Vu la requête, enregistrée le 9 janvier 2015, présentée pour la société Lancel Sogedi, dont le siège est au 48-50 rue Ampère à Paris (75017), par le cabinet JFA Souillac et associes ; la société Lancel Sogedi demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1400797/3-2 du 5 novembre 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision en date du 4 décembre 2013 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société Lancel à licencier Mme A...pour faute ;
2°) de mettre à la charge de Mme A...une somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de l'instance ;
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que le tribunal a statué ultra petita ; en effet, il a retenu une erreur de droit tiré de ce que l'inspecteur ne pouvait considérer le refus de Mme A...comme fautif alors que celle-ci n'avait soulevé qu'un moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction ;
- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que le tribunal a omis de motiver en fait et en droit le caractère fautif du refus de la salariée, faute de procéder à une analyse in concreto sur la réalité des conséquences de sa rétrogradation, sa rémunération étant maintenue, ses fonctions identiques et dès lors que son contrat prévoyait une clause de mobilité ;
- elle est fondée à demander une substitution de motifs dès lors que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'inspecteur du travail a bien recherché si les faits reprochés étaient d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 26 mars 2015, présenté pour Mme A... ; elle conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Lancel Sogedi la somme de 4 500 euros ; elle fait valoir que :
- le jugement n'est pas entaché d'irrégularité dès lors que le moyen tiré de l'erreur de droit était expressément soulevé ;
- le jugement est suffisamment motivé dès lors que le Tribunal a estimé que dès lors que la sanction emportait modification de son contrat de travail, son refus n'était pas fautif ;
- l'inspecteur aurait dû constater que les faits invoqués étaient identiques à ceux l'ayant conduit à refuser l'autorisation de la licencier et rejeter en conséquence la nouvelle demande ;
- le danger pour la santé et la sécurité de ses collaborateurs invoqué pour justifier la dispense d'activité, sur laquelle elle n'a jamais donné son accord et sa non réintégration dans ses fonctions n'est pas établi et n'a d'ailleurs pas été dénoncé par le médecin du travail, l'inspecteur du travail ou les représentants du personnel ;
- l'inspecteur du travail a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que la sanction disciplinaire était proportionnée à la situation alors que cette sanction procède d'incohérences au regard des faits qui lui sont reprochés ;
- les faits reprochés à l'appui de la sanction disciplinaire sont prescrits, en application de l'article L. 1332-4 du code du travail, dès lors qu'ils sont identiques à ceux invoqués lors de la première demande d'autorisation de licenciement présentée par son employeur ;
Vu le mémoire, enregistré le 16 juin 2015, le mémoire présenté pour le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ; il conclut à l'annulation du jugement attaqué ; il fait valoir que :
- à titre principal, le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que le tribunal a statué ultra petita ; en effet, il a retenu une erreur de droit tiré de ce que l'inspecteur ne pouvait considérer le refus de Mme A...comme fautif alors que celle-ci n'était soulevé qu'un moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction ; or ce moyen n'est pas d'ordre public et en tout état de cause n'a pas été communiqué aux parties pour faire valoir leurs observations ;
- à titre subsidiaire, la demande de l'employeur est fondée sur les agissements fautifs de harcèlement moral et leurs conséquences sur la santé des salariés et non sur le refus de Mme A... d'accepter la sanction ; les moyens soulevés en première instance que la Cour devra examiner par la voie de l'évocation sont infondés : le principe du contradictoire a été respecté dès lors que Mme A...s'est vue présenter, lors de l'entretien du 20 novembre 2013 mené dans le cadre de l'enquête contradictoire, l'ensemble des documents produits par l'employeur et atteste qu'elle en était déjà en possession puisqu'il s'agissait de ses propres échanges écrits avec la direction de la société ; la procédure disciplinaire a été respectée dès lors que Mme A... a été dûment convoquée à un entretien préalable auquel elle s'est présentée le 3 avril 2013, assistée d'un représentant du personnel, dans le cadre de la première procédure de licenciement ; le moyen tiré de la prescription des faits doit être écarté dès lors que la convocation du 21 mars 2013 à l'entretien préalable fait suite à l'enquête externe diligentée en février 2013 suite à la plainte d'un collaborateur placé sous l'autorité de Mme A... ; le moyen tiré de l'erreur de droit est inopérant ; les deux décisions ne sont pas contradictoires ; l'inspecteur n'a pas commis d'erreur d'appréciation dès lors que la sanction de rétrogradation est justifiée et proportionnée au regard des faits de harcèlement qui lui sont reprochés, et que l'enquête externe diligentée par la direction a, contrairement à ce que soutient la requérante, permis d'établir le danger pour la santé et la sécurité de ses collaborateurs ; ainsi, le refus de cette sanction justifie la procédure de licenciement engagée à l'encontre de Mme A... et la décision d'autorisation rendue par l'inspecteur du travail, laquelle est parfaitement motivée ; la proposition de poste qui lui a été faite est adaptée ;
Vu, enregistré le 2 septembre 2015, le mémoire présenté pour la société Lancel Sogedi ; elle conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ; elle fait valoir en outre que les faits ne sont pas prescrits ;
Vu, enregistré le 1er octobre 2015, le mémoire présenté pour Mme A... ; elle conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 octobre 2015 :
- le rapport de M. Polizzi, président assesseur,
- les conclusions de M. Roussel, rapporteur public,
- et les observations de Me B...pour la société Lancel ;
