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08/03/2018 | FRANCE | N°16PA02450

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 08 mars 2018, 16PA02450


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...D...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du ministre chargé du travail en date du 13 mai 2015 en tant qu'elle a retiré la décision implicite rejetant le recours hiérarchique de la société Brink's Evolution et a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 23 octobre 2014.

Par un jugement n° 1510408/3-1 du 19 juillet 2016, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision attaquée en tant qu'elle a retiré le rejet implicite du recours hiérarchique

et annulé la décision de l'inspecteur du travail.

Procédure devant la Cour :

Par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...D...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du ministre chargé du travail en date du 13 mai 2015 en tant qu'elle a retiré la décision implicite rejetant le recours hiérarchique de la société Brink's Evolution et a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 23 octobre 2014.

Par un jugement n° 1510408/3-1 du 19 juillet 2016, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision attaquée en tant qu'elle a retiré le rejet implicite du recours hiérarchique et annulé la décision de l'inspecteur du travail.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 juillet 2016 et 18 novembre 2016, la société à responsabilité limitée Brink's Evolution, représentée par Me Dubessay, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1510408/3-1 du 19 juillet 2016 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le Tribunal administratif de Paris.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu l'existence d'un lien entre le mandat de M. D... et la demande d'autorisation de licenciement pour annuler partiellement la décision en litige ;

- la décision en litige est suffisamment motivée.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 octobre 2016, 24 janvier 2017 et 30 octobre 2017, M. D..., représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Brink's Evolution au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le moyen soulevé par la société Brink's Evolution n'est pas fondé ;

- il n'est pas démontré que le signataire de la décision en litige bénéficierait d'une délégation régulièrement publiée ;

- la décision en litige est insuffisamment motivée.

Par un mémoire, enregistré le 2 octobre 2017, la ministre du travail conclut à ce qu'il soit fait droit à la requête de la société Brink's Evolution.

Elle soutient que c'est à tort que les premiers juges ont retenu l'existence d'un lien entre le mandat de M. D... et la demande d'autorisation de licenciement pour annuler partiellement la décision en litige.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail,

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bernard,

- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,

- et les observations de Me Dubessay, avocat de la société Brink's Evolution.

Considérant ce qui suit :

1. Par la présente requête, la société Brink's Evolution demande l'annulation du jugement du 19 juillet 2016 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du ministre chargé du travail en tant qu'elle a, d'une part, retiré la décision implicite rejetant son recours hiérarchique et, d'autre part, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 23 octobre 2014 refusant d'autoriser le licenciement de M. D....

Sur le bien fondé du jugement attaqué :

2. En vertu des dispositions de l'article L. 2411-3 du code du travail, le licenciement des délégués syndicaux, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Cette autorisation est également requise pour le licenciement des anciens délégués syndicaux, durant les douze mois suivant la date de cessation de leurs fonctions, s'ils ont exercé ces dernières pendant au moins un an. Enfin, cette autorisation est requise si les intéressés bénéficient de la protection attachée à leur mandat à la date de l'envoi par l'employeur de sa convocation à l'entretien préalable au licenciement. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale.

