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21/03/2017 | FRANCE | N°15PA04166

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 21 mars 2017, 15PA04166


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 10 octobre 2014 par laquelle le ministre de la défense a refusé de l'indemniser sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices ainsi subis et d'enjoindre au ministre de procéder à l'évaluation de ses préjudices.

Dans le cadre de la même instance, la cais

se de prévoyance sociale de la Polynésie française a demandé au Tribunal administrati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 10 octobre 2014 par laquelle le ministre de la défense a refusé de l'indemniser sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices ainsi subis et d'enjoindre au ministre de procéder à l'évaluation de ses préjudices.

Dans le cadre de la même instance, la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 684 258 FCFP, correspondant aux prestations en nature servie pour le traitement de la maladie de M.B....

Par un jugement n° 1400264 du 18 août 2015, le Tribunal administratif de la Polynésie française a annulé la décision susvisée, enjoint au ministre de la défense de faire à M. B...une offre tendant à l'indemnisation intégrale des préjudices subis imputables à sa pathologie radio-induite, au besoin en saisissant le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, et rejeté les conclusions de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 17 novembre 2015, la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, représentée par la SCP Baraduc-Duhamel-Rameix, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement susvisé du Tribunal administratif de la Polynésie française en tant qu'il rejette ses conclusions dirigées contre l'Etat ;

2°) de faire droit intégralement à ses conclusions de première instance et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 684 258 FCFP, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- en tant que subrogée dans les droits de la victime, elle peut se prévaloir de la présomption de causalité instituée par la loi et rechercher la responsabilité de l'Etat, auteur des dommages subis ;

- le tribunal a dénaturé les écritures de l'exposante ainsi que les faits de l'espèce en ce qu'il avait énoncé qu'aucune faute de l'Etat n'était établie ou même alléguée alors que la faute était non seulement alléguée mais établie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2016, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le jugement est suffisamment motivé en ce qu'il rejette les conclusions de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française ;

- le jugement n'est entaché d'aucune erreur de droit en ce qu'il rejette les conclusions de la caisse dès lors que la loi ne prévoit pas un régime de responsabilité sans faute de l'Etat, mais institue un régime d'indemnisation au titre de la solidarité nationale en sorte que l'Etat n'est pas " tiers responsable " des dommages au sens du fondement réglementaire que la caisse invoque ;

- en l'absence de toute faute établie ou même alléguée qui serait imputable à l'Etat, la caisse requérante n'est pas fondée à se prévaloir de la responsabilité pour faute de l'Etat.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- la délibération de l'assemblée territoriale de la Polynésie française n° 74-22 du

14 février 1974 modifiée instituant un régime d'assurance maladie invalidité au profit des travailleurs salariés ;

- l'avis du Conseil d'Etat n° 400 375 du 17 octobre 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dellevedove,

- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,

- et les observations de Me C...pour le cabinet Teissonière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et Associés.

1. Considérant que M.B..., sous-officier de carrière, a été affecté en Polynésie française, au 5ème Régiment mixte du Pacifique de la Légion étrangère, au cours de quatre séjours intervenus entre mai 1967 et novembre 1982 ; qu'il a participé notamment en qualité de chef de chantier à divers travaux de nettoyage et d'assainissement sur l'atoll de Mururoa au profit du centre d'expérimentation du Pacifique, lors des campagnes d'essais nucléaires atmosphériques et souterrains menés sur les atolls de Mururoa et de Fangataufa ; qu'il est atteint d'un cancer de la vessie dont le diagnostic a été établi en 2005 ; que, par la décision contestée du 10 octobre 2014, prise conformément à la recommandation émise le 22 octobre 2013 par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), le ministre de la défense a refusé de l'indemniser sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français au motif que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de sa maladie était négligeable ; que, par le jugement attaqué du 18 août 2015, le Tribunal administratif de la Polynésie française a annulé la décision précitée, enjoint au ministre de la défense de faire à M. B...une offre tendant à l'indemnisation intégrale des préjudices imputables à sa pathologie et rejeté les conclusions de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme correspondant aux frais médicaux exposés pour le traitement de la maladie de l'intéressé ; que la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française fait appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française soutient que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé en ce que les premiers juges ont écarté ses conclusions en estimant qu'elles n'entraient pas dans le champ d'application de la présomption de causalité instituée par la loi du 5 janvier 2010 sans avoir précisé le fondement du recours subrogatoire de la caisse, ni exposé le raisonnement justifiant cette affirmation, ni indiqué les raisons pour lesquelles la caisse, subrogée dans les droits de la victime, ne pourrait bénéficier des mêmes droits que cette dernière ;

3. Considérant qu'il résulte des termes mêmes du jugement attaqué que les premiers juges, après avoir rappelé les textes applicables et notamment les dispositions de l'article 42 de la délibération de l'assemblée territoriale de la Polynésie française du 14 février 1974 modifiée instituant un régime d'assurance maladie invalidité au profit des travailleurs salariés, qui instaurent un mécanisme de recours subrogatoire pour la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, ont estimé que la loi du 5 janvier 2010 susvisée avait pour objet d'assurer l'indemnisation des victimes des essais nucléaires au titre de la solidarité nationale, et que la caisse ne pouvait donc exercer le recours subrogatoire prévu par l'article 42 précité à l'encontre de l'Etat, qui n'a pas la qualité de tiers responsable au sens de ces dispositions ; que le jugement est ainsi suffisamment motivé sur ce point ; qu'à supposer que la caisse requérante ait par ailleurs entendu soulever un moyen tiré de l'existence d'une contrariété de motifs tenant au fait que les premiers juges ont affirmé à la fois que la caisse était subrogée dans les droits de la victime et qu'elle ne pouvait bénéficier des mêmes droits que cette dernière, ce moyen se rapporte en tout état de cause au bien-fondé et non à la régularité du jugement attaqué ;

