Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 11 mars 2016 par laquelle le préfet de police lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour.
Par un jugement n°1610870/1-3 du 30 novembre 2016, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du préfet de police du 11 mars 2016 et a enjoint au préfet de police de délivrer à Mme C...un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 2 février 2017, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 30 novembre 2016 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme C...devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- le jugement du Tribunal administratif de Paris du 30 novembre 2016 est irrégulier car il a été rendu en méconnaissance de l'article R. 611-1 du code de justice administrative ;
- la reconnaissance de paternité effectuée par M. B...en faveur de l'enfant de Mme C...revêt un caractère frauduleux ;
- les autres moyens soulevés en première instance par Mme C...ne sont pas fondés.
Par deux mémoires en défense enregistrés le 22 septembre et le 19 octobre 2017, MmeC..., représentée par Me Boitel, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à titre principal, à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de délivrer à Mme C...un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à venir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation dans le même délai et de lui délivrer durant cet examen une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail, sous la même astreinte ;
3°) à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 19910 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par le préfet de police ne sont pas fondés ;
- elle travaille, participe au financement de son propre hébergement, vit avec son enfant, s'en occupe et contribue effectivement à son entretien et à son éducation ;
- la décision en litige est intervenue en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle a été prise irrégulièrement sans consultation de la commission du titre de séjour, en violation de l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Mme C...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 30 mai 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Niollet,
- et les observations de Me Boitel pour MmeC....
1. Considérant que Mme C...ressortissante centrafricaine née le 6 mars 1995 à Brégoea (République Centrafricaine), qui a soutenu être entrée en France le 8 novembre 2012, a, le 7 mars 2013, donné naissance à Paris à un enfant, Ahmat, reconnu par anticipation le 12 février 2013 par M. A...B..., ressortissant français ; qu'elle a alors demandé un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement du 6°) de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, titre qui a lui a été refusé par une décision du préfet de police du 11 mars 2016 au motif que la reconnaissance de paternité faite par M. B...aurait été effectuée afin de permettre frauduleusement la délivrance d'un titre de séjour à MmeC... ; que le préfet de police fait appel du jugement du 30 novembre 2016 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cette décision ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ", qu'il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer un mémoire ou une pièce contenant des éléments nouveaux est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité ; qu'il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties ;
3.Considérant que, s'il ressort du dossier de première instance que les trois mémoires complémentaires présentés devant le tribunal administratif pour Mme C...les 29 octobre, 8 novembre et 11 novembre 2016, et les pièces alors produites pour établir la réalité d'une vie commune en 2013 avec M.B..., n'ont pas été communiqués au préfet de police, il ressort par ailleurs du jugement attaqué que le tribunal ne s'est fondé sur ces mémoires et sur ces pièces qu'à titre surabondant, après avoir estimé que les circonstances alléguées par le préfet de police ne suffisaient pas à établir le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité ; que le préfet de police n'est donc pas fondé à soutenir que l'absence de communication de ces mémoires aurait porté préjudice à ses droits, ni par conséquent à demander l'annulation du jugement pour ce motif ;
Sur le surplus des conclusions de la requête du préfet de police :
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d' un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 623-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le fait de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d'une protection contre l'éloignement, ou aux seules fins d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende (...) " ;
5. Considérant que si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé ; que ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers ; que tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés ; que, par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français ;
6. Considérant que, pour établir, ainsi qu'il lui revient de le faire, le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité effectuée par M.B..., le préfet de police se borne à faire valoir que Mme C...qui ne justifie pas de la date de son entrée en France, était alors enceinte, qu'elle ne justifie pas davantage d'une vie commune, ou même d'un projet de vie commune avec M.B..., qu'il n'est pas établi que ce dernier entretiendrait des liens avec son enfant et contribuerait effectivement à ses besoins et à son éducation, et que Mme C...se trouve à la charge du SAMU social et d'associations caritatives ; qu'en l'absence d'autres éléments précis et concordants, ces seules circonstances ne peuvent suffire à établir le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité ; que le préfet de police n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 11 mars 2016 ;
Sur les conclusions de Mme C...a fins d'injonction et tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
7. Considérant que dans les circonstances de l'espèce, l'exécution du présent arrêt n'implique pas d'autres mesures que celles déjà prononcées par le tribunal ; que les conclusions de Mme C...à fins d'injonction doivent être rejetées ;
8. Considérant que Mme C...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Boitel, avocat de MmeC..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de ce dernier le versement à Me Boitel d'une somme de 1 500 euros ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Boitel une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Boitel renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme C...est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Mme D....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2017, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Labetoulle, premier conseiller.
Lu en audience publique le 14 novembre 2017.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLETLe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
T. ROBERT
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA00406