3. M. D... a été engagé le 1er juin 1984 par la société Brink's Evolution, qui a pour principale activité le conditionnement et le transport de fonds. Il occupait un emploi de convoyeur de fonds et avait été désigné délégué syndical le 15 février 2012. Son mandat a pris fin, au plus tôt, à l'issue des élections pour le renouvellement du comité d'établissement d'Ile-de-France de la société qui ont eu lieu les 24 et 25 octobre 2013. Moins d'un an plus tard, la société Brink's Evolution l'a convoqué à un entretien préalable à son licenciement pour des faits, constatés le 4 septembre 2014, de " récidive de non utilisation des équipements individuels de protection conformément aux dispositions légales en vigueur (valise maculante et gilet pare-balles) ". La société a ensuite sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de procéder à son licenciement pour faute grave à raison desdits faits. Par une décision du 23 octobre 2014, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement en raison de l'existence d'un lien entre le mandat de M. D... et la demande d'autorisation. La société Brink's Evolution a formé un recours hiérarchique qui a été implicitement rejeté. Dans le délai de recours contentieux, le ministre chargé du travail a, par décision du 13 mai 2015, retiré cette décision implicite, annulé la décision de l'inspecteur du travail et rejeté pour incompétence la demande d'autorisation de licenciement en considérant que la protection de M. D... avait pris fin le 13 mars 2015. Pour retirer sa décision implicite et annuler la décision de l'inspecteur du travail, le ministre chargé du travail a considéré que la matérialité des faits reprochés à M. D... était établie, que ces faits étaient d'un degré suffisant de gravité pour justifier le licenciement et que 1'inspecteur du travail n'avait pas relevé d'indices suffisants pour caractériser le lien entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat de représentation détenu par le salarié. M. D... a sollicité l'annulation de la décision du ministre uniquement en tant qu'elle retirait la décision implicite de rejet du recours hiérarchique et annulait la décision de l'inspecteur du travail. Par le jugement attaqué, le Tribunal a fait droit à sa requête en se fondant sur le motif tiré de ce que la décision du ministre était entachée d'une erreur d'appréciation, la demande de licenciement étant en rapport avec les fonctions syndicales antérieurement détenues par l'intéressé.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. D... occupait le poste de convoyeur messager et était en charge des tournées avec un conducteur et un convoyeur garde. En tant que convoyeur messager, il lui revenait notamment de récolter les fonds et valeurs chez les clients et de les transporter jusqu'au véhicule blindé. Il échangeait parfois ses fonctions avec son coéquipier convoyeur garde et était alors en charge de sécuriser le cheminement entre le véhicule et les locaux des clients. Par courrier du 4 novembre 2008, M. D... a fait l'objet d'une mise à pied d'une journée pour défaut de port de son gilet pare-balles le 15 octobre 2008 et pour insubordination, M. D... ayant revendiqué son refus de porter ce gilet et précisé qu'il continuerait à ne pas le porter. Par courriers des 30 mars 2012 et 22 avril 2014, M. D... a fait l'objet, sur plaintes de clients, d'un rappel à l'ordre puis d'un avertissement pour défaut d'usage de la valise maculante. Par courrier du 13 mai 2014, M. D... a fait l'objet d'une mise à pied de trois jours, notamment pour défaut de port de son gilet pare-balles et d'utilisation de la valise maculante sur deux sites le 17 avril 2014. Enfin, la demande d'autorisation de licenciement a été présentée après que M. D... ait de nouveau été contrôlé sans son gilet pare-balles et sans valise maculante sur deux sites le 4 septembre 2014.

5. Ainsi que l'a jugé le Tribunal au point 6 du jugement attaqué, il ressort des pièces du dossier qu'il existe une tolérance de l'employeur quant au défaut d'usage de la valise maculante, dès lors que celle-ci peut s'avérer, dans certains cas, inadaptée aux locaux des clients ou aux fonds convoyés. En revanche, il ressort des pièces du dossier qu'il n'existe pas de tolérance de l'employeur quant au défaut de port du gilet pare-balles et ce, particulièrement pour les convoyeurs messager ou garde. En effet, le port du gilet pare-balles est obligatoire pour tout convoyeur que l'exécution de sa mission conduit à sortir du véhicule en vertu du deuxième alinéa de l'article 6 du décret n° 2000-376 du 28 avril 2000 relatif à la protection des transports de fonds (désormais codifié à l'article R. 613-43 du code de la sécurité intérieure). Ainsi, en cas de constat du défaut de port du gilet pare-balles, la société Brink's Evolution adresse au salarié un rappel à l'ordre, puis, en cas de récidive, un avertissement. En cas de nouvelle récidive, la société Brink's Evolution licencie le salarié, comme ce fut le cas pour un salarié en 2009. La demande d'autorisation de licencier M. D... après deux sanctions pour défaut de port du gilet pare-balles (outre deux sanctions pour défaut d'utilisation de la valise maculante) n'apparaît donc pas isolée. Il ressort également des pièces du dossier, et notamment du rapport établi par le responsable de l'unité territoriale de Paris sur le recours hiérarchique produit en appel par le ministre, que les trois inspecteurs de sécurité de la société Brink's Evolution ont réalisé cent cinquante quatre contrôles entre février et septembre 2014. Seuls neuf de ces contrôles (dont quatre concernant M. D...) ont constaté un défaut de port du gilet pare-balles par un convoyeur messager ou un convoyeur garde. Rares sont donc les salariés occupant ces postes qui ne portent pas leur gilet. L'attitude de refus systématique de M. D... de revêtir cet équipement apparaît donc exceptionnelle au sein de l'entreprise. Par ailleurs, il ressort du rapport précité que les contrôles sont effectués à distance, à l'insu des salariés et que l'existence d'un contrôle n'est portée à la connaissance des salariés que si une anomalie a été relevée, c'est-à-dire dans moins d'un tiers des cas. Ainsi, les témoignages de collègues de M. D... affirmant n'avoir jamais été contrôlés ou " quasiment jamais " ne sont pas de nature à établir que M. D... aurait été spécifiquement visé par ces contrôles au cours de l'année 2014. En outre, il ressort des pièces du dossier que, jusqu'en octobre 2013, M. D... effectuait une centaine d'heures de délégation par mois, au titre de ses divers mandats syndicaux. Sa présence limitée sur le terrain peut ainsi expliquer qu'il n'ait pas été contrôlé pendant cinq ans. Enfin, contrairement à ce que soutient M. D..., son employeur avait mis à sa disposition un gilet pare-balles adapté à sa corpulence et si M. D... a indiqué à son employeur qu'il avait perdu cet équipement, cette information n'a été donnée que postérieurement au constat du défaut de port du gilet relevée le 17 avril 2014. L'employeur lui a ensuite fourni un nouveau gilet dès le mois de mai 2014, donc bien antérieurement au dernier contrôle du 4 septembre 2014.

