Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C...B...a demandé au juge des référés du Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, à lui verser une provision d'un montant de 76 800 euros.
Par une ordonnance n°1423317/5-1 du 24 mars 2015, le juge des référés du Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à lui verser une provision d'un montant de 8 000 euros.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 10 avril 2015, et par un mémoire complémentaire enregistré le 14 octobre 2015, MmeB..., représentée par MeA..., demande à la Cour :
1°) de réformer l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 24 mars 2015 en tant qu'elle a limité à 8 000 euros le montant de la provision qui a lui a été accordée ;
2°) de condamner l'Etat, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, à lui verser une provision d'un montant de 92 400 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le ministre de la défense, en ne procédant pas à sa réintégration fonctionnelle et au paiement de sa rémunération, dans un délai raisonnable après l'annulation de son licenciement par jugement du 5 décembre 2013, a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; l'administration devait en effet procéder à sa réintégration fonctionnelle, à la date du jugement, et lui verser une rémunération depuis le mois de décembre 2013, selon les dispositions de la règlementation relative aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, sans qu'y fassent obstacle, ni les dispositions du décret du 17 janvier 1986 ni la circonstance qu'elle avait été déclarée inapte définitivement à tout emploi par quatre avis médicaux rendus entre les mois de mars et de mai 2012, l'administration devant de nouveau examiner sa situation ;
- le ministre de la défense n'a toujours pas exécuté le jugement du 5 décembre 2013 ; sa réintégration juridique ne saurait constituer l'exécution du jugement ; ses droits à pension n'avaient toujours pas été régularisés au mois de juillet 2015 ; l'état récapitulatif produit sur ce point par le ministre n'est pas probant ;
- elle ne s'est vue notifier une nouvelle décision de licenciement que le 23 avril 2015 ;
- Pôle Emploi refuse de lui verser des indemnités de chômage et exige d'elle le reversement des indemnités reçues avant son nouveau licenciement du 23 avril 2015 ;
- le préjudice financier, qui résulte de la perte de rémunération depuis le mois de décembre 2013, s'élève à 62 400 euros puisque son dernier revenu mensuel était de 3 900 euros et puisqu'elle ne perçoit aucun revenu, notamment aucune indemnité de chômage, depuis le mois de décembre 2013 ;
- elle a également subi un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence dont le montant doit être évalué, non à la somme de 8 000 euros, mais à la somme de 30 000 euros.
- cette obligation n'est pas sérieusement contestable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2015, le ministre de la défense demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler l'article 1er de l'ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Paris du 24 mars 2015.
Il soutient que :
- Mme B...n'est pas fondée à demander le versement d'une indemnité ayant pour objet de réparer les conséquences de l'absence de rémunération depuis son éviction puisque son licenciement a été annulé par le tribunal pour des irrégularités dans la procédure de licenciement et non pour des motifs de légalité interne ;
-les services du ministère de la défense n'ont commis aucune faute puisque le jugement n'impliquait pas la réintégration effective de Mme B...; l'inaptitude définitive de MmeB..., telle qu'elle a été constatée par le comité médical en 2012, ne saurait être remise en cause ; l'administration pouvait se fonder sur cette inaptitude pour décider de nouveau le licenciement par un arrêté du 23 avril 2015 avec effet au 10 juillet 2015, après avoir consulté la commission administrative paritaire le 17 mars 2015 ;
- les obligations de l'administration consistaient seulement en une obligation de réintégration juridique, en une obligation de reconstitution des droits sociaux de Mme B...à compter de son éviction et en une obligation de réexamen de sa situation ; il y a été satisfait par un arrêté du 20 novembre 2014 décidant sa réintégration juridique à compter du 1er septembre 2012, et par le paiement rétroactif des cotisations sociales ;
- Mme B...ne peut utilement invoquer les dispositions de la règlementation relative aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, lesquelles ne sont pas applicables aux agents publics contractuels de l'Etat ;
- s'agissant du préjudice moral, Mme B...ne saurait être indemnisée en raison d'une croyance erronée dans la survenance d'un évènement favorable qui n'avait pas vocation à se réaliser, à savoir sa réintégration et son indemnisation ;
- la circonstance que le versement de ses indemnités de chômage a cessé, à compter du 5 décembre 2013, ne saurait davantage engager la responsabilité de l'Etat, alors que ses droits à indemnisation couraient initialement jusqu'au 31 mars 2015, date à laquelle elle devait être admise à la retraite ; il n'est pas responsable de la suspension de ses indemnités de chômage au mois de décembre 2013 ;
- Mme B...a bénéficié en 2012 d'une indemnité de licenciement de 42 247,07 euros, alors que l'indemnité correspondant à son licenciement le 10 juillet 2015 ne devrait s'élever qu'à 18 591,21 euros ; elle a ainsi bénéficié d'un trop-perçu de 23 655,21 euros dont il renonce à lui demander le remboursement ;
- le juge des référés ne pouvait retenir l'existence d'un préjudice moral alors que la réintégration juridique de Mme B...avait été décidée par un arrêté du 20 novembre 2014, et alors que les démarches en vue du nouveau licenciement et du paiement rétroactif des cotisations sociales étaient en cours ; il ainsi entaché son ordonnance d'une erreur de fait ;
- les services du ministère de la défense ont dû réexaminer complètement la situation de MmeB... ; l'exécution de ce jugement s'est ainsi révélée complexe ;
- ainsi, Mme B...ne justifie pas d'une obligation non sérieusement contestable.