Sur le fond :

4. Considérant que la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, se prévalant de la qualité de subrogée dans les droits de la victime, demande à la Cour de condamner l'Etat à lui rembourser le montant des frais médicaux exposés pour le traitement de la maladie de M. B...;

5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :

" Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conservent contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel " ; qu'aux termes de l'article 42 de la délibération susvisée de l'assemblée territoriale de la Polynésie française du 14 février 1974 modifiée instituant un régime d'assurance maladie invalidité au profit des travailleurs salariés : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, l'accident ou la blessure dont l'assuré est victime est imputable à un tiers, l'organisme de gestion est subrogé de plein droit à l'intéressé ou à ses ayants droit dans leur action contre le tiers responsable pour le remboursement des dépenses que lui occasionne l'accident ou la blessure. (...) " ;

6. Considérant que les recours des tiers payeurs ayant versé des prestations à la victime d'un dommage corporel, organisés par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale s'agissant des caisses de sécurité sociale et par la délibération du 14 février 1974 de l'assemblée territoriale de la Polynésie française s'agissant des organismes de sécurité sociale de cette collectivité, s'exercent à l'encontre des auteurs responsables du dommage dont souffre la victime ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 modifiée relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette même loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; qu'il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi, que le législateur, prenant acte de ce que la mise en oeuvre des différents régimes de responsabilité n'avait pas permis d'assurer une indemnisation satisfaisante des victimes des essais nucléaires français, a entendu faciliter l'indemnisation des personnes souffrant d'une maladie radio-induite en raison de leur exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français ;

8. Considérant que la loi du 5 janvier 2010 a chargé le CIVEN, qui a le statut d'autorité administrative indépendante depuis la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013, d'instruire les demandes d'indemnisation reçues au titre de la loi ; qu'en vertu du V de l'article 4 de cette loi modifiée : " Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé (...) " ; que le III du même article dispose que : " Les crédits nécessaires à l'accomplissement des missions du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires sont inscrits au budget des services généraux du Premier ministre " ; que l'article 6 de la loi du 5 janvier 2010 précise que : " L'acceptation de l'offre d'indemnisation vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil et désistement de toute action juridictionnelle en cours. Elle rend irrecevable toute autre action juridictionnelle visant à la réparation des mêmes préjudices " ; que l'étude d'impact du projet de loi indique que : " La création d'un tel dispositif devrait induire une réduction du nombre des contentieux, notamment les recours en responsabilité dirigés contre l'Etat " ;

9. Considérant que l'indemnisation qui incombe sous certaines conditions au CIVEN, en vertu des dispositions de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, a pour objet d'assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation du dommage subi par les victimes des essais nucléaires français, et non de reconnaître que l'Etat, représenté par le CIVEN, aurait la qualité d'" auteur responsable " ou de " tiers responsable " des dommages ; que, par suite, les recours des tiers payeurs ayant versé des prestations à la victime d'un dommage corporel, organisés par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale s'agissant des caisses de sécurité sociale et par la délibération du 14 février 1974 de l'assemblée territoriale de la Polynésie française s'agissant des organismes de sécurité sociale de cette collectivité, ne peuvent être exercés sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 ;

10. Considérant que ces recours peuvent en revanche être exercés par les organismes de sécurité sociale à l'encontre de l'Etat dans les conditions de droit commun d'engagement de la responsabilité administrative ; que cette responsabilité de l'Etat ne peut être retenue que dans l'hypothèse où cet organisme établit, notamment, l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre les préjudices subis par la victime directe et les faits incriminés ; qu'en l'espèce, la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française n'établit pas l'existence d'un tel lien entre la maladie dont souffre M.B..., la victime directe, qui peut avoir des causes multifactorielles, et les conséquences sanitaires des essais nucléaires pratiqués plusieurs années auparavant en Polynésie française ; que, dès lors, la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française n'est, en tout état de cause, pas fondée à demander que l'Etat soit condamné à lui rembourser les frais médicaux exposés pour le traitement de la maladie de M. B...;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice

administrative :

12. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, une partie perdante à l'égard de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, le versement d'une somme au titre des frais exposés par cette caisse ;

DECIDE :

Article 1er : La requête susvisée de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, au ministre de la défense et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN).

Délibéré après l'audience du 21 février 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Even, président de chambre,

- Mme Hamon, président assesseur,

- M. Dellevedove, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 mars 2017.

Le rapporteur,

E. DELLEVEDOVELe président,

B. EVEN

Le greffier,

S. GASPAR

La République mande et ordonne au ministre de la défense en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°15PA04166


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 15PA04166
Date de la décision : 21/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Ermès DELLEVEDOVE
Rapporteur public ?: Mme ORIOL
Avocat(s) : CABINET TEISSONNIERE-TOPALOFF-LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2017-03-21;15pa04166 ?
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