Vu la requête, enregistrée le 7 août 2012, présentée pour l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, représentée par son directeur en exercice, dont le siège est 14, rue Bonaparte à Paris (75006), par Me C...; l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1012360/5-3 du 20 juin 2012 par lequel le Tribunal administratif de Paris l'a condamnée à verser à M. B...A...une somme de 32 000 euros en réparation des préjudices subis à la suite de son licenciement et a mis à sa charge le versement de la somme de 2 000 euros au profit de M. A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter l'ensemble des demandes de M.A... ;
3°) de mettre à la charge de M. A...la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
.........................................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'Etat ;
Vu le décret n° 85-733 du 17 juillet 1985 relatif aux maîtres de conférences et professeurs des universités associés ou invités ;
Vu le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 avril 2014 :
- le rapport de M. Auvray, président-assesseur,
- les conclusions de M. Dewailly, rapporteur public,
- et les observations de Me Diot, avocat de l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts ;
1. Considérant qu'entre 1992 et 2005, M. A...a assuré, à l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts (ENSBA), l'enseignement du français à destination des étudiants étrangers accueillis dans le cadre des programmes d'échanges " Erasmus " ; que, par jugement du 14 février 2007 devenu définitif, le Tribunal administratif de Paris a jugé, d'une part, que M. A...devait être regardé comme ayant été engagé par l'ENSBA sur la base d'un contrat verbal pour une durée indéterminée, d'autre part, qu'en rejetant, par courrier du 16 décembre 2005, sa demande tendant au versement de sa rémunération, interrompu depuis juillet 2005, et en indiquant à l'intéressé que de " nouvelles vacations " pourraient lui être proposées pour la rentrée de 2006, l'ENSBA avait entendu rompre le contrat qui l'unissait à M. A...et procéder à son licenciement à cette date ; qu'en conséquence, le tribunal a fait droit aux conclusions de M. A...tendant à la condamnation de l'ENSBA à lui verser le préavis et l'indemnité de licenciement, dans les conditions prévues aux articles 46, 53 et 54 du décret du 17 janvier 1986 ; que, par demande préalable du 25 mars 2010,
M. A...a vainement sollicité de l'ENSBA le versement de 52 850,79 euros, à titre de réparation du préjudice financier résultant de la perte de revenus consécutive à son licenciement, et de
10 000 euros, au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qui en ont découlé ; que l'ENSBA relève appel du jugement du 20 juin 2012 par lequel le Tribunal administratif de Paris l'a condamnée à verser à M. A...la somme de 30 000 euros, au titre de son préjudice financier, et la somme de 2 000 euros, au titre de son préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ; que, par la voie de l'appel incident, M. A...porte sa demande indemnitaire pour perte de revenus de 52 850,79 euros à 94 302,39 euros, en étendant la période à prendre en compte, soit 91 mois au lieu de 51 mois devant les premiers juges ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision mentionne que l'audience a été publique (...) Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application (...) "; qu'aux termes de l'article R. 741-7 de ce code : " Dans les tribunaux administratives et les cours administratives d'appel, ma minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience " ;
3. Considérant que, si l'ENSBA soutient que la minute du jugement attaqué n'analyse ni son mémoire en défense, enregistré au greffe du tribunal le 14 septembre 2010, ni le mémoire en réplique produit pour M. A...et enregistré à ce greffe le 1er février 2011, il ressort des pièces du dossier de première instance et, notamment, du document intitulé " visas ", signé conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative et annexé à la minute du jugement attaqué, que ces mémoires ont été analysés ; qu'il suit de là que l'ENSBA n'est pas fondée à soutenir que le jugement en cause serait irrégulier ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par l'ENSBA aux conclusions incidentes formulées par M. A...:
4. Considérant que, lorsque l'étendue réelle des conséquences dommageables résultant d'un même fait n'est connue que postérieurement au jugement de première instance, la partie intéressée est recevable à augmenter, en appel, le montant de ses prétentions, par rapport au montant demandé devant les premiers juges ;
5. Considérant que, pour évaluer la perte de rémunération résultant de son licenciement,
