Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. E...A...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 19 novembre 2013 par laquelle le directeur général de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge une somme de 120 400 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et une somme de 11 545 euros au titre de la contribution forfaitaire de frais d'acheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un jugement n° 1400587/3-1 du 8 juillet 2014, le Tribunal administratif de Paris a fait partiellement droit à cette demande en déchargeant M. A...de la somme de 26 945 euros.
Procédure contentieuse devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juillet et 29 septembre 2014, M. A...représenté par MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1400587/3-1 du 8 juillet 2014 ;
2°) à titre principal, d'annuler la décision du 19 novembre 2013, et à titre subsidiaire, de minorer les amendes mises à sa charge en les réduisant à hauteur de 7 000 euros soit 1 000 euros par salarié et de le décharger du surplus ;
3°) de mettre à la charge de l'office français de l'immigration et de l'intégration le versement de la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision attaquée est insuffisamment motivée en fait et en droit ;
- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente ;
- la décision attaquée a été prise au mépris du principe du contradictoire dans la mesure où les faits contenus dans le procès verbal sur lequel elle repose n'ont pas été transmis à M. A...préalablement à l'édiction des sanctions litigieuses ;
- la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit dans la mesure où elle aurait du résulter d'une modulation des taux fixés par l'article L. 8253-1 et suivants du code du travail ;
- l'article L. 8253-1 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, méconnait l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'article L. 8253-1 du code du travail dans sa version issue de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 ne pouvait donc être invoqué au titre de la loi la plus douce et être appliqué en l'espèce ;
- la règle " non bis in idem " interdit l'application cumulée pour les mêmes faits de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire de frais de réacheminement ;
- les faits ne justifient nullement le montant des sommes réclamées, qui sont sans commune mesure aves les ressources de M.A..., puisque les infractions n'ont porté que sur une période courte de six jours et que le recours à ces travailleurs se justifiait par la situation d'urgence dans laquelle se trouvait le propriétaire des locaux ;
- la somme réclamée est donc entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et devait être minorée à hauteur de 1 000 euros par étranger, soit 7 000 euros au total.
Par un mémoire distinct et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement le 28 juillet 2014 et le 28 janvier 2016, M. A...demande à la Cour, en application des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat, aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question de conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 8253-1 du code du travail dans sa version issue de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011.
Il soutient que :
- cet article est contraire au principe de proportionnalité des peines tel que garanti à l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- cet article qui ne fixe aucun maximum légal contrevient au même principe ;
- il méconnait également la règle " non bis in idem ".
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 septembre 2015, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) demande, par un appel incident, l'infirmation du jugement du 8 juillet 2014, en tant qu'il décharge M. A...de la somme de 26 945 euros, le rejet de sa demande devant le tribunal administratif et que soit mise à sa charge la somme de 2 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient pour fonder ses conclusions incidentes tendant à la réformation du jugement en tant qu'il a déchargé M. A...de la somme de 26 945 euros, d'une part, qu'aucune amende pénale n'a été prononcée à l'égard de l'intéressé pour l'emploi d'étrangers sans titre de séjour et, d'autre part, que les dispositions combinées des articles L. 8256-2 du code du travail et L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, fixant une limite de 15 000 euros ne trouvaient pas à s'appliquer en l'espèce, dans la mesure où ce plafond ne s'applique qu'au montant total des sanctions pécuniaires pour l'emploi d'un étranger en situation de séjour irrégulier, ce qui exclut expressément la contribution spéciale relative à l'emploi d'un étranger sans autorisation de travail.
Il soutient, en outre, pour fonder ses conclusions tendant au rejet de la demande de M. A...devant le Tribunal administratif de Paris qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;
- la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- le code du travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code pénal ;
- le code de justice administrative ;
- la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 ;
- la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 ;
- le décret n° 2013-467 du 4 juin 2013.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu,
- les conclusions de M. Cantié, rapporteur public,
- et les observations de Me Sadi-Cottier, avocat de M.A....
