantage contester devant la juridiction administrative l'offre qui lui a été faite par les Laboratoires Servier ni cumuler les indemnisations recherchées par différentes voies de droit ;

- Mme A...B...n'ayant pas commencé à prendre le Médiator avant 1999, la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée avant cette date ;

- la toxicité du benflurex n'a pas été connue avant 1999 ;

- le préjudice d'anxiété, reconnu dans les cas d'exposition à l'amiante, n'est pas justifié dans le cas d'une valvulopathie dont les conséquences sont moindres.

Par deux mémoires enregistrés les 23 octobre 2015 et le 30 mai 2017, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé représentée par la société d'avocats Fischer, Tandeau, de Marsac, Sur et associés, puis par l'AARPI Chaber-Lastelle-Schmelck, demande à la cour :

1°) de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale ou à défaut, de se faire communiquer l'ensemble des pièces du dossier pénal ;

2°) d'infirmer le jugement n° 1312473 du 7 août 2014 en tant qu'il a déclaré l'Etat responsable des conséquences dommageables de l'absorption du Médiator ;

3°) de rejeter les demandes de Mme A...B....

Elle soutient que :

- le tribunal n'a pas répondu à sa demande de sursis à statuer ;

- l'Etat ne saurait être condamné pour des faits qui font l'objet d'une procédure pénale en cours sans qu'il soit porté atteinte à la présomption d'innocence ;

- Mme A...B..., qui n'a pas été exposée au Médiator avant 1999 ne justifie pas un intérêt à ce que la responsabilité de l'Etat soit engagée avant cette date ;

- le tribunal ne pouvait se prononcer sur le principe de la responsabilité avant d'avoir statué sur la causalité ;

- la causalité, qui n'est pas certaine, ne pouvait être supposée sur le fondement du rapport d'une expertise à laquelle l'Etat n'était pas associé et qui ne lui est pas opposable ;

- la saisine de l'ONIAM et celle du juge pénal par Mme A...B...font obstacle à une indemnisation dans le cadre de la présente procédure, ou à tout le moins à une double indemnisation ;

- les tromperies du laboratoire Servier font obstacle à l'engagement de la responsabilité de l'Etat ;

- en prononçant une condamnation solidaire de l'Etat et du laboratoire Servier, le tribunal a commis une erreur de droit ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat le 9 novembre 2016.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 décembre 2017.

II) Par une requête enregistrée le 11 décembre 2017 sous le n° 17PA03773, Mme A...B..., représentée par la société d'avocats Verdier et associés demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1312473 du 10 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice d'anxiété ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'existence d'un risque, même faible, est de nature à susciter une anxiété à l'origine de son préjudice ;

- le préjudice d'anxiété a été reconnu pour d'autres risques ;

- les informations diffusées par l'AFSSAPS sont insuffisantes et tardives ;

- dans le cas d'espèce le préjudice d'anxiété existe dès lors qu'elle a été exposée au Médiator.

Par un mémoire enregistré le 19 janvier 2018, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés ainsi que l'a jugé la cour dans une affaire identique (CAA Paris, 21 décembre 2017, Ministre de la santé c. Castella, 17PA00482).

La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 mars 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bernier,

- et les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public.

1. Considérant que Mme A...B...a pris du Mediator de manière intermittente en 1997, 1998 et 2000, puis de manière régulière de novembre 2007 à novembre 2009, date de la suspension de l'autorisation de mise sur le marché de ce médicament ; qu'elle a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé à l'indemniser du préjudice qu'elle estime subir du fait de son exposition au benfluorex, principe actif du Mediator ; que, par un jugement avant dire droit du 7 août 2014, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, jugé que seule la responsabilité de l'Etat, au nom duquel ont été prises les décisions du directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé relatives aux médicaments, pouvait être recherchée ; qu'il a, d'autre part, jugé que l'absence de suspension ou de retrait de l'autorisation de mise sur le marché du Mediator à compter de juillet 1999 revêtait le caractère d'une carence fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; qu'il a enfin prescrit une expertise ; que par un jugement du 10 octobre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté les demandes de Mme A...B..., qui ne portaient plus que sur l'indemnisation du préjudice d'anxiété, au motif que ce dernier n'était pas justifié ;

2. Considérant que le recours du ministre des affaires sociales et de la santé enregistré sous le n° 14PA04078 et la requête de Mme A...B...enregistrée sous le n° 17PA03773 portent sur le même litige, ont fait l'objet d'une instruction commune et sont en l'état d'être jugés ; que dès lors, il y a lieu de les joindre pour qu'ils fassent l'objet d'un seul arrêt ;

