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19/05/2015 | FRANCE | N°14PA03646

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 19 mai 2015, 14PA03646


Vu la requête, enregistrée le 11 août 2014, présentée par le préfet de police de Paris qui demande à la Cour :

1º) d'annuler le jugement n° 1403138/6-3 du 30 juin 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a prononcé l'annulation de son arrêté du 30 octobre 2013 ayant retiré la carte de séjour temporaire dont était titulaire Mme A...D..., a obligée celle-ci à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel elle peut être reconduite d'office, lui a enjoint de réexaminer la situation de Mme D...dans un délai de deux mois à compter de l

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Vu la requête, enregistrée le 11 août 2014, présentée par le préfet de police de Paris qui demande à la Cour :

1º) d'annuler le jugement n° 1403138/6-3 du 30 juin 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a prononcé l'annulation de son arrêté du 30 octobre 2013 ayant retiré la carte de séjour temporaire dont était titulaire Mme A...D..., a obligée celle-ci à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel elle peut être reconduite d'office, lui a enjoint de réexaminer la situation de Mme D...dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement à Me Morel, avocat de Mme D..., de la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme D...devant le Tribunal administratif de Paris ;

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le moyen tiré de la violation de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 était fondé ; en effet, il est justifié de l'envoi en pli recommandé avec demande d'accusé de réception de la lettre du 26 août 2013 invitant Mme D...à produire ses observations ; l'intéressée ayant omis de retirer le pli mis en instance, celui-ci a été retourné à l'expéditeur ; dès lors, le principe du contradictoire n'a pu être mis en oeuvre du fait même de Mme D... ;

- ainsi qu'il a été dit en première instance, les autres moyens de Mme D...ne sont pas fondés ; il a été justifié d'un faisceau d'indices suffisamment précis et concordants permettant d'établir que la reconnaissance de l'enfant de l'intéressée par un ressortissant français constitue une reconnaissance de complaisance effectuée afin de faciliter l'octroi de la nationalité française à l'enfant pour que sa mère obtienne la délivrance d'un titre de séjour ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 8 février 2015, présenté pour Mme A...D...par Me Morel, qui conclut au rejet de la requête, demande subsidiairement qu'en cas d'annulation du jugement, l'affaire soit renvoyée au Tribunal administratif de Paris ou, en cas d'évocation, qu'il soit fait droit à sa demande de première instance et conclut, en tout état de cause, à ce que le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros soit mis à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 11 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

Elle fait valoir que les moyens invoqués par le préfet de police ne sont pas fondés, demande que la Cour ordonne au préfet de police de communiquer l'intégralité des documents sur lesquels il s'est fondé, l'absence de communication de ces éléments caractérisant la violation des principes généraux du respect du contradictoire, de l'égalité des armes et du procès équitable prévus par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et soutient que le document produit par le préfet de police en cause d'appel est dépourvu de caractère probant ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 29 avril 2015, présenté pour Mme A...D...par Me Morel, qui confirme ses précédentes écritures ;

Elle soutient, en outre, que la teneur du procès-verbal d'audition produit par l'administration n'est pas celle dont fait état l'arrêté attaqué ; que la fraude alléguée n'est pas établie, en l'absence d'éléments démontrant que le père de l'enfant l'a reconnu en vue de permettre la régularisation de sa mère ;

Vu la décision n° 2014/053073 en date du 18 décembre 2014 de la section Cour administrative d'appel de Paris du bureau d'aide juridictionnelle de Paris, admettant Mme D...au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

Vu le code civil ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 mai 2015 :

- le rapport de M. Cantié, premier conseiller,

- les conclusions de M. Rousset, rapporteur public,

- et les observations de Me Guillemette, avocat de MmeD... ;