1. Considérant que, lors d'un contrôle effectué le 9 mai 2012, dans un restaurant en cours de rénovation à l'enseigne " Il Vagabondo " situé 195, avenue de Choisy à Paris (13ème), les services de police ont constaté que sur les sept personnes travaillant sur place à cette rénovation, aucune n'avait été déclarée, ni ne disposait d'une autorisation de travail ; qu'en outre, seules deux d'entre elles étaient pourvues d'un titre de séjour ; qu'après avoir informé M.A..., par une lettre du 20 septembre 2013, que les dispositions des articles L. 8253-1 du code du travail et L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile lui seraient vraisemblablement appliquées et qu'il disposait d'un délai de quinze jours pour présenter ses observations, l'OFII, par une décision du 19 novembre 2013, a mis à la charge de M. A...une contribution spéciale de 120 400 euros sur le fondement de l'article L. 8253-1 du code du travail et une contribution forfaitaire de frais de réacheminement d'un montant de 11 545 euros sur le fondement de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, M. A...demande à la Cour d'annuler le jugement du 8 juillet 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris n'a fait que partiellement droit à sa demande en le déchargeant de la somme de 26 945 euros ; que, par la voie d'un appel incident, l'OFII demande l'annulation de ce même jugement en tant qu'il a annulé partiellement la décision du 19 novembre 2013 ;
Sur la demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article " ; qu'aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 précité de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat, (...) le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...) Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige " ;
3. Considérant que par une ordonnance du 5 mars 2014, le président de la troisième section du Tribunal administratif de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question que lui avait soumise M. A...de la conformité aux droits et libertés garantis par la constitution de l'article L. 8253-1 du code du travail dans sa version issue de la loi susvisée du 28 décembre 2011, lequel renvoie à l'article L. 8251-1 du même code ; que par un mémoire distinct, intitulé " question prioritaire de constitutionnalité " présenté à l'appui de sa requête d'appel, M. A...doit être regardé comme ayant d'une part, contesté ce refus de transmission et, d'autre part, demandé à la cour de transmettre la même question au Conseil d'Etat en invoquant les mêmes moyens que ceux soulevés devant le tribunal administratif ;
4. Considérant que M. A...fait valoir que l'article L. 8253-1 du code du travail dans sa rédaction issue de l'article 46 de la loi du 28 décembre 2011 susvisée est contraire au principe de proportionnalité des peines tel qu'il résulte de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel " la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée " et au principe constitutionnel " non bis in idem " ; que toutefois, les réponses susceptibles d'être apportées par le Conseil constitutionnel à ces questions sont en tout état de cause sans incidence sur la solution du litige dès lors que ce texte, dans sa version issue de la loi précitée du 28 décembre 2011, n'est pas applicable au litige ; que c'est ainsi à bon droit que le tribunal administratif a jugé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat, aux fins de renvoi au Conseil constitutionnel, la question de la constitutionnalité de ces dispositions ; que, pour les mêmes motifs, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat, la nouvelle question prioritaire de constitutionnalité identique présentée par M.A... en appel ;
Sur l'appel principal de M.A... :
5. Considérant que l'article L. 8251-1 du code du travail dispose : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 8253-1 du même code dans sa rédaction issue de l'article 46 de la loi du 28 décembre 2011 susvisée : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat et est au moins égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 et, en cas de réitération, à 25 000 fois ce même taux " ; qu'aux termes de l'article L. 8253-1 du même code dans sa rédaction issue de l'article 42 de la loi du 29 décembre 2012 susvisée : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 8253-2 du même code dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret du 4 juin 2013 susvisé : " I.-Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. / II.-Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants : / 1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 ; / 2° Lorsque l'employeur s'est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. / III.-Dans l'hypothèse mentionnée au 2° du II, le montant de la contribution spéciale est réduit à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne l'emploi que d'un seul étranger sans titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 8253-6 du code du travail : " l'employeur d'un étranger sans titre s'acquitte par tout moyen, dans le délai mentionné à l'article L. 8252-4, des salaires et indemnités déterminés à l'article L. 8252-2. Il remet au salarié étranger sans titre les bulletins de paie correspondants, un certificat de travail ainsi que le solde de tout compte " ; qu'en outre, aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. Le montant total des sanctions pécuniaires pour l'emploi d'un étranger en situation de séjour irrégulier ne peut excéder le montant des sanctions pénales prévues par les articles L. 8256-2, L. 8256-7 et L. 8256-8 du code du travail ou, si l'employeur entre dans le champ d'application de ces articles, le montant des sanctions pénales prévues par le chapitre II du présent titre ", qu'enfin aux termes de l'article L. 8256-2 du code du travail " Le fait pour toute personne, directement ou par personne interposée, d'embaucher, de conserver à son service ou d'employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France, en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1, est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 15 000 euros. " ;
