Vu la requête, enregistrée le 4 février 2015, présentée pour Mlle A...C..., demeurant..., par Me B...;
Mlle C...demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1401181 du 1er décembre 2014 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation, d'une part, de la décision du préfet du Val-de-Marne du 29 novembre 2013 refusant de procéder à la régularisation exceptionnelle de sa situation administrative en qualité de travailleur salarié et, d'autre part, de la décision du ministre de l'intérieur du 21 mars 2014 portant rejet de son recours hiérarchique ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ces deux décisions ;
3°) d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne, à titre principal, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui délivrer un titre de séjour ou, à titre subsidiaire, sur le fondement de l'article L. 911-2 de ce même code, de réexaminer sa demande de titre de séjour et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour pendant le temps nécessaire à ce réexamen, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient :
- que le jugement attaqué est irrégulier, faute d'être suffisamment motivé : que le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa requête sans prendre en considération et sans répondre à l'intégralité de l'argumentation qu'elle a développée ; qu'elle a soulevé le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du code du travail ; que ce moyen avait fait l'objet d'une argumentation particulièrement détaillée ; que cette argumentation n'a nullement été prise en considération par le tribunal ; que le jugement critiqué, qui se contente de préciser que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du code du travail n'est pas assorti de précisons suffisantes permettant au juge d'en apprécier le bien-fondé, souffre d'une insuffisance de motivation ;
- que la décision litigieuse est entachée d'erreur de droit : le préfet a omis de se prononcer sur sa demande d'autorisation de travail ; qu'elle avait pourtant produit l'ensemble des documents nécessaires à l'instruction de sa demande ;
- que la décision litigieuse est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation professionnelle ; qu'elle a bénéficié de plusieurs contrats à durée indéterminée et déterminée conclus avec la société Monoprix et avec la résidence Themis Jean Rostand ; qu'elle a notamment produit à l'appui de sa demande : neuf bulletins de paye émanant de son employeur actuel, cette maison de retraite, montrant qu'elle travaille à temps complet et effectue des heures supplémentaires, les bulletins de paye émanant de tous ses employeurs (Monoprix, Picard) ; une attestation de son employeur en date du 9 octobre 2013 qui confirme désirer l'employer par un contrat à durée indéterminée, lorsque sa situation aura été régularisée, un dossier complet de demande d'autorisation du travail ; qu'ainsi, elle a justifié d'une intégration professionnelle particulièrement aboutie, qu'elle a en outre la confiance de son employeur qui l'assure l'embaucher par contrat à durée indéterminée ; que, si son inscription en master s'est révélée inadaptée, compte tenu de la différence de niveau entre les études suivies dans les deux pays, elle a été orientée par ses professeurs vers la profession d'aide-soignante ; qu'elle a démontré avoir entièrement donné satisfaction puisqu'après avoir passé avec succès le concours d'entrée à la formation, elle a obtenu son diplôme au bout d'un an d'études ; que la décision de poursuivre ses études pour accéder à cette profession s'est avérée être appropriée puisqu'elle a immédiatement trouvé du travail dans une maison de retraite, le secteur devant faire face à une pénurie de candidats pour l'accès à des métiers dont les conditions de travail sont éprouvantes tant physiquement que psychologiquement ; que, par lettre du 9 octobre 2013, la directrice de la résidence médicalisée Jean Rostand a motivé son recrutement et a détaillé les fonctions qu'elle est susceptible de continuer à exercer dans l'hypothèse de la régularisation de sa situation ; que, compte tenu des besoins de l'établissement, et du fait qu'elle a toujours donné entière satisfaction à son employeur, elle pourrait être embauchée par contrat à durée indéterminée ; que son employeur a rempli les documents nécessaires pour obtenir une autorisation de travail et adressé l'ensemble des documents nécessaires à l'examen de cette demande ; que son employeur attendait l'issue de la procédure de régularisation pour pouvoir l'intégrer de manière définitive dans ses effectifs ; qu'elle a en effet continué à faire preuve du sérieux nécessaire à la poursuite de son activité professionnelle ; que son employeur n'a pas été en mesure de pourvoir le poste par une autre embauche, les conditions de travail étant difficiles ; qu'en cours d'instance, elle a produit des documents complémentaires qui prouvent que son intégration professionnelle est totale puisqu'elle demeure embauchée par la société résidence retraite Themis Jean Rostand sous couverts de contrats qui sont renouvelés ; que ces éléments sont de nature à démontrer que le Préfet du Val-de-Marne a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui délivrer le titre demandé ;
- que la décision litigieuse méconnaît les lignes directrices définies par la circulaire du ministre de l'intérieur en date du 28 novembre 2012 ;
- qu'elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : que l'appelante établit être présente de manière continue en France depuis plus de trois ans, période durant laquelle elle a noué des relations sociales et professionnelles ; que le fait de refuser le titre de séjour demandé, alors qu'elle bénéficie d'une certitude d'être embauchée au titre d'un contrat à durée indéterminée, porte une atteinte excessive à sa vie privée alors qu'elle n'a aucune certitude de pouvoir bénéficier d'une telle promesse d'embauche dans son pays d'origine ;