M. A...porte, devant la Cour de céans, la durée de cette privation de revenus de 51 mois à
91 mois, notamment pour tenir compte de ce qu'entre la date de sa demande indemnitaire, formulée préalablement à la saisine du tribunal administratif, et le 31 décembre 2012, il n'a toujours pas retrouvé d'emploi ; qu'eu égard au principe énoncé au point précédent, les conclusions incidentes de l'intimé sont recevables en appel ; que, dès lors, la fin de non-recevoir opposée par l'ENSBA doit être écartée ;
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité :
6. Considérant, en premier lieu, qu'en condamnant l'ENSBA à verser à M. A...le préavis et l'indemnité de licenciement dans les conditions prévues par le décret du 17 janvier 1986, le tribunal administratif n'a pas, implicitement mais nécessairement, estimé, par son jugement du
14 février 2007 devenu définitif, que le licenciement était légal, contrairement à ce que soutient l'appelante, mais s'est borné à qualifier la rupture des relations contractuelles intervenue entre les parties, liées, selon lui, par un contrat verbal à durée indéterminée ; que, par suite, en estimant, par le jugement attaqué du 20 juin 2012, que le licenciement de M.A..., prononcé le 16 décembre 2005 par l'ENSBA, était fautif, les premiers juges n'ont pas méconnu l'autorité de chose jugée dont est revêtu le jugement du 14 février 2007 ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il est constant qu'au début de l'année 2005, dans le contexte de l'harmonisation communautaire des diplômes dits " LMD " ( licence-master-doctorat), l'ENSBA a décidé de mettre en place, à compter de la rentrée universitaire de 2006, un enseignement de français " langue étrangère " à destination des étudiants non francophones et qu'à cette occasion l'Ecole, qui avait demandé à M. A...d'élaborer un projet pédagogique adapté à la réorganisation de l'enseignement du français, a proposé à l'intéressé de lui garantir, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, un volume de 448 heures d'enseignement par an, correspondant à une rémunération annuelle de 17 764,88 euros ;
8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et n'est du reste pas contesté par l'appelante, que ces propositions avaient pour effet de réduire la rémunération de M. A...en contrepartie d'un nombre d'heures de travail effectif plus élevé ; que les modifications apportées au contrat de travail de M.A..., titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée selon les termes du jugement du 14 février 2007 devenu définitif, revêtaient ainsi un caractère substantiel ; que les premiers juges ont relevé, à juste titre, que ces modifications substantielles n'étaient dues ni à une cause économique, ni à une quelconque insuffisance professionnelle de M.A... ; qu'il suit de là que le licenciement de l'intéressé, prononcé le 16 décembre 2005 par l'ENSBA, était illégal et que cette illégalité a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l'ENSBA, dont
M. A...est fondé à se prévaloir pour obtenir réparation des préjudices directs et certains résultant de cette décision, sous réserve d'un partage de responsabilité ;
9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, depuis 1992, M.A..., recruté en qualité de " professeur associé ", régi par les dispositions du décret du 17 juillet 1985 et, en particulier, par son article 4 qui fait en principe obstacle à la conclusion d'un contrat à durée indéterminée, était rémunéré pour six heures hebdomadaires d'enseignement, à raison de cinquante-deux semaines par an, soit 312 heures, alors qu'il ne travaillait, en réalité, que trente-deux semaines par an, soit 192 heures, et que, les étudiants bénéficiant du programme " Erasmus " de l'Ecole nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD) étant autorisés à suivre les cours dispensés par
M. A...à ceux de l'ENSBA, l'ENSAD le rémunérait également pour les mêmes prestations ; qu'ainsi, les propositions de l'ENSBA, qui certes constituaient des modifications substantielles, garantissaient à M. A...une rémunération annuelle de plus de 17 000 euros et avaient pour effet de corriger une situation ne correspondant pas à la réalité du service rendu par l'intéressé ; que, dans ces conditions, et eu égard au fait que le jugement du 14 février 2007 qui, passé en force de chose jugée, a estimé que M. A...était lié à l'ENSBA par un contrat à durée indéterminée, l'appelante est seulement fondée à obtenir que sa responsabilité soit atténuée de moitié ; qu'il y a lieu, dès lors, de réformer sur ce point le jugement attaqué ;
En ce qui concerne le montant des préjudices :
10. Considérant qu'en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre, sans qu'y fasse par principe obstacle la circonstance, invoquée par l'appelante, tirée de ce que l'agent licencié n'a pas introduit de recours contentieux tendant à l'annulation de l'éviction ; que sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité ;