6. Considérant, en premier lieu, que par un arrêté du 1er novembre 2012, publié au Bulletin Officiel du ministère de l'intérieur n° 2012-10 du 30 décembre 2012, le directeur général de l'OFII a donné délégation à M. C...D..., directeur de l'immigration, à l'effet de signer tous actes, décisions et correspondances " au titre de la mise en oeuvre de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire : les décisions d'application de ces deux contributions, les procédures contradictoires, les décisions de rejet du recours gracieux, etc.. " ; que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision contestée doit donc être écarté ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. A...n'aurait pas eu connaissance des informations contenues dans le procès verbal d'infraction établi le 9 mai 2012, préalablement à l'édiction des sanctions prises à son encontre, le directeur général de l'OFII lui ayant adressé, le 20 septembre 2013, une lettre l'informant des faits qui lui étaient reprochés, de la mise en oeuvre à son égard du dispositif prévu par les articles L. 8253-1 et suivants précités du code du travail et de la possibilité qu'il avait de formuler des observations sous quinze jours ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que l'OFII, en ne portant pas à la connaissance de l'intéressé les informations contenues dans le procès verbal d'infraction, aurait méconnu le principe du contradictoire doit être écarté ;
8. Considérant, en troisième lieu, que les décisions contestées visent les dispositions applicables et comportent en annexe un document précisant les nom et prénom des salariés incriminés et la circonstance que tous étaient démuni de titre autorisant le travail et que cinq d'entre eux étaient également dépourvus de titre autorisant le séjour ; que les éléments de droit et de fait qui fondent ces décisions étant mentionnés, le moyen tiré de l'insuffisance de leur motivation doit être écarté ;
9. Considérant, en quatrième lieu, qu'en vertu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires" ; que découle de ce principe, la règle selon laquelle la loi pénale nouvelle doit, lorsqu'elle abroge une incrimination ou prévoit des peines moins sévères que la loi ancienne, s'appliquer aux auteurs d'infractions commises avant son entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée ; que cette règle s'applique non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi aux sanctions administratives, au nombre desquelles figure la contribution spéciale que doit acquitter, en vertu de l'article L. 8253-1 précité du code du travail, l'employeur qui occupe des étrangers non munis du titre les autorisant à exercer une activité salariée en France ;
10. Considérant que les dispositions précitées des articles L. 8253-1 et R. 8253-2 du code du travail dans leurs rédactions issues respectivement de la loi du 29 décembre 2012 et du décret du 4 juin 2013, précités, sont plus douces que celles applicables à la date de l'infraction résultant de l'article 48 de la loi du 26 décembre 2011 ; que, par suite, c'est à bon droit, que l'OFII en a fait application à l'égard de M.A... ;
11. Considérant, en cinquième lieu, que la contribution spéciale instituée par les articles L. 8253-1 et suivants et R. 8253-2 précités du code du travail appartient "à la matière pénale" au sens des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales suivant lesquelles : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) équitablement (...) par un tribunal qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)" ; qu'ainsi, lorsque le juge administratif est, comme en l'espèce, saisi de conclusions dirigées contre un état exécutoire établi sur le fondement de ces dispositions du code du travail, il lui appartient, après avoir contrôlé les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, de décider, selon le résultat de ce contrôle, soit de maintenir le taux retenu, soit de lui substituer celui des deux autres taux qu'il estime légalement justifié, soit, s'il n'est pas établi que l'employeur se serait rendu coupable des faits visés au premier alinéa de l'article L. 8251-1 précité du code du travail, de le décharger de la contribution spéciale ; qu'en revanche, les dispositions précitées ne l'habilitent pas davantage que l'administration elle-même à moduler les taux qu'elles ont fixés ; que le respect des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'implique pas non plus que le juge module l'application du barème résultant des dispositions précitées ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le montant de la contribution spéciale mise à la charge du requérant sur la base de 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti ne serait pas proportionné à la gravité des infractions commises, en méconnaissance de ces stipulations, ne saurait être accueilli ; que, pour les mêmes motifs, il n'y a pas lieu de moduler le montant de la sanction prise à l'égard de M. A...;
