La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/03/2017 | FRANCE | N°16PA01388

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 21 mars 2017, 16PA01388


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F...A..., veuve de M. C...E..., a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision par laquelle le ministre de la défense a refusé de l'indemniser sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français et de condamner l'Etat à l'indemniser sur ce fondement, à titre principal, à hauteur de la somme totale de 52 234 937 Francs CFP, à titre subsidiaire, d'ordonner, avant dire droit, un

e expertise afin d'évaluer les préjudices subis par son époux ou, à titre in...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F...A..., veuve de M. C...E..., a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision par laquelle le ministre de la défense a refusé de l'indemniser sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français et de condamner l'Etat à l'indemniser sur ce fondement, à titre principal, à hauteur de la somme totale de 52 234 937 Francs CFP, à titre subsidiaire, d'ordonner, avant dire droit, une expertise afin d'évaluer les préjudices subis par son époux ou, à titre infiniment subsidiaire, d'enjoindre à l'administration de procéder à l'évaluation des préjudices de toute nature imputables à la maladie radio-induite dont il était atteint.

Par un jugement n° 1500261 du 23 février 2016, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 22 avril 2016, Mme F...A..., représentée par le cabinet Teissonière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et Associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement susvisé du Tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) d'annuler la décision du 11 février 2015 par laquelle le ministre de la défense a refusé de l'indemniser sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

3°) à titre principal, de condamner l'Etat à l'indemniser sur ce fondement à hauteur de la somme totale de 52 234 937 Francs CFP, ou à titre subsidiaire, d'enjoindre au ministre de la défense et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) de procéder à l'évaluation des préjudices de toute nature imputables à la maladie dont était atteint son époux, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, le montant de l'indemnisation proposée par le CIVEN étant assorti des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation, avec capitalisation de ces intérêts ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens, ainsi que le versement de la somme

de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son époux entre dans le champ d'application de la loi susvisée ;

- le ministre ne dispose d'aucune mesure de surveillance interne ou externe de la situation sanitaire de son époux et les données dosimétriques dont se prévaut l'administration ne concernent que le rayonnement externe de sorte qu'elles sont impropres à rendre compte du risque de contamination interne certain auquel il a été soumis en raison de ses missions ;

- le CIVEN ne pouvait donc se borner à se référer à ces données dosimétriques externes pour en déduire que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenance de la maladie de l'intéressé était négligeable, de sorte que la présomption de causalité instituée par la loi ne peut être renversée ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 septembre 2016, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale ;

- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dellevedove,

- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,

- et les observations de Me D...pour le cabinet Teissonière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et Associés.

1. Considérant que M. C...E..., né le 27 septembre 1948, a résidé pendant toute la durée des essais nucléaires en Polynésie française ; qu'il a été notamment employé pendant l'année 1969 par le ministère de la défense en qualité de conducteur d'engin lors des travaux d'aménagement des pistes sur les atolls de Fangatufa et de Mururoa ; que M. E...est décédé le 21 février 2004 des suites d'une leucémie, dont le diagnostic a été établi en 2000 ; que, saisi par MmeB..., sa veuve, en qualité d'ayant droit, le Tribunal administratif de la Polynésie française a, par un jugement du 22 juin 2012, rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 novembre 2011 par laquelle le ministre de la défense a refusé de l'indemniser sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français et à ce que soit ordonnée une expertise aux fins d'évaluer les préjudices subis par son époux ; que, par un arrêt du 23 octobre 2014, la Cour de céans a annulé ce jugement ainsi que cette décision et a enjoint au ministre de la défense de réexaminer sa demande d'indemnisation ; qu'à la suite de ce réexamen, le ministre de la défense a, par la décision contestée du 11 février 2015, prise sur la base de la recommandation émise

le 25 novembre 2014 par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), refusé à nouveau d'indemniser Mme A...sur ce même fondement au motif que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie dont était atteint son époux était négligeable ; que Mme A...relève appel du jugement du 23 février 2016 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et à l'indemnisation des préjudices subis par son époux ;

Sur les conclusions à fin d'annulation : :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; qu'aux termes de l'article 4 de cette même loi, dans sa version applicable à la date de la décision contestée : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...). / II. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable (...) / III. (...) le comité présente au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il convient de (...) donner. (...) le ministre, au vu de cette recommandation, notifie son offre d'indemnisation à

l'intéressé ou le rejet motivé de sa demande. (...) " ; que le décret susvisé du

11 juin 2010 pris pour l'application de cette loi comporte en annexe la liste des maladies mentionnées à l'article 1er de la loi ; qu'aux termes de l'article 7 de ce décret, dans sa rédaction alors applicable : " (...) Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. / La documentation relative aux méthodes retenues par le comité d'indemnisation est tenue à la disposition des demandeurs. " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant d'une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant des périodes déterminées, dans des zones géographiques situées en Algérie et en Polynésie française, d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ; que, toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu'il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie que des conditions particulières d'exposition du demandeur, est négligeable ; qu'à ce titre, l'appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu'il exerçait effectivement, ses conditions d'affectation, ainsi que, le cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs et la dose reçue de rayonnements ionisants ;

