Vu la requête, enregistrée le 28 juillet 2010, présentée pour la société Beuralia, dont le siège social est au 13 bis rue de l'Aubrac à Paris (75012), par MeB... ; la société Beuralia demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0801086/7-1 du 10 juin 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de trente-cinq décisions des 16 et 23 novembre 2007 de l'Office national interprofessionnel de l'élevage et de ses productions (ONIEP) lui réclamant la somme totale de 363 455,50 euros au titre de la " garantie de transformation " ;
2°) d'annuler lesdites décisions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (France AgriMer), venant aux droits de l'ONIEP, une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le règlement CEE 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes ;
Vu le règlement CEE 2220/85 de la Commission du 22 juillet 1985 fixant les modalités communes d'application du régime des garanties pour les produits agricoles, remplacé dans ses dispositions essentielles par le règlement CE 1898/2005 de la Commission du 9 novembre 2005 ;
Vu le règlement CE 2571/97 de la Commission du 15 décembre 1997 relatif à la vente à prix réduit de beurre et à l'octroi d'une aide à la crème, au beurre et au beurre concentré destinés à la fabrication de produits de pâtisserie, de glaces alimentaires et autres produits alimentaires ;
Vu le code civil ;
Vu le code rural ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 juin 2013 :
- le rapport de Mme Bailly, rapporteur,
- les conclusions de M. Ladreyt, rapporteur public,
- et les observations de Me A...pour France AgriMer ;
1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'Office national interprofessionnel de l'élevage et de ses productions (ONIEP) a, par les décisions litigieuses des 16 et 23 novembre 2007, demandé à la société Sodiaal Industrie, aux droits de laquelle vient la société Beuralia, le reversement de la somme de 363 455,50 euros, au titre de la " garantie de transformation ", dans le cadre d'offres de beurre tracé, au motif que des prélèvements effectués sur l'une des déclarations de fabrication des offres concernées étaient non conformes à la norme réglementaire en ce qui concerne la teneur en acide énanthique ; que la société Beuralia relève régulièrement appel du jugement du 10 juin 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation desdites décisions ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'ensemble des décisions contestées, à l'exception des décisions n° 10332 et 10333 du 16 novembre 2007 :
2. Considérant, en premier lieu, que le règlement CE 2571/97 du 15 décembre 1997 a institué une aide financière à la crème, au beurre et au beurre concentré destinés à la fabrication de produits de pâtisserie, de glaces alimentaires et autres produits alimentaires ; qu'aux termes de l'article 3 de ce règlement : " Le soumissionnaire ne peut participer à l'adjudication que s'il s'engage par écrit à incorporer ou à faire incorporer le beurre ou le beurre concentré exclusivement, sans préjudice le cas échéant des produits intermédiaires visés à l'article 8, dans les produits finaux visés à l'article 4 ou, en ce qui concerne la crème, directement et uniquement dans les produits finaux visés à l'article 4 paragraphe 1 formule B, selon l'une des voies de mise en oeuvre suivantes : a) soit, moyennant l'addition des traceurs visés à l'article 6 paragraphe1 : i) après transformation du beurre provenant de l'intervention en beurre concentré, conformément à l'article 5 ou bien ii) en l'état ; " ; qu'aux termes de l'article 6 de ce même règlement : " 1. En cas d'application de l'article 3 point a) et s'il s'agit de beurre concentré au cours de sa fabrication ou immédiatement après et dans le même établissement, sont additionnées, à l'exclusion de tout autre produit et de façon à en assurer une répartition homogène, les quantités minimales prescrites de : a) produits figurant à l'annexe II, si le beurre ou le beurre concentré est destiné à être incorporé dans des produits correspondant à la formule A ; b) produits figurant à l'annexe III, si le beurre ou le beurre concentré est destiné à être incorporé dans des produits correspondant à la formule B ; c) produits figurant à l'annexe IV s'il s'agit de la crème. 2. Au cas où, notamment en raison d'une répartition non homogène, le dosage pour chacun des produits visés à l'annexe II points I à V, annexe III points I à III et annexe IV point 1 se révèle inférieur de plus de 5 % mais de moins de 30 % aux quantités minimales prescrites, la garantie de transformation visée à l'article 18 paragraphe 2 est acquise, ou l'aide est réduite, à concurrence de 1,5 % de son montant par point en dessous des quantités minimales prescrites. " ; qu'aux termes de l'article 18 de ce règlement : " 2. La garantie de transformation est destinée à assurer l'exécution des exigences principales concernant : a) soit, s'agissant du beurre provenant de l'intervention : i) la transformation du beurre en beurre concentré conformément à l'article 5 et l'addition éventuelle des traceurs ou l'addition au beurre des traceurs et ii) l'incorporation du beurre ou du beurre concentré additionnés ou non des traceurs dans les produits finaux ; b) soit, s'agissant des produits visés à l'article 1er paragraphe 2 et en cas d'application de l'article 3 point a), l'incorporation dans les produits finaux. " ; qu'aux termes de l'article 22 de ce même règlement : " 1. Une garantie est acquise en totalité pour la quantité pour laquelle une exigence principale n'a pas été respectée. 