Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A...D...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du préfet de police de Paris du 21 février 2014 par lequel celui-ci lui a retiré son certificat de résidence, l'a obligée à quitter le territoire en lui accordant un délai de 30 jours, et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 1424068/5-3 du 4 mars 2015, le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté du 21 février 2014.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement les 7 avril et 26 octobre 2015, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris du 4 mars 2015 ;
2°) et de rejeter la demande présentée par MmeD....
Il soutient que :
- la demande de première instance est tardive car, à l'occasion de son changement d'adresse intervenu auprès des services préfectoraux le 21 février 2014, ceux-ci lui ont notifié l'arrêté contesté du même jour ;
- l'association agissant pour son compte n'a saisi le préfet pour contester ce retrait que le 30 mai 2014, tandis que le tribunal n'a été saisi que le 23 octobre 2014 ;
- la concordance existante entre la date de remise de son titre de séjour et celle à laquelle elle a quitté le domicile conjugal, démontre l'existence d'une fraude au mariage, qui justifie le retrait du certificat de résidence ;
- ni la main courante du 28 octobre 2013, ni le certificat médical joint au mémoire enregistré le 12 février 2015, ne peuvent fonder le jugement attaqué qui pourra être annulé pour irrégularité en raison de la méconnaissance du principe du contradictoire ;
- pour le surplus il reprend ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 août 2015, MmeD..., représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement du 4 mars 2015, et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- sa demande introduite devant le tribunal administratif était recevable en raison de l'irrégularité de la notification de l'arrêté contesté ;
- la corrélation entre la réception de son titre de séjour, le 22 octobre 2013 et son expulsion du domicile conjugal, le 28 octobre 2013, n'est pas établie dès lors qu'elle a décidé de se séparer de son époux en raison des violences qu'il lui infligeait ;
- la fraude au mariage alléguée par le préfet n'est donc pas établie ;
- le retrait d'un titre de séjour est exclu en cas de violences conjugales ;
- elle justifie par ailleurs d'une véritable intégration professionnelle et l'absence de toute menace à l'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Privesse a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que Mme A...D..., née le 13 avril 1981, de nationalité algérienne, est régulièrement entrée en France le 7 mars 2013 sous couvert d'un visa de court séjour, afin de rejoindre son mari avec lequel elle s'était mariée le 1er avril 2010 en Algérie ; qu'elle a été mise en possession, le 22 octobre 2013, d'une carte de résident valable du 11 juillet 2013 au 10 juillet 2023 ; qu'après l'avoir invitée, le 17 décembre 2013, à produire ses observations concernant la décision de retrait de son certificat de résident qu'il envisageait de prendre, le préfet a pris cette décision par l'arrêté contesté du 21 février 2014, en assortissant ce retrait d'une obligation de quitter le territoire français et en fixant le pays de destination ; que l'intéressée, après avoir saisi en référé le Tribunal administratif de Paris le 24 avril 2014 pour se voir restituer ce certificat de résidence, en vain, a demandé à l'association " Cimade " d'exercer un recours administratif auprès du préfet, le 30 mai 2014, qui a été reçu le 3 juin 2014, et a été rejeté implicitement ; que le préfet de police relève appel du jugement du 4 mars 2015 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que les premiers juges ne se sont pas fondés sur la main courante du 28 octobre 2013, ni sur le certificat médical joint au mémoire produit par Mme D...enregistré le 12 février 2015 ; que, par suite, en dépit de la circonstance que ces pièces n'ont pas été communiquées au préfet, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire ne peut qu'être écarté ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet de police tirée de l'irrecevabilité de la demande de première instance :
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme D...a quitté le domicile conjugal à la fin du mois d'octobre 2013, comme en témoigne la main courante déposée le 31 octobre 2013 par son mari au commissariat de police pour signaler le départ de celle-ci ; que le préfet reconnait que la requérante a effectué son changement d'adresse le 21 février 2014 ; que; par suite, la notification du pli contenant la décision litigieuse du 21 février 2014, le 26 février 2014, à l'adresse de son mari, qui ne tient pas compte du changement d'adresse opéré, n'est pas intervenue de manière régulière ; que si le préfet affirme que cet arrêté aurait été remis à l'intéressée lors de sa visite à la préfecture le 21 février 2014, il ne l'établit pas ; qu'en outre, la saisine du préfet réalisée par l'association CIMADE, le 30 mai 2014, en vue de contester le retrait du certificat de résidence dont bénéficiait MmeD..., qui n'émane pas directement de l'intéressée, n'a pas davantage fait courir le délai du recours contentieux ; que par suite, la fin de non-recevoir opposée par le préfet, tiré de la tardiveté de la saisine par Mme D...du tribunal administratif doit être écartée ;
