Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite de rejet née du silence opposé par le garde des sceaux, ministre de la justice, à sa demande de changement d'affectation du centre de détention de Rennes vers un établissement pénitentiaire plus proche de la région où est établie sa famille, à laquelle s'est substituée en cours d'instance la décision expresse de rejet du 5 mai 2015.
Par un jugement n° 1431826 du 8 décembre 2015, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 février 2016 et 3 novembre 2017, MmeA..., représentée par MeC..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1431826 du 8 décembre 2015 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 5 mai 2015 par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement d'affectation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision attaquée ne constitue pas une mesure d'ordre intérieur qui serait insusceptible de recours ;
- cette décision a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle a méconnu l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce que la carte pénitentiaire, qui ne comporte aucun établissement pour peine réservé aux femmes dans le sud-ouest de la France, crée une discrimination entre les hommes et les femmes détenus ;
- elle a méconnu l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense et un mémoire, enregistrés les 12 septembre et 24 octobre 2017, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable, dès lors que la requérante se contente de reprendre ses écritures de première instance ;
- la demande de première instance est irrecevable, dès lors la décision attaquée constitue une mesure d'ordre intérieur qui ne porte atteinte à aucun droit fondamental de l'intéressée ;
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Nguyên Duy,
- les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public.
1. Considérant que MmeA..., incarcérée en dernier lieu au centre de détention de Rennes, où elle purgeait une peine confondue de vingt ans de réclusion criminelle, a contesté devant le tribunal administratif de Paris la décision implicite, confirmée par la décision expresse du 5 mai 2015, par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande tendant à obtenir un changement d'affectation afin de se rapprocher de sa famille et de son conseil, qui résident dans le département des Pyrénées-Atlantiques ; que Mme A...interjette appel du jugement du 8 décembre 2015 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le garde des sceaux, ministre de la justice ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
2. Considérant qu'aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; qu'aux termes de l'article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. (...) " ;
3. Considérant qu'il est constant que le centre de détention de Roanne et le centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne sont les deux établissements pénitentiaires situés le plus au sud de la France qui peuvent accueillir des femmes condamnées à de longues peines ; qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A...n'a pas précisé l'établissement dans lequel elle souhaitait être affectée, malgré la demande qui lui a été adressée en ce sens par l'administration par un courrier du 6 février 2015 ; que l'intéressée indique toutefois, dans ses écritures, que l'établissement de Poitiers-Vivonne, déjà très demandé, souffre d'un taux de sur-occupation très élevé et se situe à plus de 400 km de son domicile, tandis que la prison de Roanne en est éloignée de près de 700 km ; que la requérante doit ainsi être regardée comme refusant son affectation dans l'une ou l'autre de ces prisons ; que si Mme A...soutient, par ailleurs, que l'absence de tout établissement ou quartier permettant d'incarcérer les femmes dans le sud-ouest de la France méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il ressort cependant des pièces du dossier que la requérante a bénéficié régulièrement de parloirs et du dispositif des unités de vie familiale lui permettant de recevoir sa famille pendant 72 heures, et est également mise en mesure de communiquer par téléphone avec son mari et sa famille plusieurs fois par semaine ; que, dans les circonstances particulières de l'espèce, Mme A...n'est donc pas fondée à soutenir que la décision attaquée porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de leur vie privée, protégé par les stipulations précitées du paragraphe 1 de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et dont les personnes détenues ne bénéficient, ainsi qu'en disposent tant les stipulations de son paragraphe 2 que le l'article 22 de la loi pénitentiaire cité au point précédent, que dans les limites résultant des contraintes inhérentes à la détention ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
4. Considérant qu'aux termes du paragraphe 3 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Tout accusé a droit notamment à : (...) / b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; (...) " ;
5. Considérant que les détenus disposent du droit de communiquer librement avec leurs avocats ; que ce droit implique notamment qu'ils puissent, selon une fréquence qui, eu égard au rôle dévolu à l'avocat auprès des intéressés, ne peut être limitée à priori, recevoir leurs visites, dans des conditions garantissant la confidentialité de leurs échanges ; que, toutefois, ce droit s'exerce dans les limites inhérentes à la détention ;
6. Considérant qu'à l'appui de sa demande d'annulation de la décision attaquée, Mme A... fait valoir que la distance entre son lieu de détention et son domicile rend particulièrement difficiles et coûteuses la préparation de sa défense ainsi que les démarches qu'elle a entreprises avec l'aide de son avocat, qui exerce à Saint Jean de Luz, pour obtenir sa libération conditionnelle ; qu'il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que Mme A...aurait été dans l'impossibilité de communiquer avec son conseil ou de s'adjoindre les services d'un avocat exerçant à proximité de son lieu de détention ; que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit par suite être écarté ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
7. Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ; qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;
8. Considérant qu'à l'encontre de la décision attaquée, Mme A...soutient que le l'inégale implantation, sur le territoire métropolitain de la France, des établissements pénitentiaires susceptibles d'accueillir des femmes condamnées à de longues peine, la plupart se situant dans sa moitié nord, contraint l'administration pénitentiaire à incarcérer les femmes détenues, en particulier celles originaires du sud-ouest , dans des prisons très éloignées de leur lieu de résidence habituel ; que la requérante doit ainsi être regardée comme se prévalant de l'existence d'une discrimination à l'égard du droit des femmes détenues au respect de leur vie privée et familiale, prohibée par les stipulations combinées des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
9. Considérant toutefois qu'aucune stipulation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ne garantit aux détenus de choisir leur lieu de détention, la séparation et l'éloignement des détenus de leur famille constituant des conséquences inévitables de leur situation carcérale ; qu'il est par ailleurs constant, d'une part, qu'en application de l'article R. 57-6-18 du code de procédure pénale, les hommes et les femmes doivent être incarcérés dans des établissements distincts ou dans des quartiers distincts d'un même établissement, et que, d'autre part, les femmes ne représentent qu'une très faible minorité de la population carcérale, de sorte que le nombre de places de détention et d'établissement réservés à celles-ci est nécessairement moins important que pour les hommes ; qu'il ressort ainsi des pièces du dossier que la politique d'implantation des établissements pénitentiaires répond à l'objectif d'intérêt général de maintien du bon ordre de ces établissements poursuivi par l'article R. 57-6-18 du code de procédure pénale et est également justifié par des raisons objectives en rapport avec les buts de loi, tenant aux différences caractérisant la population des femmes détenues par rapport à celle des hommes ; que, dans ces conditions, et eu égard par ailleurs à la marge de manoeuvre dont disposent en la matière les États, en raison notamment des contraintes de gestion propres au service public pénitentiaire, la requérante, dont le droit au respect de sa vie privée et familiale n'a d'ailleurs pas été méconnu, ainsi qu'il a été dit au point 3, n'est donc pas fondée à soutenir que l'absence d'un centre de détention pour femmes dans le sud-ouest de la France constituerait un traitement discriminatoire au sens de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que ses conclusion à fin d'annulation doivent par suite être rejetées ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme A...demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A...est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B...A...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 16 novembre 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Diémert, président de chambre,
- M. Legeai, premier conseiller,
- Mme Nguyên Duy, premier conseiller.
Lu en audience publique le 14 décembre 2017.
Le rapporteur,
P. NGUYÊN DUY Le président,
S. DIÉMERT Le greffier,
A. LOUNISLa République mande et ordonne à au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 16PA00603