2. Une exigence principale est considérée comme n'ayant pas été respectée si la preuve correspondante n'est pas produite dans le délai imparti pour la production de la preuve, sauf cas de force majeure " ; qu'aux termes de l'article 23 de ce règlement : " Afin d'assurer le respect des dispositions du présent règlement, les Etats membres prennent notamment les mesures de contrôle visées aux paragraphes 2 à 8 dont le coût est à la charge de l'Etat membre. (...) Les contrôles comportent la prise d'échantillons et portent notamment sur les conditions de fabrication, la quantité, la composition du produit obtenu en fonction du beurre ou de la crème mis en oeuvre (...) " ; qu'enfin aux termes de l'annexe II de ce règlement, peuvent être utilisés comme " traceurs ", pour permettre le contrôle de l'incorporation du beurre dans les produits finaux : par tonne de beurre concentré ou de beurre, " (...) 11 kg de triglycérides de l'acide énanthique (...) d'un degré de pureté d'au moins 95 % (...) " ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 1er du règlement CEE 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes : " 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. / 2. Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue. " ; qu'aux termes de l'article 3 de ce règlement : " 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l'irrégularité visée à l'article 1er paragraphe 1. Toutefois, les réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans. / Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l'irrégularité a pris fin. Pour les programmes pluriannuels, le délai de prescription s'étend en tout cas jusqu'à la clôture définitive du programme. / La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l'autorité compétente et visant à l'instruction ou à la poursuite de l'irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif. / Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que l'autorité compétente ait prononcé une sanction, sauf dans les cas où la procédure administrative a été suspendue conformément à l'article 6 paragraphe 1. Les cas d'interruption et de suspension sont réglés par les dispositions pertinentes du droit national (...) 3. Les États membres conservent la possibilité d'appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 et au paragraphe 2. " ; qu'en vertu de l'article 4 de ce règlement : " 1. Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l'avantage indûment obtenu : - par l'obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus, / - par la perte totale ou partielle de la garantie constituée à l'appui de la demande d'un avantage octroyé ou lors de la perception d'une avance. / 2. L'application des mesures visées au paragraphe 1 est limitée au retrait de l'avantage obtenu augmenté, si cela est prévu, d'intérêts qui peuvent être déterminés de façon forfaitaire. / 3. Les actes pour lesquels il est établi qu'ils ont pour but d'obtenir un avantage contraire aux objectifs du droit communautaire applicable en l'espèce, en créant artificiellement les conditions requises pour l'obtention de cet avantage, ont pour conséquence, selon le cas, soit la non-obtention de l'avantage, soit son retrait. / 4. Les mesures prévues par le présent article ne sont pas considérées comme des sanctions. " ; qu'enfin aux termes de l'article 2262 du code civil dans sa rédaction alors en vigueur : " Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans " ;
4. Considérant, en troisième lieu, qu'aucune disposition de la réglementation communautaire en vigueur au moment des contrôles litigieux ne définissait précisément la méthodologie des contrôles relatifs à la vérification de la teneur du beurre en acide énanthique, ni les modalités d'interprétation des résultats des analyses effectuées pour mesurer l'incorporation de ce " traceur " chimique ; que si aucune réglementation nationale n'était non plus applicable en la matière, l'Office avait pour mission, en vertu des dispositions du 3° de l'article L. 621-3 du code rural, dans sa rédaction alors en vigueur, " d'appliquer les mesures communautaires " ; qu'à ce titre, il était notamment chargé de mettre en oeuvre les contrôles définis par l'article 23 précité du règlement communautaire 2571/97 et d'appliquer les mesures prévues par l'article 6 précité du même règlement en cas de méconnaissance des obligations relatives à l'incorporation des " traceurs " ;
5. Considérant, qu'en application des dispositions précitées, l'irrégularité constituée par la révélation, lors d'un contrôle opéré par l'ONIEP, d'une teneur en produit de traçage inférieure aux quantités minimales prescrites s'analyse comme une violation de l'article 3 du règlement CE 2571/97 susvisé qui, en application de l'article 6 du même règlement, est de nature à justifier l'appréhension de la garantie de transformation constituée par la société adjudicatrice ; que le délai de prescription des poursuites court à compter de la réalisation de cette irrégularité ;
6. Considérant que, pour écarter le moyen tiré de la prescription de l'action de l'ONIEP, le Tribunal administratif de Paris a jugé que, d'une part, s'appliquait le délai de prescription trentenaire de droit commun et, d'autre part, que l'Office n'avait pas méconnu les principes communautaires de sécurité juridique, de non-discrimination et de proportionnalité en ayant demandé le reversement des sommes indûment versées alors que, selon les cas, un délai de moins de cinq ans ou d'un peu plus de cinq ans, s'était écoulé depuis les irrégularités ;
