La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/10/2015 | FRANCE | N°14PA01334

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 26 octobre 2015, 14PA01334


Vu la requête, enregistrée le 26 mars 2014, présentée par le préfet de police ; le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1314004/3-3 du 25 février 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 22 août 2013 refusant de délivrer un titre de séjour à Mme E...D...et faisant obligation à celle-ci de quitter le territoire français, lui a enjoint de délivrer à l'intéressée un titre de séjour portant la mention " salarié " dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge

de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l' article L. 761-1...

Vu la requête, enregistrée le 26 mars 2014, présentée par le préfet de police ; le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1314004/3-3 du 25 février 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 22 août 2013 refusant de délivrer un titre de séjour à Mme E...D...et faisant obligation à celle-ci de quitter le territoire français, lui a enjoint de délivrer à l'intéressée un titre de séjour portant la mention " salarié " dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l' article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme D...devant le Tribunal administratif de Paris ;

Il soutient qu'il n'a commis aucune erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de Mme D...au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que :

- l'intéressée ne justifie pas de la date et des conditions de son entrée en France ;

- elle ne justifie pas de sa présence habituelle en France depuis plus de dix ans, ni même depuis le mois d'octobre 2004, comme l'a retenu le tribunal ;

- son activité professionnelle ne revêt pas une spécificité rendant nécessaire son maintien en France, s'agissant de surcroît d'un emploi qui n'est pas un métier en tension ;

- elle ne justifie pas être dans l'impossibilité de se réinsérer au Cameroun où elle a vécu au moins jusqu'à l'âge de trente cinq ans et où elle est propriétaire d'un restaurant comme elle le déclare dans son curriculum vitae ;

- que contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges Mme D...n'habite pas chez son fils ;

- la circonstance, au demeurant non établie, que l'intéressée aurait un fils en France ne saurait suffire à faire obstacle à son éloignement ni à rendre impératif son maintien sur le territoire ;

- il se réfère, s'agissant des autres moyens soulevés en première instance par Mme D..., à ses écritures devant le tribunal administratif ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 11 septembre 2015, présenté pour Mme D..., demeurant au..., par MeA... ; Mme D... conclut :

- au rejet de la requête du préfet de police ;

- à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

- à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français n'est pas motivée ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, puisqu'elle vit en France depuis plus de dix ans et qu'elle n'est plus retournée dans son pays d'origine ;

- il n'est pas justifié de la compétence du signataire du refus de titre de séjour ;

- ce refus méconnait les dispositions des articles L. 313-11, 11°) et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il est entaché d'erreur de fait et d'erreur manifeste d'appréciation ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu l'arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 octobre 2015 :

- le rapport de M. Niollet, rapporteur ;

1. Considérant que Mme D..., ressortissante camerounaise, née le 25 septembre 1967 à Manengolé (Cameroun), entrée en France, selon ses déclarations, en 2002, a bénéficié d'autorisations provisoires de séjour du 25 juillet 2005 au 2 juin 2006, puis de cartes de séjour portant la mention " vie privée et familiale " délivrées en raison de son état de santé du 3 décembre 2009 au 2 mars 2012, et de nouvelles autorisations provisoires de séjour jusqu'au 5 octobre 2013 ; qu'elle a sollicité le renouvellement de sa carte de séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 313-11, 11° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que le médecin, chef du service médical de la préfecture de police, a estimé, dans son avis du 15 octobre 2012, que son état de santé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, et qu'elle pourrait effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ; que, par un arrêté du 22 août 2013, le préfet de police a opposé un refus à sa demande, lui a enjoint de quitter le territoire français dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêté et a fixé le pays de sa destination ; que le préfet de police relève régulièrement appel du jugement n° 1314004/3-3 du 25 février 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer à l'intéressée un titre de séjour portant la mention " salarié " dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement ;

Sur les conclusions du préfet de police :

2. Considérant qu'il ressort du jugement attaqué que, pour annuler l'arrêté du préfet de police refusant la délivrance d'un titre de séjour à MmeD..., le tribunal administratif a estimé qu'elle justifiait avoir résidé habituellement en France depuis le mois d'octobre 2004, ce pendant plusieurs années en situation régulière ; que le tribunal administratif s'est également fondé sur le fait qu'elle établissait avoir, depuis le 8 février 2012, une activité salariée d'employée à domicile en contrat à durée indéterminée, métier pour lequel elle a obtenu, le 7 octobre 2011, un titre professionnel par validation des acquis et de l'expérience certifié par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France ; que le tribunal administratif a aussi estimé que l'aîné de ses enfants chez qui elle réside, avec ses petits-enfants, séjourne régulièrement en France ; qu'il a considéré que, dans ces circonstances, le préfet de police avait commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que son admission au séjour ne se justifiait pas au regard des motifs exceptionnels qu'elle faisait valoir sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et ce nonobstant la circonstance que la majorité de sa famille demeure au Cameroun ;