1. Considérant que MmeD..., ressortissante nigériane née le 1er mai 1984, est entrée en France en août 2009 selon ses déclarations ; qu'à la suite de la naissance sur le territoire, le 9 mai 2011, de son enfant Joshua, Mme D...a obtenu la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la vie " vie privée et familiale " sur le fondement le fondement de l'article L. 313-11, 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en qualité de parent d'enfant français ; que ce premier titre, valable du 21 mai 2012 au 20 mai 2013, a été renouvelé ; que, par arrêté du 3 octobre 2013, le préfet de police de Paris a retiré le nouveau titre de séjour délivré à l'intéressée, valable jusqu'au 30 mai 2014, au motif que son admission au séjour avait été obtenue par fraude, et l'a obligée à quitter le territoire dans le délai de trente jours en fixant le pays à destination duquel elle peut être éloignée d'office ; que le préfet de police relève appel du jugement du 30 juin 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et lui a ordonné de réexaminer la situation de l'intéressée ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 susvisée : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. L'autorité administrative n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre, leur caractère répétitif ou systématique (...) " ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et en particulier des nouvelles pièces produites en appel, que le préfet de police a adressé à MmeD..., par envoi recommandé avec demande d'accusé de réception, une lettre datée du 26 août 2013 informant celle-ci des motifs qui le conduisaient à envisager de prononcer le retrait de son titre de séjour et l'invitant à présenter ses observations ; que si l'adresse portée sur le pli n'est pas parfaitement lisible sur la copie produite par l'administration en raison de l'apposition d'un autocollant postal, il est possible d'identifier la même adresse que celle mentionnée au bas de la lettre adressée à MmeD..., à savoir " Maison d'accueil Trévise - 12, cité de Trévise 75009 Paris ", qui constitue l'adresse fournie par l'intéressée aux services préfectoraux lors du dépôt de sa demande tendant au renouvellement de sa carte de séjour ; que, selon les mentions précises et concordantes portées sur le pli contenant cette lettre et sur l'avis de réception postal versé au dossier, ce pli a été présenté à l'adresse précitée par un préposé de La Poste le 28 août 2013, qui, en l'absence du destinataire, a déposé un avis de mise en instance ; que Mme D...ayant négligé de retirer le pli auprès des services postaux pendant le délai réglementaire, il a été retourné à l'administration le 13 septembre 2013 ; que, dans ces conditions, Mme D...n'est pas fondée à se plaindre de ce qu'elle n'a pas été invitée à présenter ses observations dans le respect du principe du contradictoire ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont accueilli, pour annuler les décisions attaquées, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ;

5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D...;

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d' un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 623-1 du même code : " Le fait de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d'une protection contre l'éloignement, ou aux seules fins d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende (...). / Ces mêmes peines sont applicables en cas d'organisation ou de tentative d'organisation d'un mariage ou d'une reconnaissance d'enfant aux mêmes fins (...) " ;

7. Considérant que si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé ; que ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers ; que tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés ; que, par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'enfant de Mme D...a été reconnu avant sa naissance, le 24 mars 2011, par celle-ci et par M. C...B..., de nationalité française ; que, pour retirer à l'intéressée son titre de séjour, le préfet de police s'est fondé sur la circonstance que cette reconnaissance de paternité présentait un caractère frauduleux ; qu'il a versé au dossier la copie d'un rapport d'enquête et d'un rapport de synthèse communiqué à l'autorité judiciaire dont il résulte que M. B...aurait été l'auteur de multiples reconnaissances frauduleuses de paternité et que Mme D...aurait admis, lors d'une audition du 28 novembre 2012, que la reconnaissance de son enfant par M. B...avait été obtenue en échange de faveurs de nature sexuelle ; que, toutefois, il ne ressort pas du procès-verbal de l'audition de Mme D...que celle-ci aurait admis que M. B...ne serait pas le père biologique de l'enfant, bien qu'elle ait reconnu avoir eu des relations avec d'autres hommes à l'époque de la conception de l'enfant, ni qu'il aurait reconnu son enfant en échange des faveurs alléguées ; qu'il ressort de ce procès-verbal que l'intéressée a indiqué avoir eu une relation amoureuse avec M. B...et, implicitement, que celui-ci aurait contribué financièrement à l'entretien de l'enfant de façon sporadique ; que l'administration n'a produit aucun élément établissant que M. B...aurait admis avoir reconnu l'enfant de Mme D...dans le but de permettre à celle-ci de se voir délivrer un titre de séjour ; que les seules circonstances que l'intéressé ne serait pas le père biologique de cet enfant et aurait procédé à de nombreuses reconnaissances de paternité de caractère frauduleux, ne sont pas de nature à caractériser en l'espèce une reconnaissance frauduleuse de paternité ; que, dans ces conditions, le préfet de police ne rapporte pas la preuve de la fraude ayant motivé la mesure attaquée ; que, par suite, Mme D...est fondée à soutenir que la décision de retrait de son titre de séjour est entachée d'erreur de droit et que, par voie de conséquence, les mesures que comporte l'arrêté attaqué sont illégales ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a prononcé l'annulation de son arrêté du 30 octobre 2013 ayant retiré la carte de séjour temporaire dont était titulaire MmeD..., a obligée celle-ci à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel elle peut être reconduite d'office, lui a enjoint de réexaminer la situation de Mme D...dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement à Me Morel de la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;

10. Considérant que Mme D...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions qu'elle présente sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de police de Paris est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par Mme D...sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991relative à l'aide juridique sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A...D....

Copie en sera transmise au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 5 mai 2015, à laquelle siégeaient :

- Mme Coënt-Bochard, président de chambre,

- M. Dellevedove, premier conseiller,

- M. Cantié, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 mai 2015.

Le rapporteur,

C. CANTIÉLe président,

E. COËNT-BOCHARD

Le greffier,

A. LOUNIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14PA03646


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 14PA03646
Date de la décision : 19/05/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme COËNT-BOCHARD
Rapporteur ?: M. Christophe CANTIE
Rapporteur public ?: M. ROUSSET
Avocat(s) : MOREL

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2015-05-19;14pa03646 ?
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