1. Considérant que la société Lancel a saisi l'inspecteur du travail, le 16 mai 2013, d'une demande d'autorisation de licenciement pour faute de MmeA..., salariée depuis le 1er avril 1997, exerçant en dernier lieu les fonctions de directrice de boutique, et titulaire des mandats de délégué du personnel, de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, de délégué syndical de l'organisation CFE-CGC et de représentant syndical au comité d'entreprise ; que cette demande a été rejetée par l'inspecteur du travail le 2 septembre 2013 ; que la direction de la société Lancel a alors notifié à l'intéressée, par courrier du 11 septembre 2013, une sanction disciplinaire consistant en une rétrogradation assortie d'une mutation ; que, suite au refus opposé par Mme A...à cette sanction disciplinaire par courrier du 23 septembre suivant, la société Lancel a, le 14 octobre 2013, sollicité l'autorisation de licenciement pour faute de Mme A...; que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 4 décembre 2013 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé ce licenciement ; que la société relève appel de ce jugement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que la requérante soutient que le tribunal a retenu une erreur de droit tiré de ce que l'inspecteur ne pouvait considérer comme fautif le refus de Mme A...d'accepter la sanction de rétrogradation dès lors qu'elle emportait modification de son contrat de travail, alors que celle-ci n'avait soulevé qu'un moyen tiré du caractère disproportionné de cette sanction ; que si Mme A...répond qu'elle avait bien soulevé un moyen tiré de l'erreur de droit, ce moyen n'était pas relatif à cette question, mais au fait que l'inspecteur ne pouvait considérer qu'elle avait reconnu les faits à l'origine de la sanction dès lors qu'elle n'avait pas contesté la première décision de l'inspecteur qui ne lui faisait pas grief puisque refusant l'autorisation de la licencier ; qu'ainsi que le soutient le ministre, ce moyen ne constitue pas un moyen d'ordre public que le juge peut soulever d'office ; que, dès lors, la société Lancel est fondée à soutenir que le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité ; que, par suite, le jugement attaqué doit être annulé ;
3. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par MmeA... ;
Sur la légalité de la décision du 4 décembre 2013 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société Lancel à la licencier :
4. Considérant qu'aux termes de l'article 1134 du code civil : " Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. " ; que l'article L. 1221-1 du code du travail dispose : " Le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun. Il peut être constaté dans les formes qu'il convient aux parties contractantes d'adopter " ; que le principe général du droit dont s'inspirent ces dispositions implique que toute modification des termes d'un contrat de travail recueille l'accord à la fois de l'employeur et du salarié ; que le refus opposé par un salarié protégé à une sanction emportant modification de son contrat de travail ne constitue pas une faute ; que, cependant, lorsqu'un employeur se heurte au refus, par un salarié protégé, d'une sanction impliquant une modification de son contrat de travail et qu'il demande, dans l'exercice de son pouvoir disciplinaire, à l'inspecteur du travail de l'autoriser à prononcer un licenciement pour faute en lieu et place de la sanction refusée, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; que, lorsque la demande d'autorisation fait suite au refus, par le salarié protégé, d'accepter une sanction de moindre gravité au motif qu'elle entraîne une modification de son contrat de travail, il lui revient de prendre en compte cette circonstance ;
5. Considérant que pour autoriser le licenciement de MmeA..., l'inspecteur du travail a estimé que le refus de la salariée d'accepter la sanction de rétrogradation, prise à la suite du refus de l'inspecteur du travail du 6 septembre 2013 d'autoriser le licenciement pour motif disciplinaire initialement présentée par la société Lancel en raison des agissements de harcèlement moral reprochés à cette salariée, était constitutif d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement dès lors que la sanction proposée était proportionnée à la
situation ; que cette sanction emportait une réduction des fonctions et de la classification de l'intéressée, passant du statut de cadre en qualité de directrice de boutique, à celui d'agent de maîtrise " responsable de corner " sur le stand des Galeries Lafayette dans un centre commercial, ce alors que son contrat de travail prévoyait expressément qu'elle était recrutée comme directrice du magasin Lancel de Nice ; que Mme A...pouvait par suite refuser cette modification de son contrat de travail sans que ce refus puisse être tenu pour fautif ; qu'ainsi la décision de l'inspecteur du travail, qui a estimé à tort que le refus de Mme A...d'accepter cette sanction était fautif, est illégale ;
6. Considérant que si la société Lancel demande qu'à ce motif lui soit substitué celui tiré de ce que les faits de harcèlement de ses collaborateurs dans la boutique que Mme A...dirige à Nice sont de nature à justifier son licenciement, il n'y a pas lieu de procéder à une telle substitution de motifs qui ne peut être demandée au juge de l'excès de pouvoir que par l'auteur de la décision attaquée ou par le ministre, lequel ne l'a pas expressément sollicitée ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'autorisation est légalement justifiée par les faits susmentionnés doit être en tout état de cause écarté ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A...est fondée à demander l'annulation de la décision contestée ;
Sur les conclusions des parties relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de MmeA..., qui n'est pas la partie perdante ; qu'il y a lieu de mettre à la charge de la société Lancel une somme de 2 000 euros ;
Sur les conclusions de la requérante tendant à la condamnation de Mme A...aux dépens :
9. Considérant qu'aucun dépens n'ayant été exposé, ces conclusions doivent être en tout état de cause rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 5 novembre 2014 est annulé.
Article 2 : La décision du 4 décembre 2013 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société Lancel à licencier Mme A...est annulée.
Article 3 : Les conclusions de la société Lancel Sogedi tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à la condamnation de Mme A...aux dépens sont rejetées.
Article 4 : La société Lancel Sogedi versera à MmeA..., une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Lancel Sogedi, au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et à Mme C...A....
Délibéré après l'audience du 5 octobre 2015, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Polizzi, président assesseur,
- MmeD..., première conseillère,
Lu en audience publique, le 23 octobre 2015.
Le rapporteur,
F. POLIZZILe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 15PA00089