3. Considérant que Mme D...ne justifie ni de la date et des conditions de son entrée en France, ni de sa présence habituelle en France avant la fin de l'année 2004 ; qu'elle ne justifie pas être dans l'impossibilité de se réinsérer au Cameroun où elle a vécu au moins jusqu'à l'âge de trente cinq ans et où résident au moins trois de ses enfants ainsi qu'une de ses soeurs ; qu'elle ne réside pas avec la personne qu'elle présente comme son fils, sans d'ailleurs en justifier et sans établir qu'il se trouverait en situation régulière sur le territoire ; que le préfet de police est donc fondé à soutenir que Mme D...ne justifie d'aucun motif exceptionnel ou humanitaire de nature à faire regarder l'arrêté attaqué comme entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur les motifs rappelés ci-dessus pour estimer qu'il avait entaché son arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation ;

5. Considérant, toutefois, qu'il appartient ainsi à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D... en première instance et en appel ;

Sur les conclusions à fin d'annulation de MmeD... :

En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :

6. Considérant, en premier lieu, que l'arrêté contesté a été signé pour le préfet de police par M. B...C..., attaché principal d'administration de l'intérieur et de l'outre-mer, adjoint au chef du 9ème bureau de la direction de la police générale, qui disposait à cet effet d'une délégation de signature régulière qui lui a été consentie par un arrêté du 4 janvier 2013, publié au bulletin municipal officiel de la ville de Paris du 11 janvier 2013 ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté manque en fait ;

7. Considérant, en deuxième lieu, que, si Mme D...a été opérée d'un décollement de rétine de l'oeil droit en 2005, opération à la suite de laquelle elle a subi des complications rétiniennes pour lesquelles elle a fait l'objet d'un suivi médical, elle ne produit aucun élément suffisamment circonstancié pour infirmer l'avis émis le 15 octobre 2012 par le médecin, chef du service médical de la préfecture de police ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le préfet de police aurait méconnu les dispositions du 11°) de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté ;

8. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2°) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; que, compte tenu de ce qui a été dit au point 3 ci-dessus, le moyen tiré de ce que le préfet de police aurait porté une atteinte disproportionnée au droit de Mme D...au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance de ces stipulations doit être écarté ; qu'il en va de même du moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions du 7°) de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

9. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La commission est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 ou de délivrer une carte de résident à un étranger mentionné aux articles L. 314-11 et L. 314-12, ainsi que dans le cas prévu à l'article L. 431-3 (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que le préfet n'est tenu de saisir la commission du titre de séjour que du cas des étrangers qui remplissent effectivement les conditions permettant d'obtenir de plein droit un titre de séjour, et non de celui de tous les étrangers qui sollicitent un tel titre ; qu'en l'espèce, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que Mme D...n'établit pas être en situation de bénéficier de plein droit d'un titre de séjour ; que le préfet de police n'était, dès lors, pas tenu de saisir la commission du titre de séjour dans le cadre de ces dispositions ;

10. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. (...) " ; que Mme D... n'établissant pas avoir résidé habituellement en France depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté attaqué, le préfet de police n'était pas tenu de saisir la commission du titre de séjour de son cas dans le cadre de ces dispositions ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :

11. Considérant, en premier lieu, que la décision refusant à Mme D...le droit de séjourner en France comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit sur lesquelles le préfet de police s'est fondé ; que la décision l'obligeant à quitter le territoire français vise les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et fait état du refus de séjour dont elle découle ; que, dès lors, Mme D...n'est pas fondée à soutenir que cette décision serait insuffisamment motivée ;

12. Considérant, en second lieu, qu'il y a lieu d'écarter, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3 ci-dessus, le moyen tiré d' une atteinte disproportionnée au droit de Mme D...au respect de sa vie privée et familiale ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 22 août 2013 ;

Sur les conclusions de Mme D...présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que MmeD... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1314004/3-3 du Tribunal administratif de Paris du 25 février 2014 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme D...devant le Tribunal administratif de Paris et ses conclusions devant la Cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme E...D....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2015, à laquelle siégeaient :

- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme Petit, premier conseiller.

Lu en audience publique le 26 octobre 2015.

Le rapporteur,

J-C. NIOLLETLe président,

O. FUCHS-TAUGOURDEAU

Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

''

''

''

''

5

N° 14PA01334


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 14PA01334
Date de la décision : 26/10/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : Mme FUCHS TAUGOURDEAU
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: M. BAFFRAY
Avocat(s) : FENZE

Origine de la décision
Date de l'import : 07/11/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2015-10-26;14pa01334 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award