Vu la requête, enregistrée le 6 août 2014, présentée pour Mme B...A..., demeurant au..., par le cabinet J.C.V.B.R.L. ; Mme A... demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1309796/6-2 du 17 juin 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ;
2°) de condamner l'AP-HP à lui verser les sommes de 15 029,92 euros au titre des dépenses de santé et frais divers restés à sa charge, de 26 280 euros au titre de l'assistance d'une tierce personne avant consolidation, de 23 840,15 euros au titre des pertes de gains actuelles, de 214 345,20 euros au titre des pertes de gain futures et de l'incidence professionnelle, de 52 341 euros au titre de l'assistance d'une tierce personne après consolidation, de 14 400 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, de 15 000 euros au titre des souffrances endurées, de 50 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, de 7 500 euros au titre du préjudice esthétique ;
3°) à titre subsidiaire de désigner un médecin expert afin qu'il évalue les préjudices en lien avec la faute commise et de condamner l'AP-HP à lui verser une provision de 40 000 euros à valoir sur la réparation de ses préjudices ;
4°) de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La requérante soutient :
- que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, sa requête n'est pas irrecevable ; que la proposition d'indemnisation amiable ne peut être assimilée à une décision de rejet ; que l'AP-HP n'a jamais donné suite à ses demandes de communication du rapport d'expertise auquel cette proposition se référait ; qu'elle a immédiatement contesté la première proposition formulée par l'AP-HP ; qu'elle n'a formé de réclamation tendant à l'indemnisation des préjudices subis que le 28 février 2013, laquelle a donné lieu à un refus le 21 mai 2013 ; que le seul délai opposable est le délai de prescription de dix ans à compter de la consolidation ;
- qu'elle a connu des complications à la suite d'une biopsie chirurgicale d'un ganglion cervical droit pratiquée à l'hôpital Saint Louis le 5 septembre 2007 ; qu'elle a rapidement constaté une perte de sensibilité et de motricité dans la région cervico-faciale droite ; que, dans les jours qui ont suivi, la sensation d'anesthésie s'est progressivement accompagnée de douleurs irradiant l'épaule droite et la partie supérieure droite du thorax ; qu'après plusieurs consultations, une importante dénervation du nerf spinal accessoire droit avec atteinte du sterno-cléïdo mastoïdien et du trapèze droit a été diagnostiquée le 30 novembre 2007 ; qu'elle a présenté d'importantes douleurs de même qu'un déficit de motricité du membre supérieur droit, particulièrement marqué au niveau de l'épaule droite ; qu'elle a adressé une réclamation amiable à l'AP-HP le 27 juin 2008 dont il a été accusé réception le 11 juillet suivant ; que par courrier en date du 13 mai 2009, l'AP-HP a reconnu sa responsabilité pour les faits à l'origine du dommage ; qu'une expertise a été menée par le médecin-conseil de l'AP-HP ; qu'elle a été réexaminée par ce même médecin quelques semaines plus tard, lequel présentait des conclusions rigoureusement différentes de ses conclusions provisoires ; que pour l'une et l'autre des expertises, elle n'a pas été destinataire du rapport ; qu'une offre d'indemnisation lui a été adressée par l'AP-HP sur le fondement de ces expertises ; que cette offre est insuffisante ; que l'évaluation des préjudices extrapatrimoniaux y apparaissait très basse ; qu'aucune offre concernant le préjudice professionnel futur n'y était formulée ; qu'en dépit de ses demandes répétées, elle n'a jamais pu être mise en possession des rapports de l'expert ; qu'elle a sollicité une nouvelle expertise du Docteur Bouchard, neurologue, qui a rendu un rapport en date du 18 janvier 2013 ; qu'elle a, sur ce fondement, présenté une contre-proposition transactionnelle à l'AP-HP par courrier en date du 28 février 2013 ; que l'AP-HP s'est bornée à lui opposer la circonstance que cette contreproposition n'était pas recevable, n'ayant pas été formulée dans le délai de deux mois postérieurement à la première offre amiable d'indemnisation ;
- que le praticien de l'hôpital Saint Louis ayant effectué la biopsie chirurgicale a commis une faute dans la réalisation des soins prodigués ; qu'il touché un nerf qui n'était pas visé par l'intervention ; qu'il s'agit d'une maladresse chirurgicale ; que la réparation du préjudice résultant de cette faute incombe à l'AP-HP ; que celle-ci reconnaît d'ailleurs sa responsabilité ;
- que les expertises du médecin-conseil de l'AP-HP sont peu probantes ; que ce médecin n'a pas retenu de préjudice professionnel futur ; qu'il a retenu des conclusions médico-légales contradictoires à six mois d'intervalle ;
- que le poste de préjudice relatif aux dépenses de santé et frais divers doit être évalué à la somme de 13 029,92 euros ; que cette somme est en lien direct avec le fait générateur de responsabilité ;
- qu'elle a eu besoin d'être assistée dans les actes de la vie courante à hauteur de 2 heures et demi par jour pendant deux ans puis une heure l'année suivante ; qu'elle a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne avant la consolidation de son état pour un volume horaire total de 2190 heures ; qu'il conviendra de réparer ce poste de préjudice en lui allouant la somme de 26 280 euros ;
