Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A...F...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 3 mai 2016 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de destination.
Par un jugement n° 1608351 du 4 octobre 2016, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2017, appuyée de pièces complémentaires enregistrées au greffe le 09 mars 2017, M. A... F..., représenté par Me Vega, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 4 octobre 2016 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du préfet de police du 3 mai 2016 ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une carte de séjour temporaire mention "vie privée et familiale" dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me Vega au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
- il appartient à la seule juridiction pénale de déterminer si l'infraction relative à la traite d'êtres humains est constituée ;
- une carte de séjour devait lui être délivrée de plein droit dès le dépôt de sa plainte jusqu'au terme de la procédure pénale ;
- en substituant leur appréciation à celle du juge pénal, le préfet de police et le tribunal ont méconnu les dispositions de l'article L. 316-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il a été exploité par sa mère, privé de rémunération et hébergé dans des conditions indignes ;
- en estimant que ces faits relevaient simplement du délit de travail dissimulé et non de celui d'exploitation d'êtres humains, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet de police, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
M. A... F...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 décembre 2016 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n°2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Bernier a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M. B... A...F..., de nationalité camerounaise, relève appel du jugement du 4 octobre 2016 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de police du 3 mai 2016 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant son pays de destination ;
2. Considérant d'une part qu'aux termes de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi susvisée du 13 avril 2016, applicable à la date de la décision contestée : " Sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée à l'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions. La condition prévue à l'article L. 311-7 n'est pas exigée. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites" ; que l'article L. 316-2 du même code dispose : " Un décret en Conseil d'État précise les conditions d'application de l'article L. 316-1. Il détermine notamment les conditions de la délivrance, du renouvellement et du retrait de la carte de séjour temporaire mentionnée au premier alinéa de l'article L. 316-1 et les modalités de protection, d'accueil et d'hébergement de l'étranger auquel cette carte est accordée " ; que selon l'article R. 316-3 du même code: " Une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée minimale de six mois est délivrée par le préfet territorialement compétent à l'étranger qui satisfait aux conditions définies à l'article L. 316-1 et qui a rompu tout lien avec les auteurs présumés des infractions mentionnées à cet article (...) / La demande de carte de séjour temporaire est accompagnée du récépissé du dépôt de plainte de l'étranger ou fait référence à la procédure pénale comportant son témoignage (...) " ;
3. Considérant d'autre part qu'aux termes de l'article 225-4-1 du code pénal : " La traite des êtres humains est le fait, en échange d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage, de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir, pour la mettre à sa disposition ou à la disposition d'un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre cette personne des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit (...) " ;
4. Considérant, qu'avant de former une demande tendant à obtenir la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, citées au point 2, M. A...F...avait déposé plainte auprès du Parquet du tribunal de grande instance de Paris les 11 juillet et 23 décembre 2014 à l'encontre de sa mère, Mme C...E..., gérante de la SARL Felicity-Beauty, pour traite des êtres humains et travail dissimulé ; que la première des infractions ainsi dénoncées est au nombre de celles qui sont mentionnées à l'article 225-4-1 précité du code pénal ; que la demande de titre de séjour de M. A...F...a été présentée le 27 novembre 2015, accompagnée des récépissés de dépôt de plainte ; qu'il est constant qu'il remplissait dès lors les conditions définies à l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de la décision contestée le procureur de la République s'était prononcé sur les faits dont il était saisi ; qu'il n'en ressort pas davantage, et qu'il n'est d'ailleurs pas soutenu par l'administration, que le Parquet n'aurait été saisi de cette plainte que dans le but exclusif de permettre à M. A...F...de bénéficier du régime prévu par l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni que les faits dénoncés seraient manifestement imaginaires ; que, pour rejeter la demande, le préfet de police, qui ne semble pas avoir interrogé l'autorité judiciaire sur le sort réservé à cette plainte, ne pouvait pas se fonder sur les appréciations du Major de Police du CSP du 12ème arrondissement de Paris, lequel n'avait pas compétence pour apprécier et qualifier juridiquement les faits dénoncés, qui avait estimé qu'au vu des éléments contenus dans la plainte, " le préjudice de M. A...était plus lié au travail dissimulé qu'à une infraction relative à de la traite d'humains " ; qu'il suit de là qu'en refusant de délivrer à M. A...F..., qui satisfaisait aux conditions de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le titre de séjour qu'il sollicitait sur ce fondement, le préfet de police a entaché sa décision d'illégalité ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A...F...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de police de statuer au vu de toutes les circonstances de fait et de droit existant au terme de ce réexamen sur la demande de M. A...F..., dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
6. Considérant que M. A... F...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que l'avocat de M. A... F..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Vega de la somme de 1 500 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1608351 du 4 octobre 2016 du tribunal administratif de Paris et l'arrêté en date du 3 mai 2016 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de statuer à nouveau sur la demande de M. A... F...dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Vega, avocat de M. A... F..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...A...F..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, au préfet de police et à Me Vega.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Bernier, président assesseur,
- Mme Pena, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 28 novembre 2017.
Le rapporteur,
Ch. BERNIERLe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
A. DUCHER
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 17PA00234