Vu le jugement et les décisions attaqués ;
Vu les pièces dont il résulte que la requête a été communiquée au préfet du
Val-de-Marne, qui n'a pas présenté de mémoire en défense ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 juillet 2015 :
- le rapport de M. Romnicianu, premier conseiller,
- et les observations de Me B..., pour Mlle C... ;
1. Considérant que MlleC..., ressortissante algérienne née le 28 janvier 1985 à Taguemount El Djedid (Algérie), est entrée en France en août 2010 munie d'un visa de long séjour portant la mention " étudiant " ; qu'elle s'est alors vu délivrer un titre de séjour en qualité d'étudiant ; que le 21 octobre 2013 elle a sollicité la régularisation, à titre exceptionnel, de sa situation administrative en qualité de travailleur salarié ; que, par une décision du préfet du
Val-de-Marne en date du 29 novembre 2013, confirmée sur recours hiérarchique de l'intéressée par une décision du ministre de l'intérieur en date du 21 mars 2014, sa demande a été rejetée ; que Mlle C... relève appel du jugement du 1er décembre 2014 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de ces deux décisions administratives ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 7 de l'accord franco-algérien du
27 décembre 1968 susvisé : " (...) b) Les ressortissants algériens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée reçoivent après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les services du ministre chargé de l'emploi, un certificat de résidence valable un an pour toutes professions et toutes régions, renouvelable et portant la mention " salarié " : cette mention constitue l'autorisation de travail exigée par la législation française ; (...) " ; qu'aux termes de l'article 9 de ce même accord : " (...) Pour être admis à entrer et séjourner plus de trois mois sur le territoire français au titre des articles 4, 5,7, 7 bis al. 4 (lettre c et d) et du titre III du protocole, les ressortissants algériens doivent présenter un passeport en cours de validité muni d'un visa de long séjour délivré par les autorités françaises (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7 (...) " ;
3. Considérant que si l'accord franco-algérien ne prévoit pas, pour sa part, de modalités d'admission exceptionnelle au séjour, ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit ; qu'il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle et professionnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mlle C...est entrée en France en août 2010 et y a séjourné depuis lors sous couvert de certificats de résidence portant la mention " étudiant " ; qu'elle a obtenu le 12 décembre 2012 le diplôme permettant d'exercer la profession d'aide-soignante ; qu'à la suite de l'obtention de ce diplôme, elle a été immédiatement recrutée, sous couvert de contrats à durée déterminée successifs, en qualité d'aide-soignante, dans une maison de retraite médicalisée, la " résidence retraite médicalisée Thémis Jean
Rostand ", située à Chatenay-Malabry (92) ; que, dans une lettre datée du 9 octobre 2013, la directrice de l'établissement indique que " dès présentation d'un titre de séjour ou d'une autorisation de travail Mlle C... bénéficiera d'un contrat à durée indéterminée " et détaille les fonctions susceptibles d'être confiées à l'intéressée dans l'hypothèse où sa situation administrative serait régularisée ; que, dès le 21 octobre 2013, Mlle C... a sollicité des services préfectoraux la régularisation, à titre exceptionnel, de sa situation administrative en qualité de travailleur salarié ; que, dans ces circonstances, eu égard, d'une part, à la volonté d'insertion professionnelle manifestée par Mlle C... et, d'autre part, aux difficultés récurrentes de recrutement dans le secteur considéré, il ressort des pièces du dossier qu'en refusant de faire usage de son pouvoir discrétionnaire aux fins de régularisation de la situation administrative de MlleC..., le préfet du Val-de-Marne a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de celle-ci sur la situation personnelle et professionnelle de l'intéressée ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mlle C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation des deux décisions préfectorale et ministérielle du 29 novembre 2013 et
21 mars 2014 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Considérant que, eu égard au motif d'annulation des deux décisions litigieuses
ci-dessus retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que Mlle C... se voie délivrer un titre de séjour l'autorisant à exercer une activité salariée ; que, par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de délivrer à Mlle C...le certificat de résidence valable un an prévu à l'article 7 b) de l'accord franco-algérien susvisé, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mlle C...et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1401181 du 1er décembre 2014 du Tribunal administratif de Melun et les décisions susvisées du préfet du Val-de-Marne et du ministre de l'intérieur en date des
29 novembre 2013 et 21 mars 2014 refusant la délivrance d'un titre de séjour à Mlle C...sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Val-de-Marne de délivrer à MlleC..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, un certificat de résidence d'algérien valable un an.
Article 3 : L'État versera à Mlle C...une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mlle A...C..., au ministre de l'intérieur et au préfet du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 6 juillet 2015, à laquelle siégeaient :
Mme Vettraino, président de chambre,
M. Romnicianu, premier conseiller,
M. Gouès, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 31 juillet 2015.
Le rapporteur,
M. ROMNICIANULe président,
M. VETTRAINO
Le greffier,
F. TROUYET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 11PA00434
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N° 15PA00529