- qu'elle a été, suite aux dommages subis, en arrêt de travail total du 6 septembre 2007 au 1er octobre 2010 ; que, compte tenu des indemnités journalières versées par la caisse primaire d'assurance maladie, il y a lieu de retenir la somme de 5 053,15 euros s'agissant des pertes de salaire effectives ; qu'en y ajoutant le bénéfice de la part de rémunération variable qu'elle aurait dû toucher, il convient d'évaluer ce poste de préjudice à la somme totale de 23 840,15 euros ;
- qu'elle n'a pu reprendre son activité que fin septembre 2010, avec un horaire spécifiquement aménagé ; qu'elle perd ainsi le bénéfice de trois primes qui ne lui sont désormais versées que pour moitié ; qu'elle ne verra pas ses meilleures années comptabilisées au titre de la retraite ; qu'en résulte un préjudice annuel d'au moins 7 200 euros ; qu'entre 2010 et 2018 elle perdra le bénéfice d'environ 900 points ARRCO et 180 points AGIRC ; que son préjudice de retraite annuel total se chiffrera à 8 400 euros ; qu'en définitive, il conviendra de constater que son préjudice global à ce titre est de 214 345,20 euros ;
- qu'elle nécessite toujours l'assistance d'une tierce personne après consolidation ; qu'il y a lieu de lui allouer une somme de 52 341 euros à ce titre ;
- que son déficit fonctionnel temporaire doit être évalué à la somme de 14 400 euros ;
- que le poste de préjudice relatif aux souffrances endurées sera justement réparé par une allocation de 15 000 euros ;
- que son déficit fonctionnel permanent doit être évalué à la somme de 50 000 euros ; qu'elle est diminuée dans sa capacité à jouir des plaisirs normaux de l'existence ; que chaque tentative d'exercice physique est entravée ;
- que, compte tenu de l'altération de son apparence physique, il sera fait une juste réparation de son préjudice esthétique en lui allouant une somme de 7 500 euros ;
Vu le jugement et la décision attaqués ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 16 octobre 2014, présenté pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) par Me D...qui conclut à ce que la Cour constate que la responsabilité de l'AP-HP est engagée pour faute et que, par suite, il n'y a pas droit pour la requérante à sa prise en charge de son préjudice au titre de la solidarité nationale, et mette l'ONIAM hors de cause ;
L'ONIAM fait valoir :
- que le législateur a clairement consacré un principe de subsidiarité de l'intervention de la solidarité nationale aux termes duquel la prise en charge par l'ONIAM des conséquences d'un accident médical ne saurait intervenir qu'en l'absence de toute responsabilité des personnels ou établissements de santé à l'origine des dommages ;
- que l'existence d'une faute seule à l'origine des dommages dont réparation est sollicitée engageant la responsabilité des praticiens ou établissements de santé est exclusive de toute prise en charge par la solidarité nationale ;
- que les préjudices de Mme A...résultent manifestement d'une maladresse constitutive d'une faute engageant la responsabilité de l'AP-HP ;
Vu l'ordonnance en date du 2 décembre 2014 fixant la clôture d'instruction au 5 février 2015, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2015, présenté par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, par Me Tsouderos, qui demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête de MmeA... ;
2°) à titre subsidiaire d'ordonner une expertise destinée à évaluer les préjudices de Mme A... ;
L'AP-HP fait valoir :
- que suite à la demande de l'intéressée et après enquête médicale amiable contradictoire menée par son médecin-conseil, l'AP-HP a reconnu sa responsabilité et a, par décision en date du 5 décembre 2011, proposé une indemnisation à la requérante à hauteur de 25 819 euros, déduction faite de l'indemnité provisionnelle de 2 000 euros qui lui avait été versée spontanément par l'AP-HP ; que la lettre en cause était assortie des voies et délais de recours ; que la requérante n'a pas réagi à cette offre indemnitaire ; que, contrairement à ce qu'elle soutient, cette lettre vaut décision et cette décision est devenue définitive ;
- que si la Cour estimait que la requête est recevable, elle ne pourrait que confirmer le montant de l'indemnisation proposée par l'AP-HP ; qu'à défaut, le rapport présenté par le médecin conseil de l'intéressée ne présentant pas davantage de valeur probante, la Cour ne pourrait qu'ordonner une nouvelle expertise ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 avril 2015 :
- le rapport de M. Polizzi, président assesseur,
- les conclusions de M. Roussel, rapporteur public,
- et les observations de Me Tsouderos, avocat de l'AP-HP ;
1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme B...A...a subi le 5 septembre 2007 à l'hôpital Saint Louis une biopsie chirurgicale d'un ganglion cervical droit, laquelle a donné lieu à des complications consistant en une importante dénervation du nerf spinal accessoire droit avec une atteinte du sterno-cléido mastoïdien et du trapèze droit ; qu'elle a adressé à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris une réclamation préalable le 27 juin 2008 afin d'obtenir réparation des préjudices qu'elle allègue avoir subis ; que suite à la demande de l'intéressée et après enquête médicale amiable contradictoire menée par son médecin-conseil, l'AP-HP a reconnu sa responsabilité et a, par décision en date du 5 décembre 2011, proposé une indemnisation à la requérante à hauteur de 25 819 euros, déduction faite de l'indemnité provisionnelle de 2 000 euros qui lui avait été versée spontanément par l'AP-HP ; que la lettre en cause était assortie des voies et délais de recours ; que la requérante n'a pas réagi à cette offre indemnitaire ; qu'elle a adressé une nouvelle demande indemnitaire qui a été rejetée le 21 mai 2013 ; qu'elle demande l'annulation du jugement du tribunal qui a rejeté sa requête et la réparation des préjudices subis et, à titre subsidiaire, la désignation d'un expert ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. " ;
