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23/11/2015 | FRANCE | N°13PA03942

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 23 novembre 2015, 13PA03942


Vu la procédure suivante :

Par un arrêt avant dire droit du 26 mai 2014 statuant sur la requête, enregistrée le 30 octobre 2013, présentée pour M.F..., la Cour de céans a décidé qu'il sera procédé à un complément d'expertise réalisé par un géotechnicien en vue de déterminer la ou les causes des désordres affectant le mur et la terrasse de la propriété de M.F....

Par un mémoire enregistré le 12 juin 2015, M.F..., représenté par MeG..., conclut au maintien de ses précédentes conclusions, en réactualisant, toutefois, le montant de l'indemnité à lui verse

r en principal au titre de la perte de loyers à la somme de 8 060 euros pour la période ...

Vu la procédure suivante :

Par un arrêt avant dire droit du 26 mai 2014 statuant sur la requête, enregistrée le 30 octobre 2013, présentée pour M.F..., la Cour de céans a décidé qu'il sera procédé à un complément d'expertise réalisé par un géotechnicien en vue de déterminer la ou les causes des désordres affectant le mur et la terrasse de la propriété de M.F....

Par un mémoire enregistré le 12 juin 2015, M.F..., représenté par MeG..., conclut au maintien de ses précédentes conclusions, en réactualisant, toutefois, le montant de l'indemnité à lui verser en principal au titre de la perte de loyers à la somme de 8 060 euros pour la période courant du 1er décembre 2011 au 1er juin 2015, par les mêmes moyens et, en outre, à titre subsidiaire, et compte tenu des conclusions opposées des rapports d'expertise déposés par MM. C... etE..., à la condamnation conjointe et solidaire de S.N.C.F. Réseau et de la S.N.C.F. à lui verser 50% des sommes demandées.

Par un mémoire, enregistré le 16 juillet 2015, la S.N.C.F. Réseau, anciennement R.F.F., représentée par Me D..., conclut au maintien de ses précédentes conclusions par les mêmes moyens.

Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrégularité du jugement attaqué rendu en méconnaissance des dispositions des articles L. 7, L. 10 et R. 222-18 du code de justice administrative dès lors que la lecture dudit jugement ne permet pas de connaître ni le nom du rapporteur de l'affaire ni celui du rapporteur public ayant prononcé ses conclusions à l'audience publique.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 97-135 du 13 février 1997 portant création de l'établissement public Réseau ferré de France en vue du renouveau du transport ferroviaire ;

- la loi n°2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bonneau-Mathelot,

- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,

- et les observations de Me B...pour la S.N.C.F..

Considérant ce qui suit :

1. M. F...est propriétaire d'un immeuble sis 123 rue Didot, dans le XIVème arrondissement de Paris, bordé au sud par la voie de chemin de fer désaffectée dite " La petite ceinture ", construite en tranchée ouverte et talutée à quarante-cinq degrés environ. Cet immeuble comporte une cour surplombant ladite voie de plus de six mètres dont il est séparé par un muret surmonté d'une grille à barreaudage d'acier. Au cours de l'année 2007, des désordres ont été constatés sur la propriété de M. F...tenant à un affaissement important de la dalle de béton de la cour intérieure et à un dévers du muret vers la voie ferrée qu'il a imputé au ravinement du talus. Les démarches entreprises auprès de la Société nationale des chemins de fer français (S.N.C.F.) et de Réseau ferré de France (R.F.F.) dans le but d'y remédier étant restées infructueuses, M. F...a saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à la condamnation conjointe et solidaire de la S.N.C.F. et de R.F.F. à l'indemniser des préjudices subis. Par un jugement du 1er octobre 2013, dont M. F...relève appel, le tribunal a rejeté sa demande. Par un arrêt du 26 mai 2014, la Cour a, compte tenu des insuffisances du rapport d'expertise de première instance procédant par affirmations non étayées par des considérations techniques susceptibles de contredire efficacement les critiques formulées par l'expert de la S.N.C.F. et de R.F.F. et de la nécessité d'obtenir un avis impartial sur les différentes thèses en présence, ordonner une expertise contradictoire complémentaire confiée à un géotechnicien afin de déterminer la ou les causes des désordres affectant le mur et la terrasse de la propriété de M.F....

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 7 du code de justice administrative : " Un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent ". Aux termes de l'article L. 10 dudit code : " Les jugements sont publics. Ils mentionnent le nom des juges qui les ont rendus ". Aux termes de l'article R. 222-18 du même code : " Sauf lorsqu'ils relèvent d'un magistrat statuant seul, les jugements des tribunaux administratif sont rendus par une formation de trois membres ".

