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16/11/2017 | FRANCE | N°16PA01285

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 16 novembre 2017, 16PA01285


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... B...ont demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, de condamner la ville de Paris à leur verser la somme de 750 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2014, en réparation des préjudices que leur a causés la décision de préemption illégale du 29 juillet 2009 ou, à titre subsidiaire, après avoir reconnu la responsabilité de la ville de Paris par un jugement avant dire droit, d'ordonner une expertise aux fins d'évaluer leurs préjudic

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Par un jugement n° 1500937 du 18 février 2016, le tribunal administratif de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... B...ont demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, de condamner la ville de Paris à leur verser la somme de 750 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2014, en réparation des préjudices que leur a causés la décision de préemption illégale du 29 juillet 2009 ou, à titre subsidiaire, après avoir reconnu la responsabilité de la ville de Paris par un jugement avant dire droit, d'ordonner une expertise aux fins d'évaluer leurs préjudices.

Par un jugement n° 1500937 du 18 février 2016, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 14 avril 2016, 21 septembre 2016 et 12 avril 2017, M. et Mme B..., représentés par la SCP Nicolaÿ, Lanouvelle, Hannotin, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1500937 du 18 février 2016 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner la ville de Paris à leur verser la somme de 750 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 septembre 2014 et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de la ville de Paris la somme de 6 000 euros à leur verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la décision de préemption du 29 juillet 2009, annulée pour détournement de pouvoir, engage la responsabilité de la ville de Paris ;

- il y a un lien certain entre la faute ainsi commise et la non-réalisation de la vente, toutes les conditions suspensives étant levées à la date de la préemption illégale ;

- l'exercice illégal du droit de préemption leur a causé un préjudice financier, estimé 650 000 euros, et un préjudice moral et des troubles dans leurs conditions d'existence, qui peuvent être arrêtés à 100 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 mars 2017, la ville de Paris, représentée par la SCP Foussard-Froger, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. et Mme B...en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. et Mme B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Legeai,

- les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public,

- les observations de Me Bonnefont, avocat de M. et MmeB..., et de Me Froger, avocat de la ville de Paris.

1. Considérant que par une décision du 29 juillet 2009, la ville de Paris a exercé son droit de préemption sur un bien immobilier composé de deux lots d'un immeuble sis 108 rue Vieille du Temple dans le 3ème arrondissement de Paris, correspondant à un appartement de quatre pièces et 100,90 m² et d'une cave, pour lesquels la société Classic European Real Estate (CERE), propriétaire, et M. et Mme B...avaient signé une promesse de vente pour un montant hors frais d'agence de 675 000 euros ; que la cour administrative d'appel de Paris, par un arrêt du 11 mai 2012, a annulé la décision de préemption du 29 juillet 2009 comme entachée de détournement de pouvoir ; que M. et Mme B...ont entrepris en vain des démarches pour obtenir l'exécution forcée de la promesse de vente devant le juge judiciaire ; que, par un courrier du 25 septembre 2014, ils ont adressé une réclamation préalable à la ville de Paris tendant à la réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de la préemption illégale ; qu'ils relèvent régulièrement appel du jugement du 18 février 2016 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande de condamnation de la ville de Paris à leur verser une indemnité de 750 000 euros ;

Sur la responsabilité :

2. Considérant que la cour administrative d'appel de Paris, par un arrêt n° 11PA01720 du 11 mai 2012, a jugé que la décision de préemption de la ville de Paris du 29 juillet 2009 était entachée de détournement de pouvoir, la ville ne pouvant être regardée comme ayant poursuivi, dans l'intérêt général, un des objets définis à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme ; que l'illégalité ainsi commise est fautive et de nature à engager la responsabilité de la ville de Paris à l'égard de M. et Mme B...qui sont, dès lors, fondés à demander réparation des préjudices directs et certains résultant de la non réalisation de la vente à leur profit ;

Sur le lien de causalité et les préjudices :

3. Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient la ville de Paris, il ne résulte pas de l'instruction que d'autres circonstances que la décision de préemption illégale aient fait obstacle à l'acquisition par M. et Mme B...de l'appartement litigieux ; que notamment, si la locataire du logement avait obtenu la prorogation de son bail jusqu'au 30 novembre 2011, elle avait, ainsi que l'autre occupant de son chef, renoncé à exercer le droit de préemption dont elle était titulaire en s'abstenant de répondre au courrier qui lui avait été régulièrement adressé à cet effet le 16 mars 2009 par le propriétaire vendeur ; que, par ailleurs, aucun élément du dossier ne permet de soutenir que M. et Mme B...n'étaient pas en mesure d'obtenir en 2009 le prêt bancaire nécessaire à leur achat ; que la décision du tribunal de grande instance de Paris déboutant, le 20 mai 2014, les époux B...de leur demande tendant à voir déclarer la vente parfaite à leur profit n'est pas motivée, comme il est allégué, par les droits des locataires, mais par le fait que M. et Mme B...n'avaient pas, avant la date d'expiration de la promesse de vente fixée au 30 mars 2011, levé l'option qui leur était consentie en payant le prix et les frais de la vente ; qu'il est à cet égard constant que la décision de préemption de la ville de Paris, qui n'a été annulée que le 11 mai 2012, faisait obstacle, à la date à laquelle la promesse de vente expirait, à la réalisation de la vente et donc au paiement du prix par M. et MmeB... ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que M. et Mme B...soutiennent que la préemption exercée illégalement par la ville de Paris est à l'origine d'un préjudice financier qui peut être estimé à 650 000 euros, soit la différence entre la somme de 675 000 euros qu'ils auraient exposée pour l'achat, aux conditions convenues dans la promesse de vente, des lots n° 25 et 74 de l'immeuble situé 108 rue Vieille du Temple et la somme qu'ils auraient dû engager, à la date d'annulation de la décision de préemption, pour financer un bien équivalent dans le quartier des " Enfants Rouges " (3ème arrondissement), soit 1 325 000 euros au minimum, la valeur de l'immobilier ayant connu, selon leurs écritures, une augmentation, de cinquante cinq pour cent entre 2007 et 2012 dans ce quartier ; que, toutefois, ce préjudice financier est purement éventuel dès lors que les requérants, qui n'ont pas acquis l'appartement litigieux ni ne soutiennent avoir dû en acquérir un autre, sont restés, du fait du coup d'arrêt porté à leur projet par la décision de préemption, en possession des sommes qu'ils comptaient y consacrer et pouvaient les utiliser à d'autres placements ; que, dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'exercice illégal par la ville de Paris de son droit de préemption urbain a été directement à l'origine d'un préjudice financier ;

5. Considérant, en dernier lieu, que M. et Mme B...soutiennent que la décision illégale de la ville de Paris leur a causé un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, évalués à 100 000 euros ; qu'ils font valoir qu'ils ont dû mobiliser beaucoup de temps et d'énergie pour obtenir, avec succès, l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de préemption illégale, alors que l'acquisition de l'appartement en cause présentait pour eux un intérêt particulier, lié au fait qu'ils étaient déjà propriétaires d'un autre appartement de même superficie situé sur le même palier du même immeuble et envisageaient de le réunir avec l'appartement en cause pour l'habiter avec leurs deux filles ; que cependant, si cette possibilité de réunir les deux appartements est évoquée dans la promesse de vente, sous réserve de sa faisabilité au regard des règles de copropriété, les requérants n'apportent aucune précision permettant de tenir pour établie l'existence d'un projet familial ; que, dans les circonstances particulières de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice, en fixant à 10 000 euros l'indemnité due de ce chef ;

6. Considérant que M. et Mme B...ont droit comme ils le demandent aux intérêts à taux légal sur cette somme à compter du 29 septembre 2014, date de réception de leur demande préalable ; qu'à la date à laquelle ils ont demandé la capitalisation des intérêts, le 14 avril 2016, les intérêts étaient dus au moins pour une année entière ; que dès lors il y a lieu de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme B...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande ;

8. Considérant qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la ville de Paris une somme de 1 500 euros à verser aux requérants au titre des frais de procédure qu'ils ont exposés ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. et MmeB..., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la ville de Paris demande au titre des frais exposés pour sa défense ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 18 février 2016 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La ville de Paris est condamnée à verser à M. et Mme B...une somme de 10 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 septembre 2014. Les intérêts échus le 14 avril 2016 et à chaque échéance annuelle successive seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : La ville de Paris versera une somme de 1 500 euros à M. et Mme B...en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la ville de Paris tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... B...et à la ville de Paris.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2017, à laquelle siégeaient :

- Mme Pellissier, présidente de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Legeai, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 novembre 2017.

Le rapporteur,

A. LEGEAILa présidente,

S. PELLISSIER Le greffier,

M.A... La République mande et ordonne au préfet de la région Ile de France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 16PA01285


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-04-01 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Responsabilité et illégalité. Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: M. Alain LEGEAI
Rapporteur public ?: M. ROMNICIANU
Avocat(s) : SCP NICOLAY DE LANOUVELLE HANNOTIN

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Date de la décision : 16/11/2017
Date de l'import : 28/11/2017

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 16PA01285
Numéro NOR : CETATEXT000036070530 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2017-11-16;16pa01285 ?
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