3. Considérant qu'eu égard à l'objectif poursuivi par le législateur en instituant une procédure de règlement amiable des litiges portant sur les dommages imputés à un établissement public de santé à raison d'une activité de prévention, de diagnostic ou de soins, la notification de la décision de l'établissement rejetant la demande d'indemnité doit, en toute hypothèse, indiquer non seulement que le tribunal administratif peut être saisi dans le délai de deux mois, mais aussi que ce délai est suspendu en cas de saisine de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI), en vertu du dernier alinéa de l'article L. 1142-7 du code de la santé publique ; que la notification ne fait pas courir le délai si elle ne comporte pas cette double indication ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme A...a reçu le 7 décembre 2011 notification d'une proposition d'indemnisation en date du 5 décembre émanant de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris pour un montant de 27 819 euros ; que cette lettre mentionnait seulement que l'intéressée pouvait saisir le tribunal administratif, dans le délai de deux mois suivant la date de sa réception, sans préciser que ce délai serait suspendu en cas de saisine de la CRCI ; que, dès lors, cette notification n'a pas fait courir le délai de recours ; que, par suite, c'est à tort que le tribunal a rejeté comme irrecevable la demande dont il était saisi ; que son jugement en date du 17 juin 2014 doit, dès lors, être annulé ;
5. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par MmeA... ;
Sur les conclusions indemnitaires :
6. Considérant qu'aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. La mission confiée à l'expert peut viser à concilier les parties " ;
7. Considérant que l'état du dossier, où ne figurent que deux expertises réalisées par chaque partie de façon non contradictoire, ne permet pas à la Cour administrative d'appel d'apprécier l'existence et l'importance de l'ensemble des préjudices invoqués par la requérante ; que si l'AP-HP a reconnu l'existence d'une faute médicale, elle ne l'a fait qu'à la suite de l'expertise réalisée par son médecin conseil ; que, dès lors, il y a lieu, avant de statuer sur la requête de MmeA..., d'ordonner une expertise sur l'ensemble de ces points ;
Sur la demande de provision :
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la créance de Mme A...ne peut être regardée, à ce stade de la procédure, comme étant non sérieusement contestable ; que, par suite, cette demande ne peut qu'être rejetée ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 17 juin 2014 est annulé.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur la requête de MmeA..., procédé par un expert, désigné par le président de la Cour administrative d'appel, à une expertise avec mission :
1°) d'examiner Mme A...et de décrire son état ;
2°) de donner tous éléments utiles d'appréciation sur la ou les causes de son état ;
3°) de décrire les conditions dans lesquelles elle a été traitée en réunissant tous les éléments devant permettre de déterminer si la prise en charge a été conforme aux données acquises de la science à l'époque des faits et si l'organisation et le fonctionnement du service ont été conformes aux bonnes pratiques et aux recommandations existantes ;
4°) de décrire la nature et l'étendue des préjudices corporels résultant de la prise en charge hospitalière de MmeA..., en les distinguant de son état antérieur et des conséquences prévisibles d'une prise en charge conforme aux règles de l'art ;
5°) de donner son avis sur les autres préjudices imputables à l'intervention litigieuse et plus précisément sur les dépenses de santé, les frais liés à un éventuel handicap, les éventuelles pertes de revenus, l'éventuelle incidence professionnelle du dommage corporel, les autres dépenses liées au dommage corporel et les différents préjudices personnels subis par MmeA... ;
6°) de soumettre un pré-rapport au contradictoire des parties.
Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la Cour dans sa décision le désignant.
Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 5 : Les conclusions de Mme A...tendant à l'octroi d'une provision sont rejetées.
Article 6 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A..., à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, à la société Dynalis (Sapia Gestion), à la Caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines, à la Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France, et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2015, à laquelle siégeaient :
M. Bouleau, premier vice-président,
M. Polizzi, président assesseur,
Mme Julliard, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 6 mai 2015.
Le rapporteur,
F. POLIZZILe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
M. C...
La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 14PA03561