Par ordonnance du 14 septembre 2015, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 octobre 2015.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- le décret n° 49-1378 du 3 octobre 1949 fixant le statut des agents sur contrat du ministère de la défense nationale ;
- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat pris pour l'application de l'article 7 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
-le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Niollet, rapporteur,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- et les observations de Me A...pour MmeB....
1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme C...B..., agent non titulaire recrutée sur contrat au ministère de la défense, a été placée à plusieurs reprises en congé à compter du 22 septembre 2008 à la suite d'un accident du travail ; que, dans sa séance du 30 mai 2012, le comité médical a estimé que Mme B...était inapte définitivement et totalement à toutes fonctions après que le médecin de prévention avait rendu le même avis le 27 avril 2012 ; que, par un arrêté du 27 août 2012, le ministre de la défense a licencié Mme B...à compter du 1er septembre 2012 pour inaptitude définitive et totale à l'exercice de toutes fonctions ; que, par un jugement du 5 décembre 2013, le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté au motif que Mme B...n'avait pu bénéficier d'un entretien préalable, que la commission administrative compétente n'avait pas été préalablement consultée et que ce vice de procédure avait privé Mme B...d'une garantie ; que Mme B...a demandé au juge des référés du même tribunal, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à lui verser une provision en réparation du préjudice matériel et moral qu'elle estimait avoir subi en raison de manquements dans l'exécution de ce jugement ; que, par une ordonnance du 24 mars 2015, le juge des référés a partiellement fait droit à ses conclusions en estimant que l'absence fautive de décision du ministre de la défense tirant les conséquences de l'annulation du licenciement de MmeB..., dont l'état de précarité imputable à cette carence fautive de l'administration n'était pas contesté, lui avait causé un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il a évalués à 8 000 euros, et en condamnant l'Etat à lui verser une provision de ce montant ; que Mme B...fait appel de cette ordonnance en tant qu'elle a pour partie rejeté ses conclusions ; que le ministre de la défense demande à la Cour, par la voie de l'appel incident, de réformer cette ordonnance en tant qu'elle y a pour partie fait droit ;
Sur la requête de MmeB... :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie" ;
3. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'aux termes de l'article 2 du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat, visé ci-dessus : " La réglementation du régime général de sécurité sociale ainsi que celle relative aux accidents du travail et aux maladies professionnelles sont applicables, sauf dispositions contraires, aux agents contractuels visés à l'article 1er du présent décret (...) " ; qu'aux termes de l'article 16 de ce décret : " L'agent contractuel qui cesse ses fonctions pour raison de santé ou pour bénéficier d'un congé de maternité, de paternité, d'adoption ou d'accueil d'un enfant et qui se trouve sans droit à congé rémunéré est : / - en cas de maladie, placé en congé sans traitement pour maladie pour une durée maximale d'une année si l'incapacité d'exercer les fonctions est temporaire. Les dispositions du 3° de l'article 17 lui sont applicables lorsque l'incapacité de travail est permanente. / - dans les autres cas, placé en congé sans traitement pour une durée égale à celle prévue à l'article 15 ; à l'issue de cette période, la situation de l'intéressé est réglée dans les conditions prévues pour les agents ayant bénéficié d'un congé rémunéré (...) " ; que le 3° de l'article 17 du même décret dispose : " A l'issue d'un congé de maladie, de grave maladie, d'accident du travail, de maladie professionnelle ou de maternité, de paternité ou d'adoption, lorsqu'il a été médicalement constaté par le médecin agréé qu'un agent se trouve, de manière définitive, atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, le licenciement ne peut être prononcé que lorsque le reclassement de l'agent dans un emploi que la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 autorise à pourvoir par un agent contractuel et dans le respect des dispositions légales régissant le recrutement de ces agents, n'est pas possible (...) " ;
4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1er du décret du 3 octobre 1949 fixant le statut des agents sur contrat du ministère de la défense nationale, visé ci-dessus : " Le présent décret fixe le statut et le régime de rémunération des agents sur contrat employés dans les services de la défense. / Les dispositions du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l'Etat pris pour l'application de l'article 7 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat sont applicables aux agents régis par le présent décret " ; qu'aux termes de l'article 3 de ce décret : " La législation sur la sécurité sociale et celle relative aux accidents du travail sont applicables aux personnels régis par le présent décret (...) " ;
