Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Éditions Tonkam, anciennement société Scheffer, a demandé au Tribunal administratif de Paris la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignées au titre des exercices clos en 2008 et en 2009, ainsi que la décharge des intérêts de retard correspondants.
Par un jugement n° 1316669/1-3 du 31 octobre 2014, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la requête de la société Éditions Tonkam.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 26 décembre 2014 par télécopie et régularisée le
29 décembre 2014, la société Éditions Tonkam, représentée par MeA..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1316669/1-3 du 31 octobre 2014 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions supplémentaires auxquelles elle a été assujettie et des intérêts de retard correspondants ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la provision pour mévente a pour objet de prendre en compte l'ensemble des tirages effectués sans tenir compte du fait que certains d'entre eux ont pu par la suite être retirés du circuit de vente ; l'instruction 4A-3-01 du 5 mars 2001 traduit l'accord entre la profession et l'administration sur le régime d'évaluation des stocks spécifique au secteur de l'édition du livre ; elle a appliqué strictement l'instruction du 5 mars 2001 qui permettait la prise en compte des spécimens et ouvrages pilonnés pour le calcul de la provision pour mévente ; l'administration ne saurait opposer l'instruction 4A-6-10 du 28 mai 2010 qui est postérieure aux exercices contrôlés ;
- l'éditeur français, qui est confronté à un risque parfaitement répertorié depuis des années, s'engage par contrat à publier un certain nombre de titres dans une série avec un minimum garanti déjà payé et fixé en fonction d'un tirage minimum ; lorsqu'elle constate à la clôture de l'exercice que le minimum garanti n'est pas couvert en raison d'un niveau excessif par rapport au potentiel commercial de la série, elle comptabilise une provision pour dépréciation après la publication ;
- le calcul de la dépréciation est déterminé en fonction des ventes moyennes par titre des ouvrages déjà parus dans la série ; la méthode forfaitaire appliquée est individualisée dès lors que le minimum garanti non couvert est examiné et confronté aux résultats de la commercialisation du livre sur lequel il porte et de la série dans laquelle il s'insère ; contrairement à ce que soutient l'administration, les premiers résultats de commercialisation des ouvrages parus durant les trois derniers mois de l'exercice sont connus lors de l'arrêté des comptes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 avril 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la société requérante n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Cheylan, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Rousset, rapporteur public.
1. Considérant que la société Éditions Tonkam, qui a une activité d'édition de mangas, a comptabilisé, à la clôture des exercices 2008 et 2009, des provisions pour dépréciation de ses stocks de livres calculées selon le barème prévu par l'instruction du 5 mars 2001 ; qu'elle a en outre constitué à la clôture de l'exercice 2009 une provision sur les avances versées aux auteurs à titre de minimum garanti, déterminée en fonction du risque de défaut de couverture de ces avances ; qu'à l'occasion d'une vérification de comptabilité, l'administration a réintégré dans le résultat imposable de la société une partie des provisions pour dépréciation de stocks de livres à concurrence des spécimens et ouvrages pilonnés, au motif que ces derniers, qui n'étaient pas destinés à la revente, ne figuraient pas dans les stocks ; que le service vérificateur a par ailleurs estimé que la provision pratiquée sur les avances sur droits d'auteur ne pouvait pas être admise en déduction pour les titres parus durant les trois derniers mois de l'exercice, le risque lié au taux de couverture des avances n'étant pas déterminé avec une approximation suffisante ; que, par une proposition de rectification du 18 juillet 2011, l'administration a en conséquence notifié à la société Éditions Tonkam, suivant une procédure de rectification contradictoire, des rehaussements en matière d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2008 et 2009 ; que la société Éditions Tonkam relève appel du jugement du 31 octobre 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires auxquelles elle a été assujettie à la suite de ce contrôle, ainsi que des intérêts de retard correspondants ;
Sur les provisions pour dépréciation des stocks de livres :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
2. Considérant qu'aux termes du 3 de l'article 38 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " (...) les stocks sont évalués au prix de revient ou au cours du jour de la clôture de l'exercice, si ce cours est inférieur au prix de revient (...). " ; qu'aux termes du 1 de l'article 39 du même code, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 dudit code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables (...). " ;
3. Considérant qu'il ressort des termes de la proposition de rectification du 18 juillet 2011 et qu'il n'est pas contesté que les spécimens et les ouvrages pilonnés ne figuraient pas dans les stocks de la société à la clôture des exercices vérifiés ; que dès lors la société requérante ne pouvait, sur le fondement des dispositions précitées, comptabiliser une provision pour dépréciation des stocks à concurrence du montant correspondant aux spécimens et aux ouvrages pilonnés ;
En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :
4. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. (...) " ;