6. Par suite, la demande d'autorisation de licenciement présentée par la société Brink's Evolution se fondait sur un motif particulièrement sérieux et avait été précédée de sanctions et de contrôles ne révélant aucune discrimination à l'encontre de M. D.... Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas allégué, que M. D..., ou d'autres représentants des salariés, auraient rencontré des difficultés dans l'exercice de leurs mandats du fait de l'attitude de leur employeur. Dans ces conditions, les seules circonstances que la demande d'autorisation de licenciement a été présentée après que le syndicat auquel appartenait M. D... ait obtenu l'annulation des élections au comité d'établissement d'Ile-de-France de la société, que l'employeur a procédé à des retenues sur salaire en février et mars 2014 pour la prise d'heures de délégation postérieurement à l'annulation des élections au motif erroné qu'il se serait agit d'absences injustifiées et que M. D... s'est vu opposer quatre refus successifs non motivés pour la prise de deux jours de congés payés entre mars et juin 2014 ne suffisent pas à établir l'existence d'un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et l'ancien mandat détenu par M. D....

7. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le Tribunal s'est fondé sur le motif tiré de ce que le ministre chargé du travail avait commis une erreur d'appréciation en ne retenant pas l'existence d'un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les fonctions syndicales antérieurement détenues par M. D... pour annuler partiellement la décision en litige.

8. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... tant devant le Tribunal administratif de Paris que devant elle.

9. En premier lieu, la décision en litige a été signée par M. C...A..., directeur adjoint du travail, chef du bureau des recours, du soutien et de l'expertise juridique à la direction générale du travail, notamment chargé de l'instruction des recours hiérarchiques relatifs aux licenciements des salariés protégés en vertu de l'arrêté du 22 août 2006 relatif à l'organisation de la direction générale du travail. M. A... bénéficiait, en vertu d'une décision du 24 mars 2014 régulièrement publiée au Journal officiel de la République française du 28 mars suivant, d'une délégation à l'effet de signer, au nom du ministre chargé du travail, tous actes, décisions et conventions dans la limite des attributions du bureau précité. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision en litige doit être écarté comme manquant en fait.

10. En deuxième lieu, la décision en litige vise le code du travail et notamment ses articles L. 2411-1 et suivants, ainsi que l'ensemble des éléments de la procédure. Cette décision mentionne ensuite les faits reprochés au salarié et développe les raisons pour lesquelles le ministre a considéré que la matérialité des faits était établie et que leur gravité était suffisante pour justifier le licenciement. La décision mentionne ensuite le motif pour lequel la décision de l'inspecteur du travail est annulée, à savoir l'insuffisance d'indices relevés pour caractériser le lien entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat de représentation détenu par le salarié. Ce motif est suffisamment précis, sans qu'il ait été nécessaire de critiquer chacun des arguments retenus par l'inspecteur du travail sur ce point. En outre, cette dernière mention constitue, implicitement mais nécessairement, le motif de retrait de la décision implicite de rejet du recours hiérarchique. Enfin, la décision mentionne les raisons pour lesquelles le ministre a considéré ne plus être compétent pour statuer sur la demande de la société Brink's Evolution. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision en litige doit être écarté comme manquant en fait.

11. En dernier lieu, M. D... ne conteste pas le bien fondé des autres motifs retenus par la décision en litige, mentionnés aux points 3 et 10 ci-dessus.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Brink's Evolution est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a partiellement annulé la décision du ministre chargé du travail du 13 mai 2015.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Brink's Evolution, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. D... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1510408/3-1 du 19 juillet 2016 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le Tribunal administratif de Paris ainsi que ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Brink's Evolution, à M. E... D...et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 15 février 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme Bernard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 8 mars 2018.

Le rapporteur,

A. BERNARDLe président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

C. POVSELa République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16PA02450


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA02450
Date de la décision : 08/03/2018
Type d'affaire : Administrative

Analyses

66-07-01-04-02-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute. Existence d'une faute d'une gravité suffisante.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Aurélie BERNARD
Rapporteur public ?: M. SORIN
Avocat(s) : CABINET CHASSANY - WATRELOT ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/03/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-03-08;16pa02450 ?
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