Vu la requête, enregistrée le 24 janvier 2013, présentée pour Mme C...D..., demeurant ... par MeA... ; Mme D...demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1105543/3-3 en date du 27 novembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du
29 juillet 2010 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour faute, ensemble la décision du 24 janvier 2011 du ministre du travail rejetant son recours hiérarchique ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ces décisions ;
3°) à titre subsidiaire et avant dire droit, d'ordonner la production du rapport établi par le directeur départemental du travail dans le cadre de l'instruction du recours hiérarchique formé auprès du ministre du travail ;
4°) de mettre à la charge de la cinémathèque française la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 février 2014 :
- le rapport de M.Sorin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Ladreyt, rapporteur public,
- et les observations de Me Cohen, avocate de Mme D...puis celles de
Me de Fontmichel, avocate de la cinémathèque française ;
1. Considérant que, le 1er juin 2005, la Cinémathèque française a recruté
Mme D...en qualité de chef d'équipe du service " accueil et billetterie " ; qu'après avoir été, à titre de sanction disciplinaire, mutée et affectée au sein du service " accès aux collections, films et valorisation " à compter du mois de juin 2006, Mme D...a été élue membre titulaire du comité d'entreprise le 25 juin 2009 et déléguée syndicale le 26 juin 2009 ; que, par une demande du 21 juin 2010, complétée le 5 juillet suivant, la Cinémathèque française a sollicité l'autorisation de licencier Mme D...pour faute ; que, par une décision en date du 29 juillet 2010, l'inspecteur du travail par intérim lui a accordé cette autorisation ; que le recours hiérarchique formé par l'intéressée auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé a été rejeté par une décision du 24 janvier 2011 ; que Mme D...a demandé au Tribunal administratif de Paris l'annulation de ces décisions des 29 juillet 2010 et 24 janvier 2011 ; que par jugement du 27 novembre 2012, dont Mme D...interjette régulièrement appel, le tribunal a rejeté sa demande ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; qu'en outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 2421-10 du code du travail : " La demande d'autorisation de licenciement d'un délégué du personnel, d'un membre du comité d'entreprise ou d'un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement qui l'emploie. / Elle est accompagnée du procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise (...) " ;
4. Considérant que, contrairement à ce que soutient MmeD..., le courrier en date du 5 juillet 2010 adressé par la Cinémathèque française à l'inspection du travail se borne à prendre l'attache de l'inspecteur du travail (par intérim) remplaçant l'inspectrice titulaire à qui avait été adressée la demande d'autorisation de licenciement du 21 juin 2010 pour régulariser celle-ci en la complétant avec le procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise ; qu'une seule demande d'autorisation a ainsi donné lieu à une seule enquête menée par l'inspecteur par intérim et à une seule décision d'autorisation de licenciement en date du 29 juillet 2010 ; que, par suite, le moyen tiré de ce que deux demandes d'autorisation auraient été formulées, la première ayant donné lieu à une décision implicite de rejet et la seconde ne pouvant être instruite, ne peut qu'être écarté ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979 susvisée : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision " ; qu'aux termes de l'article R. 2421-16 du code du travail : " L'inspecteur du travail et, en cas de recours hiérarchique, le ministre examinent notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé " ; que si
Mme D...soutient que les décisions litigieuses sont insuffisamment motivées, elles comportent les considérations de droit et de fait sur lesquelles elles sont fondées ; qu'après avoir ainsi admis l'exactitude matérielle des faits de harcèlement reprochés à l'intéressée et la gravité de telles fautes justifiant le licenciement projeté, l'inspecteur du travail par intérim et le ministre chargé du travail pouvaient légalement se borner à évoquer l'absence de lien entre les mandats détenus et la demande d'autorisation de licenciement ; qu' enfin, si les deux décisions litigieuses évoquent, dans leurs motifs, " le " mandat détenu par l'intéressée alors qu'elle en détient deux, cette erreur matérielle est sans incidence sur leur légalité, dès lors notamment que ces mandats sont mentionnés dans les visas des décisions litigieuses ;
6. Considérant, en troisième lieu, que si Mme D...soutient que l'inspecteur du travail par intérim puis le ministre chargé du travail n'ont pas tenu compte des observations qu'elle a formulées tant à l'écrit qu'à l'oral au cours des enquêtes réalisées, cette allégation n'est pas assortie des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé et, en tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que tel aurait été le cas ; que, par suite, le moyen soulevé doit être écarté ;
7. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article R. 2421-11 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat " ;
8. Considérant que le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné ; qu'il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation ; qu'enfin, la communication de l'ensemble de ces pièces doit intervenir avant que l'inspecteur du travail ne statue sur la demande d'autorisation de licenciement présentée par l'employeur, dans des conditions et des délais permettant au salarié de présenter utilement sa défense ; que c'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur ;