3. Il ressort du jugement attaqué que tant le nom du rapporteur signataire ayant rapporté l'affaire à l'audience publique que celui du rapporteur public ayant prononcé ses conclusions à ladite audience est différent de celui figurant en en-tête du jugement attaqué. Par suite, la lecture du jugement ne permet pas de connaître ni le nom du rapporteur de l'affaire ni celui du rapporteur public. Dans ces conditions, il doit être regardé comme ayant été irrégulièrement rendu, en méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 7, L. 10 et R. 222-18 du code de justice administrative, et annulé.

4. Il y a donc lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. F... devant le Tribunal administratif de Paris.

Sur la responsabilité :

5. Aux termes de l'article 5 de la loi susvisée du 13 février 1997 : " Les biens constitutifs de l'infrastructure et les immeubles non affectés à l'exploitation des services de transport appartenant à l'Etat et gérés par la Société nationale des chemins de fer français sont, à la date du 1er janvier 1997, apportés en pleine propriété à Réseau ferré de France. Les biens constitutifs de l'infrastructure comprennent les voies, [...] ". Aux termes des troisième et quatrième alinéas de l'article 1er de cette loi : " [...]. / Compte tenu des impératifs de sécurité et de continuité du service public, la gestion du trafic et des circulations sur le réseau ferré national ainsi que le fonctionnement et l'entretien des installations techniques et de sécurité de ce réseau sont assurés par la Société nationale des chemins de fer français pour le compte et selon les objectifs et principes de gestion définis par Réseau ferré de France. Il la rémunère à cet effet. Cependant, pour des lignes à faible trafic réservées au transport de marchandises, Réseau ferré de France peut confier par convention ces missions à toute personne selon les mêmes objectifs et principes de gestion. / Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'exercice des missions de Réseau ferré de France. Sur la base de ce décret, une convention entre Réseau ferré de France et la Société nationale des chemins de fer français fixe, notamment, les conditions d'exécution et de rémunération des missions mentionnées au précédent alinéa. / [...] ". Il résulte de ces dispositions que, si la responsabilité de R.F.F., maître de l'ouvrage, est susceptible d'être engagée sans faute pour tous les dommages permanents imputables à celui-ci, qu'ils résultent de son implantation, de son fonctionnement ou de son entretien, celle de la S.N.C.F., chargée de l'entretien des voies comme prestataire de services de R.F.F., ne peut être engagée vis-à-vis des tiers que si des dommages sont directement imputables aux modalités d'entretien de l'ouvrage, qui inclut la voie ferrée et ses dépendances.

6. M. F...soutient, à l'appui des conclusions de l'expert commis par le tribunal, que les désordres affectant son immeuble sont imputables au ravinement du talus ferroviaire aggravé par les infiltrations d'eau de pluie. D'après l'intéressé, la réalité de ce ravinement ne peut être remise en cause alors que R.F.F. et la S.N.C.F. ont mis en place au pied du talus des traverses de bois destinées à l'endiguer. Il est, par ailleurs, allégué, devant la Cour, que le remblai réalisé entre le muret de clôture et l'immeuble ne peut être la cause ni du déversement dudit muret dès lors qu'un tel phénomène a pu être constaté en de multiples endroits en l'absence de tout remblai ni de la fracturation du dallage de la cour. Il est, en outre, allégué devant la Cour que, compte tenu de la date de construction du muret, soit en 1901, le devers du muret aurait dû être constaté beaucoup plus tôt qu'en 2007 et qu'à cette date, la lente érosion du talus constitue une réponse cohérente à l'apparition des désordres affectant son immeuble.

