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21/12/2017 | FRANCE | N°17PA00482

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 21 décembre 2017, 17PA00482


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la prise de Médiator et, avant-dire droit, d'ordonner une expertise médicale et de condamner solidairement l'Etat et l'Agence à lui verser une provision de 15 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.

Par un jugement n° 1317087/6-1 du 7 août 2014, le Tribunal administrat

if de Paris a déclaré l'Etat responsable des conséquences dommageables éventuelles...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la prise de Médiator et, avant-dire droit, d'ordonner une expertise médicale et de condamner solidairement l'Etat et l'Agence à lui verser une provision de 15 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.

Par un jugement n° 1317087/6-1 du 7 août 2014, le Tribunal administratif de Paris a déclaré l'Etat responsable des conséquences dommageables éventuelles, pour M.C..., de la prise du Médiator à partir du 7 juillet 1999, a ordonné une expertise médicale et a rejeté la demande de provision de M.C....

Par un arrêt n° 14PA04083 du 31 juillet 2015, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes contre ce jugement, ainsi que les conclusions à fins d'appel incident de M. C...tendant à ce que le début de la période de responsabilité de l'Etat soit fixée à une date antérieure et à ce que celui-ci soit condamné à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de provision.

Par une décision n°s 393903, 393927 du 28 décembre 2016, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par M. C...en date du 5 octobre 2015 et d'un pourvoi incident présenté par la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes enregistré le même jour, a annulé l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris du 31 juillet 2015 en tant qu'elle avait rejeté le recours formé par la ministre des affaires sociales et de la santé, a renvoyé l'affaire devant la même Cour, dans la limite de la cassation prononcée, et a rejeté les conclusions du pourvoi de M.C....

Procédure devant la Cour :

Par des mémoires enregistrés respectivement les 26 septembre 2014 et le 24 avril 2017, la ministre des affaires sociales et de la santé demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1317087/6-1 du 7 août 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a déclaré l'Etat responsable des conséquences dommageables éventuelles pour M. C...de l'absorption de Médiator entre 2007 et 2009 ;

2°) de rejeter la requête de M.C....

La ministre des affaires sociales et de la santé soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que l'expertise est frustratoire puisqu'aucune pièce ne vient établir l'insuffisance cardiaque de l'intéressé et qu'ainsi le tribunal disposait d'éléments suffisants pour rejeter la requête ;

- l'Etat doit être totalement exonéré de sa responsabilité ; d'une part, il ne peut être condamné in solidum ; en effet, l'Etat n'a pas agi de façon indépendante des laboratoires, ce qui empêche de considérer que sa faute porte l'intégralité du dommage ; en outre, il n'y a aucune collaboration entre l'Etat et les laboratoires Servier ; enfin cette solution hétérodoxe n'est pas justifiée par l'opportunité puisque, d'une part, les laboratoires Servier ne sont pas impécunieux, et d'autre part, la loi a mis en place un mécanisme d'indemnisation rapide via l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) ; d'autre part, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal, l'Etat dispose de pouvoirs limités dans un contexte complexe ; enfin, les manoeuvres des laboratoires Servier qui, ne respectant pas les règles de la pharmacovigilance imposant le signalement des effets indésirables, ont volontairement occulté les données à leur disposition depuis la fin des années 1960 sur les effets indésirables de leur produit afin d'obtenir l'assentiment des commissions de mise sur le marché et de pharmacovigilance ont empêché l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé d'exercer ses pouvoirs et ses missions.

Par des mémoires enregistrés respectivement les 27 février 2015, 29 mai 2015 et 6 avril 2017, M.C..., représenté par la société Verdier et associés avocats, demande à la Cour le rejet de la requête de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, la fixation à une date antérieure de la période de responsabilité de l'Etat, la condamnation de celui-ci à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de provision, et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. C...fait valoir que :

- c'est à bon droit que le tribunal a reconnu la responsabilité de l'Etat ;

- sa demande de provision est justifiée par le fait qu'il a été exposé au Médiator de 2007 jusqu'à l'interdiction du médicament en France en 2009 ; il présentait un symptôme d'essoufflement près de six mois après la prise de Médiator ; il subit un préjudice d'anxiété du fait de l'inquiétude quant au développement des pathologies en lien avec la prise de ce médicament.

Par des mémoires enregistrés les 28 mai 2015 et 27 avril 2017, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, représentée par Me Schmelck, conclut à titre principal à ce qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale en cours et, à titre subsidiaire, à l'annulation du jugement et au rejet de la requête de M.C....

