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21/03/2017 | FRANCE | N°16PA00500

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 21 mars 2017, 16PA00500


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...D...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 19 décembre 2013 par laquelle le ministre de la défense a refusé de l'indemniser sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices ainsi subis et d'enjoindre au ministre de procéder à l'évaluation de ses préjudices.

Par un jugement n° 1304095 du 1er décembre 2015, le Tribuna

l administratif de Melun a annulé la décision susvisée et enjoint au comité d'indemni...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...D...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 19 décembre 2013 par laquelle le ministre de la défense a refusé de l'indemniser sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices ainsi subis et d'enjoindre au ministre de procéder à l'évaluation de ses préjudices.

Par un jugement n° 1304095 du 1er décembre 2015, le Tribunal administratif de Melun a annulé la décision susvisée et enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de procéder à l'évaluation de l'indemnité due à M.D....

Procédure devant la Cour :

Par un recours, enregistré le 4 février 2016, le ministre de la défense demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement susvisé du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D...devant le Tribunal administratif de Melun ;

Il soutient que :

- l'intéressé n'était pas professionnellement exposé aux rayonnements ionisants et ne participait pas aux tirs en sorte qu'il n'était pas nécessaire qu'il bénéficie d'une surveillance par dosimétrie individuelle ;

- la méthode utilisée par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a été correctement appliquée ;

- la présomption de causalité instituée par la loi doit être renversée dès lors que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenance de la maladie de l'intéressé a été évalué comme étant négligeable ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2016, M.D..., représenté par le cabinet Teissonière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et Associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soient mis à la charge de l'Etat les entiers dépens, ainsi qu'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le ministre de la défense sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale ;

- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dellevedove,

- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,

- et les observations de Me C...pour le cabinet Teissonière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et Associés.

.

1. Considérant que M.D..., appelé du contingent, a été affecté du

15 juin 1972 au 18 janvier 1973 au 502ème groupement de transport, stationné sur l'atoll de Hao, en Polynésie française ; qu'il a participé en qualité de chauffeur de véhicules légers et de poids lourds au transport de prélèvements de radioéléments et de citernes d'eau destinées à la décontamination au profit du centre d'expérimentation du Pacifique lors des quatre essais nucléaires atmosphériques qui ont eu lieu sur l'atoll de Mururoa pendant cette période ; qu'il est atteint d'un cancer du colon dont le diagnostic a été établi en 2005 ; que, par la décision contestée du 19 décembre 2013, prise conformément à la recommandation émise le

22 janvier 2013 par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), le ministre de la défense a refusé de l'indemniser sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français au motif que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de sa maladie était négligeable ; que le ministre de la défense fait appel du jugement du 1er décembre 2015 par lequel le Tribunal administratif de Melun a annulé la décision précitée et enjoint au CIVEN de procéder à l'évaluation de l'indemnité due à M.D... ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; qu'aux termes de l'article 4 de cette même loi, dans sa version applicable à la date de la décision contestée : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...). / II. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable (...) / III. (...) le comité présente au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il convient de (...) donner. (...) le ministre, au vu de cette recommandation, notifie son offre d'indemnisation à l'intéressé ou le rejet motivé de sa demande. (...) " ; que le décret susvisé du 11 juin 2010 pris pour l'application de cette loi comporte en annexe la liste des maladies mentionnées à l'article 1er de la loi ; qu'aux termes de l'article 7 de ce décret, dans sa rédaction alors applicable : " (...) Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. / La documentation relative aux méthodes retenues par le comité d'indemnisation est tenue à la disposition des demandeurs. " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant d'une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant des périodes déterminées, dans des zones géographiques situées en Algérie et en Polynésie française, d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ; que, toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu'il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie que des conditions particulières d'exposition du demandeur, est négligeable ; qu'à ce titre, l'appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu'il exerçait effectivement, ses conditions d'affectation, ainsi que, le cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs et la dose reçue de rayonnements ionisants ;

4. Considérant qu'il est constant qu'en raison de son affectation en Polynésie française pendant la période des essais nucléaires et de la nature de la maladie dont il est atteint,

M. D...réunit les conditions propres à le faire bénéficier de la présomption de causalité prévue par la loi ; que l'intéressé fait valoir que le ministre ne pouvait remettre en cause cette présomption en s'appuyant sur la méthodologie du CIVEN en l'absence de mesures de surveillance individuelle de contamination externe ou interne, alors qu'il séjournait dans le périmètre des retombées d'essais nucléaires ;

5. Considérant que le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants constitue l'un des éléments sur lequel l'autorité chargée d'examiner la demande peut se fonder afin d'évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires ; que si, pour ce calcul, l'autorité peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, et sont ainsi de nature à établir si le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable ; qu'en l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à cette même autorité de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires ; que si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être regardé comme négligeable et la présomption de causalité ne peut être renversée ;

