Vu le recours, enregistré le 20 janvier 2012, présenté par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, qui demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1020470/7-1 du 16 novembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé sa décision refusant de communiquer à M. A... B...les informations le concernant figurant au fichier de la direction centrale du renseignement intérieur, lui a enjoint de communiquer à M. B... les informations sollicitées dans un délai de deux mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à l'exception, le cas échéant, de celles d'entre elles dont le contenu mentionnerait de façon précise les missions confiées aux services du renseignement dans le cadre desquelles ces données ont été recueillies, et qui seraient comme telles classifiées en application de l'arrêté du 27 juin 2008, enfin, a mis à la charge de l'Etat la somme de 400 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris ;
.....................................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
Vu le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 pris pour l'application de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
Vu l'arrêté du 27 juin 2008 relatif à la protection des secrets de la défense nationale au sein des services de la direction centrale du renseignement intérieur et portant abrogation des arrêtés du 6 novembre 1995 relatif à l'organisation et aux missions de la direction centrale des renseignements généraux et de ses services déconcentrés et du 17 novembre 2000 fixant l'organisation et le fonctionnement de la direction de la surveillance du territoire ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 juin 2013 :
- le rapport de Mme Versol,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de M. B... ;
Sur les conclusions présentées par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du recours,
1. Considérant que le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration relève appel du jugement du 16 novembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé sa décision refusant de communiquer à M. B... les informations le concernant figurant au fichier de la direction centrale du renseignement intérieur et lui a enjoint de communiquer à l'intéressé les informations sollicitées dans un délai de deux mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à l'exception, le cas échéant, de celles d'entre elles dont le contenu mentionnerait de façon précise les missions confiées aux services du renseignement dans le cadre desquelles ces données ont été recueillies, et qui seraient comme telles classifiées en application de l'arrêté du 27 juin 2008 susvisé ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 41 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 : " (...) lorsqu'un traitement intéresse la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, le droit d'accès s'exerce dans les conditions prévues par le présent article pour l'ensemble des informations qu'il contient. / La demande est adressée à la commission qui désigne l'un de ses membres appartenant ou ayant appartenu au Conseil d'Etat, à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes pour mener les investigations utiles et faire procéder aux modifications nécessaires. Celui-ci peut se faire assister d'un agent de la commission. Il est notifié au requérant qu'il a été procédé aux vérifications. / Lorsque la commission constate, en accord avec le responsable du traitement, que la communication des données qui y sont contenues ne met pas en cause ses finalités, la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, ces données peuvent être communiquées au requérant. / Lorsque le traitement est susceptible de comprendre des informations dont la communication ne mettrait pas en cause les fins qui lui sont assignées, l'acte réglementaire portant création du fichier peut prévoir que ces informations peuvent être communiquées au requérant par le gestionnaire du fichier directement saisi. " ; qu'aux termes de l'article 88 du décret du 20 octobre 2005 pris pour l'application de cette loi : " Aux termes de ses investigations, la commission constate, en accord avec le responsable du traitement, celles des informations susceptibles d'être communiquées au demandeur dès lors que leur communication ne met pas en cause les finalités du traitement, la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique. Elle transmet au demandeur ces informations (...) / Lorsque le responsable du traitement s'oppose à la communication au demandeur de tout ou partie des informations le concernant, la commission l'informe qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires. / La commission peut constater, en accord avec le responsable du traitement, que les informations concernant le demandeur doivent être rectifiées ou supprimées et qu'il y a lieu de l'en informer. En cas d'opposition du responsable du traitement, la commission se borne à informer le demandeur qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires. / Lorsque le traitement ne contient aucune information concernant le demandeur, la commission informe celui-ci, avec l'accord du responsable du traitement. / En cas d'opposition du responsable du traitement, la commission se borne à informer le demandeur qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires. / La réponse de la commission mentionne les voies et délais de recours ouverts au demandeur " ;