7. Il résulte de l'instruction que le muret de clôture, qui se situe sur la propriété de M. F..., sert de soutènement au remblai de comblement mis en place entre la limite de sa propriété et le sous-sol de l'immeuble dont la base est au niveau du terrain naturel en tête du talus. Il n'est pas contesté que la base du muret, encastrée sous le niveau de la crête de talus à plus de 0,50 mètre, n'a subi aucun désordre et reste " efficace ". Toutefois, et contrairement à ce que soutient M. F..., l'écoulement d'une période de plus de cent années ne peut expliquer à elle seule le dévers du muret en l'absence de toute justification scientifique d'un ravinement et tassement inexorable qu'il défend. Si, ainsi que M. F...l'affirme, l'expert commis par la Cour ne conteste pas la réalité d'une érosion en crête de talus justifiant la pose de traverses pour en limiter les effets, l'expert établit, cependant, l'absence de mouvement décelé dans le talus sur cette période et note que si la risberme en pied de mur côté aval présente des signes mineurs d'érosion, cette circonstance n'a pu contribuer à la déstabilisation du mur, " [...] l'érosion par ravinement n'affect[ant] pas plus de 0,1 mètre d'épaisseur sur le talus et [...] la fondation ancrée à plus de 0,5 m ne pouva[n]t être affectée par ce phénomène ". L'expert, qui a analysé les causes techniques possibles d'instabilité de ces types de talus et muret de soutènement dans leur contexte géomorphologique et géologique, indique qu'il est " scientifiquement impossible qu'un remblai granulaire tel que celui que nous avons identifié dans la fouille n'opère aucune poussée. Seul un sol à forte cohésion ou une roche pourrait être dans ce cas ". Il établit que les désordres constatés résultent d'une succession de déformations ayant leur origine dans le tassement du remblai sous son propre poids ainsi que la " mobilisation de la poussée " du remblai sur le muret. Les déformations ainsi constatées ont été aggravées par une diminution de la cohésion, augmentant ainsi la poussée du remblai, et par la rupture de la canalisation du siphon de sol, " phénomène déclenchant ", à la suite du tassement de la cour. Les fortes pluies ont, ainsi, entraîné des infiltrations importantes ainsi que le dédoublement de la poussée, de sorte que le dévers du muret et le tassement du remblai s'en sont trouvés accélérés. L'expert conclut in fine que, d'une part, les désordres sont liés à la poussée des terres que le mur de soutènement retenait et à la poussée hydrostatique engendrée par les eaux s'infiltrant par les nombreuses fissures du dallage de la cour et que, d'autre part, ni la stabilité du talus ferroviaire ni son entretien ne sont en cause. Si M. F...persiste, au soutien des conclusions de l'expert commis par le tribunal, à contester ces conclusions, il résulte tant des conclusions de l'expert commis par la Cour que de celles de l'expert géotechnicien mandaté par R.F.F., lors des opérations d'expertise de première instance, que ces conclusions ne reposent sur aucune démarche scientifique et objective par référence aux plans de géomètre produits lors de ces opérations et aux règles de l'art de la géotechnique. Dans ces circonstances, alors qu'il n'est pas contesté que le muret de clôture, construit en 1901, est vétuste et peu entretenu, il ne résulte pas de l'instruction que le talus ferroviaire constitue la cause directe et certaine des désordres affectant l'immeuble dont est propriétaire M.F....

8. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires présentées par M. F... tant devant le Tribunal administratif de Paris que devant la Cour ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais d'expertise :

9. Les frais d'expertise, taxés et liquidés respectivement à la somme de 5 722,33 euros T.T.C. par ordonnance du président du tribunal du 17 janvier 2013 et à la somme de 7 538,40 euros par ordonnance du président de la Cour du 12 février 2015 sont mis à la charge de M.F....

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de S.N.C.F. Réseau, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. F...demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu de mettre à la charge de M. F...une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par S.N.C.F. Réseau.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°1222035/3-3 du 1er octobre 2013 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. F...devant le Tribunal administratif de Paris ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés respectivement aux sommes de 5 722,33 euros et de 7 538,40 euros, sont mis à la charge de M.F....

Article 4 : M. F...versera à S.N.C.F. Réseau une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M.F..., à la S.N.C.F. et à S.N.C.F. Réseau.

Copie en sera adressée pour information aux experts MM. H...C...et A...C.E....

Délibéré après l'audience du 9 novembre 2015 à laquelle siégeaient :

- M. Luben, président,

- Mme Bernard, premier conseiller,

- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 23 novembre 2015.

Le rapporteur,

S. BONNEAU-MATHELOTLe président,

I. LUBENLe greffier,

Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13PA03942


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 13PA03942
Date de la décision : 23/11/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-01-03-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité. Responsabilité sans faute. Responsabilité encourue du fait de l'exécution, de l'existence ou du fonctionnement de travaux ou d'ouvrages publics. Victimes autres que les usagers de l'ouvrage public. Tiers.


Composition du Tribunal
Président : Mme MILLE
Rapporteur ?: M. Michel ROMNICIANU
Rapporteur public ?: M. SORIN
Avocat(s) : SCP B. ODENT - L. POULET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/12/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2015-11-23;13pa03942 ?
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