7. Considérant, cependant, que, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 5 mai 2011 Ze Fu Fleischhandel GmbH et Vion Trading GmbH contre Hauptzollamt Hamburg-Jonas (affaires jointes C-201/10 et C-202/10), s'agissant des restitutions à l'exportation, si les Etats membres ont la possibilité, en application de l'article 3, paragraphe 3, du règlement 2988/95 précité, de fixer un délai de prescription plus long que le délai communautaire de quatre ans, le principe de proportionnalité s'oppose à une prescription d'une durée de trente ans s'agissant des procédures relatives aux remboursements de fonds indûment perçus ; que la Cour a dit pour droit dans le même arrêt que le principe de sécurité juridique s'oppose à ce qu'un délai de prescription " plus long " au sens de l'article 3, paragraphe 3, du règlement 2988/95 puisse résulter d'un délai de prescription de droit commun trentenaire réduit par la voie jurisprudentielle pour que ce dernier satisfasse dans son application au principe de proportionnalité ; que dans ces conditions, à défaut d'une réglementation nationale spécifique légalement applicable aux faits de la cause et prévoyant un délai de prescription plus long, l'article 3, paragraphe 1, du règlement 2988/95, qui prévoit un délai de prescription de quatre ans et demeure directement applicable dans les Etats membres, a vocation à s'appliquer aux actions des organismes d'intervention agricole lorsqu'ils appréhendent une garantie, compte tenu du non-respect de ses obligations par un opérateur économique ;
8. Considérant que l'ONIEP a, avant de prendre chacune des décisions contestées, pour réclamer à la société Beuralia le montant de la garantie de transformation, adressé à la société des lettres s'échelonnant du 13 juillet 2006 au 6 décembre 2006, l'informant, dans le cadre d'une procédure contradictoire, de ce que les garanties étaient susceptibles d'être appréhendées ; qu'il est constant cependant que ces courriers ont été adressés à la société alors que s'était écoulé un délai de plus de quatre ans à compter de la réalisation de l'irrégularité, constituée, ainsi qu'il a été dit, lors des opérations de contrôle des offres ayant permis de détecter l'addition insuffisante de traceurs par la société ; qu'il suit de là que ces courriers n'ont pu avoir pour effet d'interrompre la prescription qui était déjà acquise lors de leur envoi ; que, par suite, la prescription était acquise lorsque l'Office a pris les trente-trois décisions des 16 et 23 novembre 2007, mentionnées ci-dessus, lui réclamant une somme totale de 359 237,47 euros ;
En ce qui concerne les deux décisions n° 10332 et 10333 du 16 novembre 2007 :
9. Considérant, en premier lieu, que s'agissant des offres concernées par les décisions n° 10332 et 10333, les prélèvements des échantillons de beurre ont été effectués les 13 et 17 septembre 2002 et que la société responsable de la fabrication a été informée du résultat non-conforme des analyses réalisées par le laboratoire LDA de Vannes ; qu'après appel de ces premiers résultats défavorables, de nouvelles demandes d'analyses ont été adressées à l'AFSSA qui a vérifié le taux d'acide énanthique par contrôle des 18 et 19 novembre 2002 ; que la notification des premiers résultats d'analyse défavorables, qui constitue un acte émanant de l'autorité compétente visant à l'instruction d'une irrégularité, et dont la date certaine est révélée par les appels intervenus, a eu pour effet d'interrompre la prescription, tout comme les lettres n° 10194 et 10195 adressées à la société Beuralia le 18 septembre 2006, soit moins de quatre ans plus tard ; que la société n'est par suite pas fondée à soutenir que la prescription était acquise lorsque l'office a pris le 16 novembre 2007 les décisions n° 10332 lui réclamant une somme de 2 827,93 euros et n° 10333 lui réclamant une somme de 1 390,10 euros ;
10. Considérant, en second lieu, que la société Beuralia ne saurait utilement soulever le moyen tiré de l'irrégularité des extrapolations réalisées par l'office s'agissant de ces deux décisions pour lesquelles aucune extrapolation n'a été effectuée ; que la société Beuralia n'est, par suite, pas fondée à demander l'annulation des décisions n° 10332 et 10333 ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Beuralia est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation des trente-trois décisions des 16 et 23 novembre 2007 de l'Office national interprofessionnel de l'élevage et de ses productions (ONIEP) lui réclamant une somme totale de 359 237,47 euros, représentative de la " garantie de transformation " due en raison de la teneur insuffisante en traceurs ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Beuralia, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par France Agrimer, venant aux droits de l'ONIEP, et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de France Agrimer une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la société Beuralia et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 0801086/7-1 du 10 juin 2010 du Tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la société Beuralia dirigées contre les décisions n° 10330, 10331, 10335, 10336, 10337, 10334, 10302, 10303, 10314, 10340, 10315, 10316, 10318, 10319, 10320, 10321, 10322, 10323, 10324, 10325, 10326, 10327, 10328, 10310, 10311, 10312, 10313, 10317, 10346, 10347, 10338, 10339 du 16 novembre 2007 et n° 10467 du 23 novembre 2007 par lesquelles le directeur de l'Office national interprofessionnel de l'élevage et de ses productions lui a réclamé la somme totale de 359 237,47 euros, ensemble lesdites décisions.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la société Beuralia est rejeté.
Article 3 : L'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer versera à la société Beuralia une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N° 10PA03774