9. Considérant, en l'espèce, que pour autoriser le licenciement de MmeD..., l'inspecteur du travail par intérim et le ministre chargé du travail se sont, notamment, fondés sur les réponses apportées par les trois collègues de l'intéressée à un questionnaire adressé par la direction le 17 février 2010 destiné à faire un état des lieux des tensions existant au sein du service " accès aux collections, films et valorisation " ; que, dans les circonstances de l'espèce, eu égard au climat particulièrement dégradé de ce service, qui ne comprenait, outre
MmeD..., que trois autres personnes, et aux risques de représailles que pouvaient légitimement craindre ses collègues, c'est à bon droit que l'inspecteur du travail par intérim et le ministre chargé du travail ont estimé que la communication de leurs témoignages serait de nature à leur porter gravement préjudice ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire doit être écarté ;
En ce qui concerne la légalité interne :
10. Considérant, en cinquième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment d'attestations émanant de salariés de la Cinémathèque française ayant pu acquérir, du fait de leur positionnement géographique ou de leurs fonctions professionnelles, une connaissance précise des relations entre Mme D...et ses collègues, que, dès son arrivée dans cet établissement, puis après sa mutation au service " accès aux collections, films et valorisation ", l'intéressée a adopté un comportement d'opposition quasi-systématique aux instructions données par la hiérarchie et d'interruptions intempestives de ses collègues de travail, et recherché à développer avec son entourage professionnel un climat de conflit permanent caractérisé notamment par des prises de paroles exclusives, des critiques et des récriminations incessantes au cours des réunions auxquelles elle participait ; qu'il n'est pas sérieusement contesté que ce comportement a entraîné chez ses collègues travaillant dans le même service des réactions physiques et psychologiques graves caractérisées par un accroissement de l'anxiété, une baisse de la motivation, des troubles du sommeil à l'origine, au moins chez deux collègues, d'arrêts de travail pour cause de maladie ; que si, pour sa défense, Mme D...produit des attestations d'autres salariés de la cinémathèque française affirmant n'avoir pas eu connaissance de tensions existant au sein du service où elle exerçait, d'une part, ces attestations ne nient pas l'existence de ces tensions et, d'autre part, sont rédigées par des collègues dont les liens professionnels avec l'intéressée ne sont pas établis ;
11. Considérant, en sixième lieu, que Mme D...soutient avoir fait l'objet d'un harcèlement moral de la part de sa hiérarchie à la suite de l'entretien d'orientation professionnelle tenu avec sa supérieure immédiate, MmeB..., chef du service " accès aux collections, films et valorisation ", le 7 octobre 2009, au motif que les propos qu'elle a tenus au cours de cet entretien n'auraient pas été fidèlement retranscrits dans le compte-rendu rédigé quelques jours après par MmeB... ; que, toutefois, il appartenait à Mme D...de faire état des éventuels observations et désaccords avec les remarques formulées par sa supérieure hiérarchique en renseignant le cadre prévu à cet effet dans le formulaire d'entretien ; qu'il ressort des pièces du dossier que la hiérarchie de Mme D...a, à de nombreuses reprises, reçu l'intéressée à ce sujet et l'a invitée à compléter ce compte-rendu ; que
Mme D...a opposé à ces invitations des refus systématiques ; que, dans ces conditions, Mme D...ne saurait sérieusement soutenir avoir fait l'objet d'un harcèlement moral de la part de sa hiérarchie ;
12. Considérant, en septième lieu, que si Mme D...soutient avoir fait l'objet d'une mise à l'écart professionnelle progressive à compter de l'année 2008, elle se borne à produire à l'appui de cette allégation un tableau statistique de ses activités établi par ses soins ; qu'il ressort en outre des pièces du dossier, d'une part, que la baisse du volume de travail a affecté le service dans son ensemble, ainsi qu'il ressort d'éléments statistiques produits par la Cinémathèque française et non contestés par l'intéressée, d'autre part, qu'elle a elle-même demandé, par un courriel du 16 mars 2009, à Mme B..." de discuter d'une organisation et répartition du travail tenant compte du mandat de délégué syndical et du calendrier social très chargé " et, enfin, qu'elle ne s'est à aucun moment plainte auprès de sa hiérarchie de la mise à l'écart dont elle aurait fait l'objet ;
13. Considérant, enfin, qu'il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que la demande d'autorisation de licenciement pour faute litigieuse aurait été en rapport avec les fonctions représentatives de la requérante ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme D...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 29 juillet 2010 et 24 janvier 2011 par lesquelles l'inspecteur du travail par intérim et le ministre chargé du travail ont autorisé son licenciement ;
Sur les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui dans cette instance n'est pas la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par Mme D...et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire droit aux conclusions de la Cinémathèque française en mettant à la charge de Mme D...une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par cet établissement public et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de MmeD... est rejetée.
Article 2 : Mme D...versera à la Cinémathèque française une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N° 13PA00316