Sur la légalité de l'arrêté litigieux, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
4. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 2. Au ressortissant algérien, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française, et lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français (...) / Le premier renouvellement du certificat de résidence délivré au titre du 2 ci-dessus est subordonné à une communauté de vie effective entre les époux. " ; qu'aux termes du quatrième alinéa de l'article 7 bis de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " Le certificat de résidence valable dix ans est délivré de plein droit sous réserve de la régularité du séjour (...) a) au ressortissant algérien marié depuis au moins un an avec un ressortissant de nationalité française, dans les mêmes conditions que celles prévues à l'article 6.2) et au dernier alinéa de ce même article. " ;
5. Considérant qu'il appartient à l'autorité compétente, s'il est établi que le mariage d'un ressortissant étranger avec un conjoint de nationalité française a été contracté dans le but exclusif d'obtenir un titre de séjour, de faire échec à cette fraude ; qu'un titre de séjour obtenu ainsi frauduleusement ne crée aucun droit au bénéfice de l'intéressé et peut donc être retiré à tout moment, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir ; que la circonstance que l'intention matrimoniale d'un des deux époux ne soit pas contestée ne fait pas obstacle, à elle seule, à ce qu'une telle fraude soit établie ;
6. Considérant qu'il n'est pas contesté que le mariage civil de Mme D...avec son conjoint M.B..., de nationalité française, qui a eu lieu le 1er avril 2010 en Algérie, a été retranscrit le 3 juin 2014 sur le registre de l'État-civil français, que l'intéressée est régulièrement entrée en France le 7 mars 2013, qu'elle s'est présentée en préfecture pour obtenir un certificat de résidence sur le fondement du quatrième alinéa précité de l'article 7 bis de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié, et que la communauté de vie avec son époux s'est poursuivie jusqu'à son départ du domicile conjugal à la fin octobre 2013 ; qu'il ressort des pièces du dossier que l'intéressée a déposé une main-courante à l'encontre de son mari au commissariat de police le 23 octobre 2013 en invoquant des violences conjugales ; que, pour retirer le certificat de résidence en cause au motif que Mme D...avait obtenu ce titre de séjour de manière frauduleuse, le préfet de police s'est, par l'arrêté litigieux du 21 février 2014, fondé sur la seule circonstance que la vie commune des époux avait cessé le 31 octobre 2013, soit huit jours seulement après la remise à l'intéressée de son certificat de résidence, le 22 octobre précédent, et sur les déclarations de son époux figurant sur une main-courante déposée par celui-ci le 31 octobre 2013 et un courrier du 27 novembre 2013 adressé à la préfecture ; qu'aucun élément du dossier ne vient corroborer l'affirmation du préfet selon laquelle Mme D...aurait rompu la vie commune avec son mari juste après l'octroi de son certificat de résidence de dix ans, hormis les déclarations de celui-ci qui sont postérieures au départ de son épouse ; que, dès lors, compte tenu de l'ensemble des circonstances entourant la rupture de la vie conjugale entre Mme D...et M. B..., le préfet de police n'établit pas, par des présomptions suffisamment précises et concordantes, que le mariage de la requérante avec un conjoint de nationalité française n'aurait été contracté que dans le but d'obtenir un titre de séjour ; que dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont annulé l'arrêté du 21 février 2014 par lequel le préfet de police a retiré à Mme D...son certificat de résidence, lui a fait obligation de quitter le territoire français, et a fixé le pays de destination ;
7. Considérant que le préfet de police n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 21 février 2014, et lui a enjoint de restituer le certificat de résidence de MmeD... ;
Sur les conclusions relatives à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 :
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat en faveur de Mme D...sur le fondement de ces dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à Mme D...sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...D...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 28 juin 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- M. Privesse, premier conseiller.
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 juillet 2016.
Le rapporteur,
J-C. PRIVESSELe président,
B. EVEN
Le greffier,
A-L. CALVAIRE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA01420