3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, s'agissant de l'exercice du droit d'accès indirect et de rectification relatif à des données à caractère personnel contenues dans des fichiers intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, il revient à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), à laquelle la demande d'accès aux données est adressée, d'une part, de désigner l'un de ses membres pour mener, en son nom, les investigations utiles et faire procéder, le cas échéant, aux modifications nécessaires ; que le Conseil d'Etat est compétent, en application du 4° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, tant dans sa rédaction applicable au litige que dans sa rédaction désormais en vigueur, pour connaître en premier et dernier ressort de telles décisions, prises, au titre de sa mission de contrôle et de régulation, par l'une des autorités collégiales à compétence nationale désormais mentionnées à cet article ; que, d'autre part, il appartient à la Commission, en accord avec le responsable du traitement, en premier lieu, de constater les informations qui peuvent être communiquées au demandeur et de les lui transmettre, en deuxième lieu, de constater que les informations concernant le demandeur doivent être rectifiées ou supprimées et de l'en informer ou, en troisième lieu, d'informer le demandeur que le traitement ne comporte aucune information le concernant ; que lorsque le responsable du traitement s'oppose à la communication au demandeur de tout ou partie des informations le concernant, à ce qu'il soit informé que ces informations doivent être rectifiées ou supprimées ou à ce qu'il soit informé que le traitement ne contient aucune information le concernant, l'indication alors fournie au demandeur par le président de la Commission, selon laquelle il a été procédé aux vérifications nécessaires, ne peut être regardée comme l'exercice par la Commission de l'une de ses compétences mais comme la simple notification d'une décision de refus d'accès prise par le responsable du traitement ; que ni l'article R. 311-1 du code de justice administrative ni aucune autre disposition ne donne compétence au Conseil d'Etat pour connaître en premier et dernier ressort d'une telle décision, qui relève, en application de l'article R. 312-1 du même code, de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel l'autorité qui l'a prise à son siège ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par lettre du 28 août 2008, M. B... a saisi la CNIL d'une demande tendant à ce que lui soient communiquées les informations le concernant contenues dans les fichiers informatisés ou manuels des services de police et de gendarmerie, dont les fichiers des renseignements généraux et ceux de la direction de la surveillance du territoire, devenus les fichiers de la direction centrale du renseignement intérieur ; que, par lettre du 16 septembre 2008, la CNIL a accusé réception de cette demande, en précisant que le droit d'accès à ces fichiers s'exerçait de façon indirecte et que l'instruction pouvait prendre plusieurs mois ; que, par lettre du 18 janvier 2010, M. B... a renouvelé sa demande auprès de la CNIL ; que, par lettre du 11 février 2010, la Commission a informé l'intéressé que les investigations concernant sa demande étaient en cours ; que, par une requête enregistrée le 22 mars 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...a sollicité l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur avait refusé de lui communiquer les informations le concernant figurant au sein des fichiers informatisés ou manuels des services de police et de gendarmerie, dont les services dits des renseignements généraux, de la direction de la surveillance du territoire (DST) ou de leur nouvelle dénomination " direction centrale du renseignement intérieur " (DCRI) ; que, par un mémoire en défense du 11 août 2010, versé à la procédure contradictoire le 12 août suivant, la CNIL a indiqué au Conseil d'Etat que, d'une part, aucune information concernant M. B... ne figurait dans les fichiers des personnes recherchées (FPR), du système d'information Schengen (SIS), du système de traitement des infractions constatées (STIC) et du système judiciaire de documentation et d'exploitation (JUDEX), d'autre part, que s'il était enregistré au sein du fichier STIC en tant que victime, ces informations lui seraient adressées et qu'il pourrait en demander la suppression ; que la Commission estimait par suite qu'" au regard de l'ensemble de ces éléments, le refus implicite de communication des données le concernant par le ministre de l'intérieur avancé par M. B... n'est absolument pas fondé, sous réserve de la seule exception portant sur le fichier de la direction centrale du renseignement intérieur " ; que ce mémoire de la CNIL doit être regardé comme révélant la décision du ministre de l'intérieur refusant à M. B... la communication des informations le concernant contenues dans le fichier de la direction centrale du renseignement intérieur ; que, par suite, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, c'est à bon droit que le Tribunal administratif de Paris, compétent pour connaître d'une telle décision, a regardé comme recevables les conclusions de la demande de M. B... tendant à son annulation ;
5. Considérant que si, conformément au principe du caractère contradictoire de l'instruction, le juge administratif est tenu de ne statuer qu'au vu des seules pièces du dossier qui ont été communiquées aux parties, il lui appartient, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction sur les points en litige ; que, dans le cas où un refus serait opposé à une demande d'information formulée par lui, il appartient à la juridiction, conformément aux règles générales d'établissement des faits devant le juge administratif, de joindre, en vue du jugement à rendre, cet élément de décision à l'ensemble des données fournies par le dossier ;