5. Considérant que la société requérante invoque les commentaires administratifs contenus au paragraphe 10, a) de l'instruction 4A-3-01 du 5 mars 2001, reproduits dans la documentation de base référencée 4A-2541, paragraphe 25, à jour au 9 mars 2001 ; que selon ces commentaires, une provision pour dépréciation des ouvrages édités peut être constituée " lorsque la cadence effective de vente d'un ouvrage a été inférieure au cours de l'exercice écoulé à la cadence moyenne de vente d'un ouvrage de même catégorie au cours de sa vie normale (...). Pour l'application de ces dispositions, les ouvrages édités s'[en]tendent de l'ensemble des tirages effectués jusqu'au troisième mois (inclus) suivant la date de parution (ouvrages de première catégorie) (...) " ; que le service vérificateur a indiqué, dans sa proposition de rectification du 18 juillet 2011, qu'eu égard aux hésitations constatées dans l'application de l'instruction du 5 mars 2001, la rédaction du dernier alinéa du a) de son paragraphe 10 avait été modifiée par une instruction 4A-6-10 du 28 mai 2010 afin d'exclure du calcul de la provision les spécimens et ouvrages pilonnés ; que si l'administration fait valoir que cette nouvelle instruction s'est bornée à confirmer le sens de la notion d'ouvrages édités, la précision ainsi apportée par l'instruction du 28 mai 2010 ne pouvait être connue par la société requérante lorsque celle-ci a souscrit ses déclarations de résultats relatives aux exercices clos en 2008 et en 2009 ; que par suite les commentaires administratifs dont peut éventuellement se prévaloir la société requérante sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales sont ceux de l'instruction du 5 mars 2001 dans leur rédaction antérieure à celle résultant de l'instruction du 28 mai 2010 ; que la société requérante soutient qu'elle a appliqué strictement l'instruction du 5 mars 2001 qui permettait la prise en compte des spécimens et ouvrages pilonnés pour le calcul de la provision pour mévente ; que toutefois les paragraphes 23 et 24 de la documentation de base 4A-2541 précisent que les stocks d'ouvrages édités doivent être inscrits à l'actif du bilan dans un compte intitulé " Stock évalué au cours du jour forfaitaire ", et que la provision pour dépréciation est déterminée de façon à ramener la valeur des ouvrages auxquels elle s'applique au cours du jour ; qu'il résulte de ces commentaires, qui sont indissociables de ceux invoqués, que la provision pour dépréciation calculée selon le barème prévu par l'instruction du
5 mars 2001 ne concerne que les éléments du prix de revient valorisés dans les stocks ; qu'ainsi qu'il a été dit au point 3, les spécimens et les ouvrages pilonnés ne figuraient pas dans les stocks de la société à la clôture des exercices en litige ; que dès lors la société requérante, qui n'entre pas dans les prévisions de l'instruction du 5 mars 2001, ne saurait utilement s'en prévaloir sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;
Sur la provision pour dépréciation des avances sur droits d'auteur :
6. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 39 du code général des impôts qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise ; qu'une telle approximation peut être obtenue par voie statistique si la méthode utilisée est appropriée à la situation de l'entreprise et fondée, notamment, sur des données statistiques tirées de son expérience ; qu'en revanche, un mode de calcul global qui ne repose pas sur une telle démarche statistique doit être regardé que comme étant purement forfaitaire et comme ne pouvant, dès lors, satisfaire à la condition ci-dessus définie ;
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société requérante a inscrit au débit d'un compte de créances les avances sur droits d'auteurs versées au titre du minimum garanti aux auteurs ; que le solde débiteur de ce compte, qui correspond à la fraction du minimum garanti non couverte par les droits d'auteur à la clôture de l'exercice, a fait l'objet au titre de l'exercice 2009 d'une provision destinée à couvrir le risque que les résultats de la commercialisation ne permettent pas d'atteindre le minimum garanti ; que le service vérificateur a relevé lors du contrôle qu'un taux de 98 % de provision avait été appliqué sur les avances relatives aux titres considérés par la société comme présentant un risque de ne pas atteindre le minimum garanti, soit 13 titres sur un total de
32 titres publiés au quatrième trimestre de l'année 2009 ; que l'administration a réintégré dans le résultat imposable de la société la provision sur avances concernant les ouvrages parus durant les trois derniers mois de l'exercice, faute pour la société de justifier avec une approximation suffisante le calcul de la dépréciation retenue ; que la société soutient qu'elle déprécie le solde débiteur du compte d'avance lorsqu'elle constate que le minimum garanti a été fixé à un niveau excessif par rapport au potentiel réel commercial de la série et qu'il suffit de connaître les ventes moyennes par titre des ouvrages déjà parus dans la série pour déterminer l'existence d'une disproportion entre le minimum garanti et les droits générés par les premiers mois de commercialisation ; qu'elle ne produit toutefois aucune donnée statistique tirée de son expérience concernant la commercialisation des séries en cause qui permettrait de corroborer ses allégations ; que si la société indique que les titres concernés sont des suites de série dont elle connaît le potentiel commercial, elle n'apporte aucune indication chiffrée sur les résultats commerciaux des titres déjà parus ; que, dans ces conditions, eu égard au caractère purement forfaitaire de la méthode d'évaluation appliquée par la société, c'est à bon droit que l'administration a réintégré la provision en litige au titre de l'exercice clos en 2009 ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Éditions Tonkam n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante en la présente instance, verse à la société Éditions Tonkam la somme qu'elle demande sur ce fondement ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Éditions Tonkam est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Éditions Tonkam et au ministre des finances et des comptes publics.
Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal d'Ile-de-France Est.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2015, à laquelle siégeaient :
- Mme Driencourt, président de chambre,
- Mme Mosser, président assesseur,
- M. Cheylan, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 décembre 2015.
Le rapporteur,
F. CHEYLAN Le président,
L. DRIENCOURT
Le greffier,
A-L. PINTEAULa République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
''
''
''
''
3
N° 14PA05310