4. Considérant qu'il est constant qu'en raison de son affectation en Polynésie française pendant la période des essais nucléaires et de la nature de la maladie dont il est décédé,

M. E...réunissait les conditions propres à le faire bénéficier, ainsi que ses ayants droit, de la présomption de causalité prévue par la loi ; que MmeB..., sa veuve, soutient que le ministre ne pouvait remettre en cause cette présomption en s'appuyant sur la méthodologie du CIVEN en l'absence de mesures de surveillance individuelle de contamination externe ou interne et en l'absence de mesures de dosimétrie d'ambiance pertinentes, alors qu'il séjournait dans le périmètre des retombées d'essais nucléaires et était affecté à l'aménagement des pistes sur les atolls de Fangatufa et de Mururoa ;

5. Considérant que le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants constitue l'un des éléments sur lequel l'autorité chargée d'examiner la demande peut se fonder afin d'évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires ; que si, pour ce calcul, l'autorité peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, et sont ainsi de nature à établir si le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable ; qu'en l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à cette même autorité de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires ; que si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être regardé comme négligeable et la présomption de causalité ne peut être renversée ;

6. Considérant que la méthode retenue par le CIVEN pour évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires, s'appuie dans son principe sur une pluralité de critères, recommandés par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), notamment sur les conditions particulières d'exposition de l'intéressé, et qui, pour le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants, prend en compte, au titre de la contamination externe, les résultats de mesures de surveillance individuelles ou collectives disponibles ou en leur absence, la dose équivalente à la valeur du seuil de détection des dosimètres individuels pour chaque mois de présence basée sur des données de surveillance radiologique atmosphérique permanente effectuée dans les centres d'essais nucléaires, et, au titre de la contamination interne, les résultats des mesures individuelles de surveillance, ou en leur absence, les résultats des mesures de surveillance d'individus placés dans des situations comparables ; que ces critères, ainsi qu'il a été dit ci-dessus aux points 3 et 5, ne méconnaissent pas les dispositions de la loi et permettent, sur ce fondement, d'établir, le cas échéant, le caractère négligeable du risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie dont souffre l'intéressé ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de la recommandation susmentionnée du CIVEN, et il n'est pas contesté que, entre le 1er février et

le 31 décembre 1969, période au cours de laquelle n'a eu lieu aucun essai nucléaire, M. E...a été employé par le ministère de la défense en qualité de conducteur d'engin pour l'aménagement des pistes sur les atolls de Fangatufa et de Mururoa ; que, toutefois, en l'absence de précision par le ministre concernant les conditions concrètes d'intervention de son préposé, le CIVEN a examiné les hypothèses d'exposition aux rayonnements ionisants de l'intéressé sur chacun de ces atolls ; qu'au titre de la participation à la réfection de la piste d'aviation de Fangatufa, endommagée par l'essai Canopus du 24 août 1968, réalisée du 14 novembre 1968 au 25 février 1969, et à la réfection de la route dite " empereur " sur cet atoll

du 10 au 25 février 1969, le CIVEN a estimé la dose efficace inhalée par l'intéressé à 0,34 mSv à partir des données de dosimétrie d'ambiance ou de données reconstituées, sans se référer expressément à des mesures individuelles de surveillance de personnes se trouvant dans une situation professionnelle comparable au regard du risque de contamination interne ; qu'autre titre de la participation aux travaux de réfection de la piste d'aviation de Mururoa, le CIVEN a estimé la dose efficace inhalée par l'intéressé comme négligeable (0,005 mSv) à partir de données analogues ; qu'en tenant compte, en sus, de la localisation du domicile de l'intéressé à Tahiti et de la dosimétrie d'ambiance mesurée à cet endroit sur la période des essais nucléaires atmosphériques de 1966 à 1974, hormis sur l'année 1969, le CIVEN a retenu au total pour M. E... un niveau de dose d'exposition aux rayonnements ionisants cumulée arrondie