Sur la requête 17PA03773 :

3. Considérant que l'expertise prescrite par le jugement avant dire droit n'ayant pas eu lieu du fait de la requérante, la cour peut, pour apprécier le bien fondé de ses demandes, s'appuyer sur l'ensemble des éléments produits dans le cadre de l'instance et notamment sur le rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal d'instance de Nanterre à laquelle l'Etat n'a pas été associé mais qui pouvait être contradictoirement débattu dans le cadre de l'instance ;

4. Considérant que si l'hypertension artérielle pulmonaire est une affection sévère, le risque de développer cette pathologie à la suite d'une exposition au benfluorex peut être regardé, ainsi que le mentionnait l'information mise à la disposition des patients concernés par l'AFSSAPS, comme très faible ; qu'ainsi, le réseau français de l'hypertension artérielle pulmonaire sévère n'a identifié, entre 1999 et février 2012, que 129 cas d'hypertension pulmonaire associée à un antécédent d'exposition au benfluorex, quelle que soit la période de cette exposition ; qu'enfin, le risque de valvulopathie cardiaque, pathologie susceptible, lorsqu'elle est sévère, de rendre nécessaire une intervention chirurgicale, est faible et diminue rapidement dans les mois qui suivent l'arrêt de l'exposition au benfluorex ;

5. Considérant que s'il ressort des documents médicaux produits à l'instance que Mme A...B...présente une insuffisance aortique peu importante susceptible d'être liée au Médiator, cette cardiopathie ne provoque que des troubles physiques légers et appelle simplement un suivi régulier ; que s'il n'est pas contestable que la découverte du caractère dangereux du Médiator est susceptible d'avoir suscité chez la requérante des interrogations et des inquiétudes, Mme A...B...n'a pas fait état auprès des médecins qui l'ont examiné d'une angoisse particulière, laquelle ne ressort pas davantage des autres pièces du dossier ; qu'elle se prévaut seulement, des données générales relatives au risque de développement d'une hypertension artérielle pulmonaire et du retentissement médiatique auquel a donné lieu, à partir du milieu de l'année 2010, la poursuite de la commercialisation du Mediator jusqu'en novembre 2009 ; que, dans ce contexte particulier, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a cependant diffusé aux patients concernés, par des courriers et sur son site internet, des informations rendant compte, en des termes suffisamment clairs et précis, de la réalité des risques courus ; que la requérante ne peut utilement se fonder sur les analogies entre les risques de la prise de benfluorex, et ceux de l'exposition à l'amiante et de la contamination par le virus du VIH ; qu'elle ne saurait davantage tirer argument que le préjudice d'anxiété a été reconnu par certaines juridictions pour les victimes du distilbène, ou les porteurs de sondes cardiaques dangereuses ou de prothèses PIP ; que dans ces conditions, Mme A...B..., qui ne fait état d'aucun élément personnel et circonstancié pertinent pour justifier du préjudice d'anxiété qu'elle invoque, n'est pas fondée à demander une indemnisation à ce titre ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A... B...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 10 octobre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande indemnitaire ;

Sur le recours n° 14PA04078 :

7. Considérant que les conclusions indemnitaires présentées dans sa requête n° 17PA03773 ayant été rejetées, il n'y a plus lieu de statuer sur le recours n° 14PA04078 du ministre des affaires sociales et de la santé tendant à l'annulation du jugement avant dire droit par lequel le tribunal administratif de Paris s'est prononcé sur le principe de la responsabilité de l'Etat ; qu'il n'y a pas davantage lieu de statuer sur les conclusions d'appel incident présentées par Mme A...B...dans le cadre de ce recours, auxquelles les conclusions indemnitaires de sa requête n° 17PA03773 se sont substituées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A...B...demande au titre des frais liés à l'instance et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête n° 17PA03773 de Mme A...B...est rejetée.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le recours n° 14PA04078 du ministre des affaires sociales et de la santé et sur les conclusions d'appel incident de Mme A...B....

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...A...B..., au ministre des solidarités et de la santé, à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault.

Copie en sera adressée pour information à l'ONIAM.

Délibéré après l'audience du 3 avril 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Bouleau, premier vice-président,

- M. Bernier, président assesseur,

- Mme Pena, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 24 avril 2018.

Le rapporteur,

Ch. BERNIERLe président,

M. BOULEAU

Le greffier,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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Nos 14PA04078, 17PA03773


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 14PA04078,17PA03773
Date de la décision : 24/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme DELAMARRE
Avocat(s) : FISCHER, TANDEAU DE MARSAC, SUR et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-04-24;14pa04078.17pa03773 ?
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