6. Considérant que, par jugement avant dire droit du 17 mars 2011, le tribunal a ordonné au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration de lui communiquer - pour versement au dossier de l'instruction écrite contradictoire - tous éléments utiles à la solution du litige et relatifs aux informations concernant l'inscription de M. B... dans le fichier de la direction centrale du renseignement intérieur, et a indiqué que, dans l'hypothèse où le ministre estimerait que la communication de ces informations mettrait en cause les fins assignées à ce fichier, et où il estimerait en conséquence devoir refuser leur communication, il lui appartiendrait néanmoins de verser au dossier de l'instruction écrite contradictoire tous éléments d'information appropriés sur la nature des pièces écartées et les raisons de leur exclusion, de façon à permettre au tribunal de se prononcer en connaissance de cause sans porter, directement ou indirectement, atteinte aux secrets imposés par des considérations tenant à la sûreté de l'Etat, à la défense et à la sécurité publique ; qu'il ressort des pièces du dossier qu'en réponse audit jugement avant dire droit, le ministre de l'intérieur n'a produit devant les premiers juges aucun élément relatif aux informations concernant l'inscription de M. B... dans le fichier de la direction centrale du renseignement intérieur ou concernant la nature des pièces écartées de la communication et les raisons de leur exclusion ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que le Tribunal administratif de Paris a jugé qu'en refusant de faire droit à la demande de M. B..., le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration a méconnu les dispositions précitées de l'article 41 de la loi du 6 janvier 1978 ; que, par suite, le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé pour ce motif sa décision refusant de communiquer à M. B... les informations le concernant figurant au fichier de la direction centrale du renseignement intérieur ;
7. Considérant que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a enjoint au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration de communiquer à M. B...les informations sollicitées dans un délai de deux mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à l'exception, le cas échéant, de celles d'entre elles dont le contenu mentionnerait de façon précise les missions confiées aux services du renseignement dans le cadre desquelles ces données ont été recueillies, et qui seraient comme telles classifiées en application de l'arrêté du 27 juin 2008 ; que pour contester le principe de cette injonction, le ministre soutient que l'autorité gestionnaire d'un fichier dit de souveraineté n'est autorisée par la loi et le décret à ne communiquer aucune information tenant au contenu ou à l'existence même de données concernant un individu, eu égard aux finalités de renseignement du fichier ou pour des motifs tenant à la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique et qu'aucun élément d'information approprié ne peut être donné au juge sans compromettre les objectifs de ce fichier ; que, par le moyen qu'il invoque, le ministre n'est pas fondé à soutenir que les premiers juges ont commis une erreur de droit en enjoignant de communiquer à M. B... les informations le concernant figurant au fichier de la direction centrale du renseignement intérieur ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement attaqué ;
Sur les conclusions présentées par M. B... tendant à la communication des informations le concernant figurant au sein des fichiers informatisés ou manuels des services de police et de gendarmerie autres que le fichier de la direction centrale du renseignement intérieur :
9. Considérant que, dans sa requête et son mémoire en réplique, enregistrés les 22 mars et 29 octobre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... a demandé au Conseil d'Etat d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales a refusé de lui communiquer les informations le concernant figurant au sein des fichiers informatisés ou manuels des services de police et de gendarmerie, dont les services dits des renseignements généraux, de la direction de la surveillance du territoire (DST) ou de leur nouvelle dénomination " direction centrale du renseignement intérieur " (DCRI) ; que, par ordonnance du 19 novembre 2010, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a, d'une part, attribué au Tribunal administratif de Paris le jugement des conclusions de la requête de M. B... relatives à la décision par laquelle le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales a refusé la communication des informations le concernant figurant au fichier de la direction centrale du renseignement intérieur et, d'autre part, constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la requête en tant qu'elle est dirigée contre les refus de communication des informations figurant au sein des fichiers des personnes recherchées (FPR), du système d'information Schengen (SIS), du système de traitement des infractions constatées (STIC) et du système judiciaire de documentation et d'exploitation (JUDEX) ;
10. Considérant qu'en indiquant dans son mémoire en défense, enregistré au greffe de la Cour le 27 août 2012, " maintenir sa demande présentée en première instance ", tendant à la communication des informations le concernant figurant au sein des fichiers informatisés ou manuels des services de police et de gendarmerie, dont il donne la liste pour la première fois devant la Cour, M. B... réitère les conclusions sur lesquelles le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a définitivement statué ; qu'il n'appartient pas à la Cour d'en connaître ; qu'à supposer que M. B... ait entendu présenter de nouvelles conclusions, elles sont, pour ce motif, irrecevables en appel ;
Sur les conclusions présentées par M. B... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le recours du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.
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N° 12PA00395