à 3 mSv ; que, compte tenu des conditions de présence de l'intéressé sur les sites expérimentations nucléaires, de la nature des fonctions exercées, de la nature de sa maladie, de la date à laquelle elle a été constatée, ainsi que du niveau de l'exposition retenue correspondant à la dose précitée, le CIVEN a estimé que la probabilité d'une relation de causalité entre cette exposition et la maladie dont M. E...a été atteint, évaluée selon les recommandations de l'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), était de 0,41 %, soit inférieure à 1 %, et en a déduit que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie

de M. E...pouvait être considéré comme négligeable ;

8. Considérant, toutefois, que, si les mesures de dosimétrie d'ambiance relevées à Fangatufa et à Mururoa, entre le 1er février et le 31 décembre 1969, n'ont décelé aucun risque d'exposition externe en l'absence de campagne d'essais atmosphériques, il résulte de l'instruction que les fonctions de M.E..., préposé au maniement d'engins de travaux publics pour la réfection des pistes sur ces atolls, l'ont exposé à un risque particulier de contamination interne dès lors que l'intervention de ces engins impliquait

nécessairement la remise en suspension et l'inhalation de poussières radioactives ; que, dans ces conditions, en l'absence de mesures de surveillance individuelle de la contamination interne ou externe de M.E..., le ministre de la défense ne saurait établir le caractère négligeable de ce risque en se bornant à se référer uniquement à des études effectuées plus de 20 ans après les faits relatives à la contamination résiduelle de ces zones, ou à des analyses théoriques de dosimétrie d'ambiance effectuées à l'époque des essais, ou encore à des évaluations théoriques de doses efficaces reçues par les personnels, utilisées dans les conditions susmentionnées par le CIVEN, sans fournir de mesures de surveillance de la contamination interne de personnes se trouvant dans une situation comparable du point de vue des risques d'exposition encourus ; qu'à défaut d'établir plus précisément les conditions d'emploi de son préposé, le ministre ne saurait pas davantage se borner à soutenir que, ses services n'ayant pu retrouver aucune mesure de surveillance individuelle externe ou interne de l'intéressé, M. E...n'a pu intervenir en zones contrôlées, où les personnels étaient soumis à ces mesures de surveillance individuelle, alors pourtant qu'il résulte de l'instruction que, notamment, la réfection des pistes de Fangataufa à la suite des détériorations engendrées par l'essai Canopus du 24 août 1968 ont nécessité d'être effectuées entièrement en zone contrôlée, que les pistes ont dû être revêtues d'un bitume afin de fixer les poussières lors des terrassements et que M. E...avait déclaré sans être sérieusement contredit qu'il intervenait à proximité des zones indiquées comme contaminées, parmi des personnels dotés de tenues de protection ; qu'ainsi, le ministre de la défense n'établit pas, comme il lui appartient de le faire en vertu des principes exposés au point 5, en l'absence de mesures de surveillance individuelles de la contamination interne ou externe de M. E...et en l'absence de données pertinentes relatives à la situation des personnes se trouvant dans une situation comparable du point de vue du lieu, de la date de séjour et du risque de contamination interne, que de telles mesures n'étaient pas nécessaires au cours de la période susmentionnée au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, ni que le CIVEN pouvait se borner, selon les principes exposés au point 6, à attribuer les doses susmentionnées, pour évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de l'intéressé ; que, dans ces conditions, le ministre de la défense ne peut être regardé comme ayant apporté la preuve du caractère négligeable, au sens des dispositions susmentionnées, du risque attribuable aux essais nucléaires, ni, par voie de conséquence, démontré que la présomption d'imputabilité de la maladie de M. E...aux rayonnements ionisants devait être écartée ; que, dès lors, le ministre de la défense ne pouvait légalement refuser pour ce motif d'indemniser ses ayants droit sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande et à obtenir l'annulation de ce jugement et du refus d'indemnisation qui lui a été opposé par le ministre le 11 février 2015 ;

Sur les conclusions aux fins d'indemnisation et d'injonction :

10. Considérant que le contentieux du régime d'indemnisation institué par la loi susvisée du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français est un contentieux de pleine juridiction ; qu'il appartient, dès lors, au juge saisi de se prononcer lui-même sur les droits des intéressés, sauf à renvoyer à l'administration compétente, et sous son autorité, le règlement de tel aspect du litige dans des conditions précises qu'il lui appartient de fixer ;

11. Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dans sa rédaction issue de la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale : " I - Les demandes d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, qui se prononce par une décision motivée dans un délai de huit mois suivant le dépôt du dossier complet (...) / VI. - Les modalités de fonctionnement du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, les éléments que doit comporter le dossier présenté par le demandeur, ainsi que les modalités d'instruction des demandes, et notamment les modalités permettant le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense, sont fixés par décret en Conseil d'Etat (...) " ; qu'aux termes de l'article 5 de la loi précitée du 5 janvier 2010 : " L'indemnisation est versée sous forme de capital. / Toute réparation déjà perçue par le demandeur à raison des mêmes chefs de préjudice, et notamment le montant actualisé des pensions éventuellement accordées, est déduite des sommes versées au titre de l'indemnisation prévue par la présente loi. " ; qu'aux termes du III de l'article 54 de la loi du 18 décembre 2013 : " Le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires continue d'instruire les demandes d'indemnisation, dans la composition qui est la sienne à la date de promulgation de la présente loi, jusqu'à l'entrée en vigueur du décret en Conseil d'Etat prévu au VI de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 précitée, puis des décrets de nomination correspondant à la nouvelle composition du comité " ; que le décret du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, pris en application du VI de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 prévoit, dans son article 12 que : " le comité peut faire réaliser des expertises. Lorsque le comité recourt à des expertises médicales, le demandeur est convoqué (...). Il peut se faire assister d'un médecin de son choix. / (...) Le rapport de l'expert médical chargé de l'examen du demandeur doit être adressé dans les vingt jours au comité d'indemnisation par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ainsi qu'au demandeur, par l'intermédiaire du médecin qu'il désigne et, le cas échéant, au médecin qui l'a assisté (...) " ; qu'aux termes de l'article 17 de ce décret : " les modalités de fonctionnement et les règles de procédure définies par le présent décret ne s'appliquent qu'à compter de l'installation du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires dans les conditions prévues par le III de l'article 54 de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 susvisée " ; que les membres du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires ont été désignés par un décret du 24 février 2015, publié au Journal officiel du 26 février 2015 ;

12. Considérant que Mme A...a droit, sur le fondement de la loi précitée, à l'indemnisation intégrale des dommages ainsi subis par son époux ; qu'elle demande de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 52 234 937 Francs CFP, correspondant selon elle aux dommages patrimoniaux et extra patrimoniaux subis par son époux du fait de sa maladie radio-induite ; qu'il résulte de l'instruction qu'en l'absence d'éléments suffisamment précis produits par l'intéressée de nature à justifier le chiffrage des différents postes dont elle revendique le règlement, ceci ne permet pas à la Cour d'évaluer l'étendue et le montant de cette indemnisation ; que, dès lors, il y a lieu, sur le fondement l'article 12 du décret susvisé du 5 janvier 2010, d'enjoindre au CIVEN de présenter à Mme A...une proposition d'indemnisation de l'intégralité des dommages subis par son époux, après avoir, le cas échéant, fait réaliser une expertise ;

Sur les intérêts et leur capitalisation :

13. Considérant que Mme A...demande le versement des intérêts de droit sur le montant de l'indemnisation qui lui est due à compter de la date de sa première demande ; qu'il y a lieu, en application de l'article 1153 du code civil, de faire droit à ces conclusions à compter du 22 février 2011, date à laquelle elle a présenté un dossier complet de demande d'indemnisation sur le fondement de la loi susmentionnée du 5 janvier 2010 modifiée ; qu'elle sollicite par ailleurs, pour la première fois en appel, dans sa requête enregistrée le 22 avril 2016, la capitalisation des intérêts ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande, à compter du 22 avril 2016 et à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date ;

Sur les dépens :

14. Considérant que la présente instance ne comportant pas de dépens, les conclusions y afférentes de Mme A...doivent être rejetées ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice

administrative :

15. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A...et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de la Polynésie française du 23 février 2016 et la décision du ministre de la défense du 11 février 2015 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, après avoir, le cas échéant, diligenté une expertise, de présenter à Mme A...une proposition d'indemnisation de l'intégralité des dommages subis par M. C...E...du fait de l'affection dont il est décédé, dans le délai de deux mois, à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le montant de l'indemnisation due à MmeB..., en vertu de l'article 2, portera intérêts au taux légal à compter du 22 février 2011. Les intérêts échus le 22 avril 2016, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : L'Etat versera à Mme A...la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F...A..., veuve de M. C...E..., au ministre de la défense et au Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Délibéré après l'audience du 21 février 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Even, président de chambre,

- Mme Hamon, président assesseur,

- M. Dellevedove, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 mars 2017.

Le rapporteur,

E. DELLEVEDOVELe président,

B. EVEN

Le greffier,

S. GASPAR La République mande et ordonne au ministre de la défense en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16PA01388


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA01388
Date de la décision : 21/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Ermès DELLEVEDOVE
Rapporteur public ?: Mme ORIOL
Avocat(s) : CABINET TEISSONNIERE-TOPALOFF-LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2017-03-21;16pa01388 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award