Quant à la perte de revenu :
11. Considérant que M.A..., qui soutient n'avoir à ce jour pas trouvé de poste de substitution à celui dont il a été illégalement évincé le 16 décembre 2005, demande la condamnation de l'ENSBA à lui verser une indemnité correspondant à la perte de revenu ainsi subie entre le
1er juillet 2005 et le 31 décembre 2012, soit durant 91 mois ; que, pour justifier la perte de rémunération résultant de son licenciement, M. A...se fonde sur le montant net, égal à
1 036,29 euros, du dernier salaire qu'il a perçu de l'ENSBA au titre du mois de juin 2005, pour en déduire qu'il est fondé à réclamer une somme de 94 302,39 euros, soit 91 x 1 036,29 euros ;
12. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction et des écritures mêmes de
M. A...devant la Cour que la somme de 5 155 euros, que lui a versée l'ENSBA en exécution de l'ordonnance n° 0605771 du 12 septembre 2006 du juge des référés du Tribunal administratif de Paris, correspond à ses salaires non versés à compter du 1er juillet 2005 et à son indemnité de préavis de deux mois ; que, par suite, en tout état de cause, la période susceptible d'ouvrir droit à indemnisation pour perte de revenu ne peut avoir pour fait générateur que le licenciement de l'intéressé, prononcé le 16 décembre 2005 ;
13. Considérant, en second lieu, que si l'ENSBA relève que les avis d'imposition produits par M. A...au titre des années 2006 à 2012 mentionnent des traitements et salaires, il résulte de l'instruction que, depuis de nombreuses années, M. A...exerce dans d'autres établissements, notamment dans la cadre d'un contrat à durée indéterminée conclu avec l'établissement La Clef, et effectue régulièrement des vacations à l'Ecole nationale supérieure de techniques avancées ; qu'il résulte de l'instruction et, notamment, des avis d'imposition produits par l'intimé, que ce dernier a déclaré, dans la catégorie des traitements et salaires, 35 084 euros pour 2003, 28 011 pour 2004, 21 007 pour 2005, 10 815 pour 2006, 12 804 pour 2007, 19 668 pour 2008, 19 245 pour 2009, 19 806 pour 2010, 20 289 pour 2011 et 19 988 pour 2012, ces sommes subissant une diminution sensible à compter de l'année 2006, puis augmentant dès 2008 ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point précédent et de la circonstance, d'ailleurs relevée par l'ENSBA, tirée de ce que M. A...n'établit, ni même n'allègue, avoir entrepris des démarches pour rechercher un emploi de substitution, qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par l'intimé à raison de la perte de salaires en le fixant à 26 000 euros ;
Quant au préjudice moral et aux troubles dans les conditions d'existence :
15. Considérant qu'à l'appui de ses prétentions indemnitaires, M. A...soutient que le licenciement dont il a fait l'objet a été à l'origine d'un préjudice moral et de troubles dans ses conditions d'existence qu'il évalue à 10 000 euros, invoquant un état dépressif consécutif à son éviction et attesté par plusieurs certificats médicaux ; qu'en évaluant ce chef de préjudice à
2 000 euros, les premiers juges se sont livrés à une juste appréciation qu'il convient par suite de confirmer ;
16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, compte tenu du partage de responsabilité fixé au point n° 9, l'ENSBA est seulement fondée à demander que l'indemnité que le Tribunal administratif de Paris l'a condamnée à verser à M. A...soit ramenée de 32 000 euros à 14 000 euros ; que, par suite, les conclusions d'appel incident présentées par M.A..., tendant à ce que l'indemnité devant être mise à la charge de l'ENSBA soit portée de 32 000 euros à
104 302,39 euros ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à que soit mis à la charge de l'ENSBA qui n'est pas, en la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. A...demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. A...le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par l'ENSBA et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 32 000 (trente-deux mille) euros que l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts a été condamnée à verser à M. A...par le jugement du Tribunal administratif de Paris du 20 juin 2012 est ramenée à 14 000 (quatorze mille) euros.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 20 juin 2012 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : M. A...versera à l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts la somme de
1 000 (mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions d'appel incident sont rejetés.
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N° 12PA03430