5. Considérant qu'en vertu de l'article 2 du décret du 17 janvier 1986, dont l'article 1er du décret du 3 octobre 1949 prévoit expressément l'application aux agents contractuels du ministère de la défense, les dispositions de l'article 16 du décret du 17 janvier 1986, qui prévoient un congé sans traitement au bénéfice des agents contractuels de l'Etat qui cessent leurs fonctions pour raison de santé et qui se trouvent sans droit à congé rémunéré, font obstacle à l'application des dispositions contraires de la règlementation relative aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, qui prévoient l'obligation pour l'employeur de verser son salaire au salarié déclaré inapte dès l'expiration d'un délai d'un mois suivant le constat médical de son inaptitude si l'employeur ne l'a pas licencié ou reclassé dans ce délai ; que Mme B...ne saurait donc invoquer utilement ni ces dernières dispositions, ni celles de l'article 3 du décret du 3 octobre 1949 ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que, le ministre de la défense était tenu de réintégrer Mme B...juridiquement en exécution du jugement du Tribunal administratif de Paris du 5 décembre 2013, annulant l'arrêté du 27 août 2012 prononçant son licenciement ; que toutefois, compte tenu des motifs de l'annulation de son licenciement par le jugement du 5 décembre 2013, de sa situation de congé pour accident du travail avant ce licenciement, et de la circonstance qu'elle avait alors été déclarée inapte définitivement et totalement à toutes fonctions, Mme B...n'est pas fondée à soutenir que le ministre devait la réintégrer dans ses fonctions et lui verser sa rémunération ;
7. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction que le ministre de la défense n'a pas procédé à la régularisation de la situation de Mme B...en exécution du jugement du 5 décembre 2013 avant le 20 novembre 2014, date de l'arrêté par lequel il a décidé sa réintégration juridique à compter du 1er septembre 2012 ; qu'en se bornant à invoquer la complexité de la situation de MmeB..., le ministre de la défense ne justifie pas d'une difficulté particulière s'attachant à l'exécution de ce jugement ; qu'il ne saurait utilement faire état d'un trop perçu sur l'indemnité de licenciement de MmeB... ; que, dans ces conditions, le ministre de la défense qui s'est abstenu pendant près d'un an après le jugement de placer Mme B...dans une position régulière, doit, en l'état de l'instruction, être regardé comme ayant commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
8. Considérant, en quatrième lieu, que le préjudice invoqué par Mme B...en raison de la privation de sa rémunération ne résulte pas de la faute de l'administration qui n'était, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, pas dans l'obligation de lui verser sa rémunération depuis l'annulation de son licenciement ;
9. Considérant, en cinquième lieu, que Mme B...ne se prévaut en appel d'aucun élément susceptible de remettre en cause l'appréciation que le juge des référés du tribunal administratif a portée à bon droit sur le préjudice moral et sur les troubles dans les conditions d'existence, en les évaluant à 8 000 euros ;
10. Considérant que, dans ces circonstances, l'obligation dont se prévaut Mme B...ne peut être regardée comme non sérieusement contestable qu'à hauteur de 8 000 euros ; qu'il y a lieu, par suite, de rejeter sa requête ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de Mme B...présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur l'appel incident du du ministre de la défense :
12. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'obligation du ministre de la défense envers Mme B...présente, en l'état de l'instruction, à hauteur de 8 000 euros, un caractère non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative ; que, dès lors, le ministre de la défense n'est pas fondé à se plaindre de ce que le juge des référés du Tribunal administratif de Paris a, par l'ordonnance attaquée, condamné l'Etat à verser à Mme B...une provision de 8 000 euros ; qu'il y a lieu, par suite, de rejeter l'appel incident du ministre ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident du ministre de la défense sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...B...et au ministre de la défense.
Délibéré après l'audience du 26 octobre 2015, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Labetoulle, premier conseiller.
Lu en audience publique le 16 novembre 2015.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLETLe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de la défense en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA01485
Classement CNIJ :
C