L'Agence fait valoir que :

- la chose jugée au pénal s'impose au juge administratif ; la procédure pénale en cours aura une influence sur le litige administratif ;

- dès lors que le requérant soutient avoir pris du Médiator de 2007 à 2009, peu importe la question de savoir si la responsabilité de l'Etat serait engagée en 1999 comme l'a jugé le tribunal ou avant comme il le soutient M.C... ; le tribunal s'est contredit en retenant le principe de la responsabilité de l'Etat tout en demandant à l'expert de se prononcer sur le lien de causalité entre la faute et les préjudices allégués ;

- l'Etat ne peut être condamné in solidum ; en effet, l'Etat n'a pas agi de façon indépendante des laboratoires, ce qui empêche de considérer que sa faute porte l'intégralité du dommage ; en outre, il n'y a aucune collaboration entre l'Etat et les laboratoires Servier ; enfin cette solution hétérodoxe n'est pas justifiée par l'opportunité puisque, d'une part, les laboratoires Servier ne sont pas impécunieux, et d'autre part, la loi a mis en place un mécanisme d'indemnisation rapide via l'ONIAM ; d'autre part, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'Etat dispose de pouvoirs limités dans un contexte complexe ; enfin, les manoeuvres des laboratoires Servier qui, ne respectant pas les règles de la pharmacovigilance imposant le signalement des effets indésirables, ont volontairement occulté les données à leur disposition depuis la fin des années 1960 sur les effets indésirables de leur produit afin d'obtenir l'assentiment des commissions de mise sur le marché et de pharmacovigilance ont empêché l'Agence d'exercer ses pouvoirs et ses missions ;

Par une décision du 22 janvier 2015, le bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris a maintenu la décision du 8 octobre 2013 qui a admis M. C...au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Une ordonnance de clôture d'instruction a été prise le 14 novembre 2017 pour une clôture le 1er décembre à 12 heures 00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique,

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Luben,

- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., substituant Me Schmelck, avocat de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Considérant ce qui suit :

Sur le lien de causalité entre la prise de Médiator et les préjudices subis par M.C... :

1. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale rédigé le 20 avril 2016, que si M. C...a déclaré avoir pris du Médiator de 2007 à 2009 (l'administration de ce médicament étant objectivement documentée pendant environ sept mois à la dose de 3 comprimés par jour à 150 mg) afin de provoquer son amaigrissement, la dyspnée qu'il a ressentie à partir de mai 2007 n'est pas en relation avec une étiologie toxique en relation avec la prise du Médiator, les diverses explorations pratiquées tant au plan pulmonaire que cardiaque n'ayant retrouvé aucune anomalie (notamment, aucune anomalie valvulaire ou hypertension artérielle pulmonaire n'a été révélée) pouvant expliquer cette symptomatologie, qui peut trouver sa cause dans le surpoids de l'intéressé, qui pesait à cette époque 95 kilogrammes, comme dans une inadaptation physique à l'effort, l'expert médical notant au surplus qu'une composante psychique est partie prenante dans la dyspnée ressentie. Par suite, la prise de Médiator de 2007 à 2009 par M. C... n'a eu, pour lui, aucune conséquence physiologique néfaste.

2. En second lieu, M. C...soutient qu'il convient d'indemniser le préjudice d'anxiété dont il souffre, cette angoisse découlant du risque avéré de conséquences potentiellement graves sur sa santé lié à la prise de Médiator. Toutefois, il résulte de l'instruction que si l'hypertension artérielle pulmonaire est une affection sévère, le risque de développer cette pathologie à la suite d'une exposition au benfluorex peut être regardé, ainsi que le mentionnait l'information mise à la disposition des patients concernés par l'AFSSAPS, comme très faible. Ainsi, le réseau français de l'hypertension artérielle pulmonaire sévère n'a identifié, entre 1999 et février 2012, que 129 cas d'hypertension pulmonaire associée à un antécédent d'exposition au benfluorex, quelle que soit la période de cette exposition. Enfin, le risque de valvulopathie cardiaque, pathologie susceptible, lorsqu'elle est sévère, de rendre nécessaire une intervention chirurgicale, est faible et diminue rapidement dans les mois qui suivent l'arrêt de l'exposition au benfluorex. Or, comme il a été dit précédemment, M. C...n'a pas développé une pathologie en lien avec son exposition passée au Mediator. Au surplus, l'allégation de M. C...selon laquelle il aurait souffert d'un préjudice d'anxiété est contredite par ses dires mêmes lors de l'expertise médicale, dès lors qu'il a déclaré avoir présenté un problème d'essoufflement à partir de mai 2007, mais ne pas avoir consulté de médecin pour ce problème avant août 2009. Par suite, M. C...ne peut être regardé comme justifiant de l'existence d'un préjudice d'anxiété, direct et certain, lié à la crainte de développer une pathologie grave après la prise de Médiator.

3. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre des affaires sociales et de la santé est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 7 août 2014, le Tribunal administratif de Paris a déclaré l'Etat responsable des conséquences dommageables éventuelles pour M. C...de l'absorption du Médiator entre 2007 et 2009.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

4. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais liés à l'instance ; dès lors, les conclusions présentées à ce titre par M. C...doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1317087/6-1 du 7 août 2014 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande de première instance et les conclusions d'appel de M. C...sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des solidarités et de la santé, à l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et à M. B... C....

Copie en sera adressée à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme Bernard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 décembre 2017.

Le rapporteur,

I. LUBENLe président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

A. CLEMENTLa République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

4

N° 17PA00482


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA00482
Date de la décision : 21/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-02-02 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Causes exonératoires de responsabilité. Fait du tiers.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Ivan LUBEN
Rapporteur public ?: M. SORIN
Avocat(s) : VERDIER ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 26/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2017-12-21;17pa00482 ?
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