6. Considérant que la méthode retenue par le CIVEN pour évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires, s'appuie dans son principe sur une pluralité de critères, recommandés par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), notamment sur les conditions particulières d'exposition de l'intéressé, et qui, pour le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants, prend en compte, au titre de la contamination externe, les résultats de mesures de surveillance individuelles ou collectives disponibles ou en leur absence, la dose équivalente à la valeur du seuil de détection des dosimètres individuels pour chaque mois de présence basée sur des données de surveillance radiologique atmosphérique permanente effectuée dans les centres d'essais nucléaires, et, au titre de la contamination interne, les résultats des mesures individuelles de surveillance, ou en leur absence, les résultats des mesures de surveillance d'individus placés dans des situations comparables ; que ces critères, ainsi qu'il a été dit ci-dessus aux points 3 et 5, ne méconnaissent pas les dispositions de la loi et permettent, sur ce fondement, d'établir, le cas échéant, le caractère négligeable du risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie dont souffre l'intéressé ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment de l'extrait des services

de M. D...établi par le ministère de la défense, de son dossier médical et de la recommandation susmentionnée du CIVEN, et qu'il n'est pas contesté que, pendant sa période d'affectation en Polynésie française du 15 juin 1972 au 18 janvier 1973, au cours de laquelle ont eu lieu quatre essais nucléaires atmosphériques, l'intéressé n'a fait l'objet d'aucune mesure de surveillance individuelle de la contamination interne ou externe ; que, cependant, le CIVEN lui a attribué forfaitairement une dose totale d'exposition aux rayonnements ionisants de 0,6 mA... sur cette période, correspondant aux deux mois de juin et de juillet 1972 pendant lesquels se sont déroulés les essais, sans se référer expressément à une quelconque valeur de dosimétrie d'ambiance, au motif qu'il n'aurait pas été affecté à des travaux radiologiquement exposés ; que, compte tenu des conditions de présence de l'intéressé sur les sites d'expérimentations nucléaires, de la nature des fonctions exercées, de la nature de sa maladie, de la date à laquelle elle a été constatée, ainsi que du niveau de l'exposition retenue correspondant à la dose précitée, le CIVEN a estimé que la probabilité d'une relation de causalité entre cette exposition et la maladie dont

M. D...a été atteint, évaluée selon les recommandations de l'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), était de 0,02 %, soit inférieure à 1 %, et en a déduit que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de M. D...pouvait être considéré comme négligeable ;

8. Considérant que le ministre de la défense soutient que, en raison de l'affectation de M. D...sur l'atoll de Hao, qui est situé à 470 km de Mururoa et des précautions prises en termes de surveillance atmosphérique, aucune mesure de surveillance individuelle de l'intéressé n'était nécessaire ; que, toutefois, d'une part, le ministre de la défense ne fournit aucune mesure de dosimétrie d'ambiance relevée sur cet atoll pendant le séjour de M. D...; que, d'autre part, il n'est pas contesté que l'intéressé avait notamment pour mission de transporter les ogives contaminées et les échantillons de radioéléments prélevés par les avions dans le nuage radioactif, ainsi que de participer à la décontamination de ces avions en y transportant les citernes d'eau nécessaires ; que ces interventions sur les aires de décontamination l'ont exposé à un risque particulier d'irradiation interne alors même que M. D...précise qu'il était doté d'une combinaison et d'un masque de protection contre les contaminations ; que, dans ces conditions, le ministre de la défense n'établit pas, comme il lui appartient de le faire en vertu des principes exposés au point 5, en l'absence de telles mesures de surveillance individuelle de la contamination externe ou interne de M. D...au cours des essais atmosphériques, et en l'absence de données relatives aux cas de personnes se trouvant dans une situation comparable du point de vue du lieu, de la date de séjour et les conditions d'exposition, que de telles mesures n'étaient pas nécessaires au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, ni que le CIVEN pouvait se borner, selon les principes exposés au point 6, à attribuer la dose forfaitaire susmentionnée, pour évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de l'intéressé ; qu'ainsi, le ministre de la défense ne peut être regardé comme ayant apporté la preuve du caractère négligeable, au sens des dispositions susmentionnées, du risque attribuable aux essais nucléaires, ni, par voie de conséquence, démontré que la présomption d'imputabilité de la maladie de M. D...aux rayonnements ionisants devait être écartée ; que, dès lors, le ministre de la défense ne pouvait, par la décision contestée du

19 décembre 2013, légalement refuser pour ce motif d'indemniser M. D...sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de la défense n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a annulé la décision susvisée du 19 décembre 2013 et a enjoint à l'administration de procéder à l'évaluation de l'indemnité due à M.D... ;

Sur les dépens :

10. Considérant que la présente instance ne comportant pas de dépens, les conclusions y afférentes de M.D... ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant que les conclusions de M. D...tendant à ce que soit mise à la charge du CIVEN le versement d' une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être regardées comme dirigées contre l'Etat ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. D... ;

DECIDE :

Article 1er : Le recours du ministre de la défense est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à M. D...la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de M. D...relatives aux dépens sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la défense, à M. B...D...et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Délibéré après l'audience du 21 février 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Even, président de chambre,

- Mme Hamon, président assesseur,

- M. Dellevedove, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 mars 2017.

Le rapporteur,

E. DELLEVEDOVELe président,

B. EVEN

Le greffier,

S. GASPAR

La République mande et ordonne au ministre de la défense en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16PA00500


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA00500
Date de la décision : 21/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Ermès DELLEVEDOVE
Rapporteur public ?: Mme ORIOL
Avocat(s) : CABINET TEISSONNIERE-TOPALOFF-LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2017-03-21;16pa00500 ?
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