12. Considérant, en sixième lieu, que le procès-verbal d'infraction du 9 mai 2012, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire, mentionne non seulement l'infraction d'emploi de sept étrangers sans autorisation de travail prévue par les dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail et réprimée pénalement par les dispositions ses articles L. 8256-1, mais aussi l'infraction de travail dissimulé, prévue par les dispositions de son article L. 8221-1 et réprimée pénalement par les dispositions de ses articles L. 8224-1 et suivants ; qu'ainsi, la situation de M. A...n'entre pas dans les prévisions du 1° du II de son article R. 8253-2 dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret du 4 juin 2013 susvisé ; que si M. A...produit les bulletins de salaire de ses employés et leur solde de tout compte, soutenant ainsi s'être acquitté spontanément des salaires et indemnités visés par l'article L. 8252-2 du code du travail, il ne démontre ni même n'allègue avoir porté ces informations à la connaissance de l'OFII, lequel soutient d'ailleurs n'avoir rien reçu ; qu'ainsi la situation de M. A... n'entre pas davantage dans les prévisions des 2° du II de l'article R. 8253-2 dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret du 4 juin 2013, susvisé et III de ce même article ; que, par conséquent, c'est à bon droit que le montant de la contribution spéciale a été fixé à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail soit, en l'espèce, à la somme de 120 400 euros ;
13. Considérant, en septième lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. A...n'aurait pas commis intentionnellement les manquements qui lui sont imputables, alors par ailleurs que le procès-verbal d'infraction du 9 mai 2012 témoigne de faits clairement établis ; que la circonstance que ces manquements auraient été commis dans une situation d'urgence, sur une période très courte, et que les sommes réclamées seraient disproportionnées au regard de ses ressources personnelles ne sauraient davantage contredire la réalité des infractions ainsi constatées ;
14. Considérant, en huitième lieu, que les infractions respectivement prévues aux articles L. 626-1 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et L. 8253-1 précité du code du travail ne sanctionnant pas un même manquement ; c'est sans méconnaître le principe " non bis in idem ", auquel la loi peut déroger, que l'OFII a pu poursuivre M. A...au titre de la contribution spéciale en même temps qu'elle l'a poursuivi au titre de la contribution forfaitaire des frais de réacheminement ;
Sur l'appel incident de l'OFII :
15. Considérant que le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction ; que, si l'éventualité que soient engagées deux procédures peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ;
16. Considérant que si M. A...a été condamné au versement de la somme de 11 545 euros au titre de la contribution forfaitaire de frais de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, soit pour l'emploi d'un étranger en situation de séjour irrégulier, il ne résulte pas de l'instruction que M. A...aurait été condamné pour les mêmes faits, dans le cadre d'une composition pénale, au versement d'une amende ; que, par suite, les premiers juges n'étaient pas fondés à juger que M. A...avait fait l'objet, pour l'emploi de travailleurs étrangers en situation irrégulière, d'un cumul de sanction administrative et pénale impliquant que le montant global des sanctions encourues ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une d'entre elles ;
17. Considérant, en outre, qu'il résulte des dispositions combinées des articles précités L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et L. 8256-2 du code du travail, que le montant de 15 000 euros à ne pas dépasser s'applique uniquement aux sanctions pécuniaires pour l'emploi d'un étranger en situation de séjour irrégulier à l'exclusion des sanctions pécuniaires pour l'emploi d'un étranger sans autorisation de travail telles que la contribution spéciale issue de l'article L. 8253-1 précité du code du travail ; qu'ainsi, les premiers juges ne pouvaient tenir compte du montant cumulé des contributions forfaitaire et spéciale pour conclure que le montant global des sanctions prononcées à l'égard de M. A...excédait les 15 000 euros par employé ; que, par suite, c'est à tort, que les premiers juges ont déchargé M. A...de 26 945 euros ; que, dès lors, il y a lieu de ramener à 131 945 euros le montant du par M. A...au titre des contributions forfaitaire de réacheminement et spéciale et de réformer en ce sens le jugement du 8 juillet 2014 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
18. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'OFII qui n'est pas la partie perdante, dans la présente instance, le versement d'une quelconque somme au titre des frais exposés par M. A...et non compris dans les dépens ; qu'il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des mêmes dispositions et de mettre à la charge de M. A... le versement à l'OFII de la somme de 1 500 euros ;
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. A...dans le cadre de la présente instance.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : La somme de 105 000 euros à laquelle M. A...a été condamné, au titre de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire des frais de réacheminement, par un jugement du 7 juillet 2014 du Tribunal administratif de Paris est rétablie à 131 945 euros.
Article 4 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 8 juillet 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 3.
Article 5 : M. A...versera 1 500 euros à l'OFII sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. E...A..., à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 mars 2016.
Le rapporteur,
L. D'ARGENLIEULe président,
B. EVEN
Le greffier,
A-L. CALVAIRELa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14PA03298