Vu la requête, enregistrée le 20 mai 2011, présentée pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), dont le siège est 36 avenue du Général de Gaulle Tour Galliéni II à Bagnolet Cedex (93175), par Mes Saumon et Roquelle-Meyer ; l'ONIAM demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0819762/6-2 du 22 mars 2011 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a reconnu que sa responsabilité était engagée et qu'il a par suite admis en son principe le recours de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Paris à son encontre et en tant qu'il l'a condamné à verser à Mme une somme de 69 000 euros en réparation du préjudice lié à sa contamination par le virus de l'hépatite C lors d'une transfusion de plaquettes le 30 juillet 1988 à l'hôpital Saint-Antoine à Paris ;
2°) de ramener l'indemnité allouée à Mme à 18 000 euros en l'absence de fixation d'une date de stabilisation ou à 28 000 euros en cas de fixation d'une telle date ;
3°) de ramener à une plus juste mesure l'indemnisation allouée au titre d'une assistance pour tierce personne ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat ;
Vu la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation ;
Vu la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale, notamment son article 67 ;
Vu le décret n° 2010-251 du 11 mars 2010 relatif à l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de contaminations par le virus d'immunodéficience humaine ou par le virus de l'hépatite C causées par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang ainsi qu'à l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de vaccinations obligatoires ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 novembre 2012 :
- le rapport de M. Sorin, rapporteur,
- les conclusions de M. Ladreyt, rapporteur public,
- et les observations de Me Boyer, pour les consorts ;
1. Considérant que Mme , née en 1966, hospitalisée le 30 juillet 1988 pour un purpura thrombopénique grave à l'hôpital Saint-Antoine de Paris, y a subi une transfusion de plaquettes ; que sa contamination par les virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et de l'hépatite C (VHC) a été diagnostiquée respectivement en janvier 1989 et en septembre 1990 ; qu'elle a suivi un traitement contre le VIH jusqu'en 2004 et a été indemnisée à ce titre ; que l'évolution du VHC, se présentant sous une forme minime (score métavir A1F1), a été stable au cours des années 1990 ; qu'un traitement par bithérapie associant le Viraféron et le Rébétol a été entrepris le 8 mars 2006 mais, en raison de la gravité de ses effets secondaires rendant nécessaire une hospitalisation aux mois de mai et juin 2006, il a été interrompu dès le mois de juin ; que Mme , dont le taux de transaminases est redevenu positif, est demeurée depuis lors sous antidépresseurs ; que, par un jugement du 22 mars 2011, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'ONIAM à lui verser une somme de 69 000 euros en réparation de ses préjudices ; que l'ONIAM interjette régulièrement appel de ce jugement ; que la CPAM de Paris interjette pour sa part appel incident du même jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'ONIAM à lui verser la somme de 14 863,12 euros en remboursement des frais exposés pour la prise en charge de Mme ; que les consorts concluent au rejet de la requête ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le recours subrogatoire de la CPAM de Paris contre l'ONIAM :
2. Considérant qu'il résulte des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et du I de l'article 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959, ainsi que des articles 28 et 29 de la loi du 5 juillet 1985, que les recours des tiers payeurs, subrogés dans les droits d'une victime d'un dommage qu'ils indemnisent, s'exercent à l'encontre des auteurs responsables de l'accident ; qu'en confiant à l'ONIAM, établissement public à caractère administratif de l'Etat placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé, la mission d'indemniser, selon une procédure amiable exclusive de toute recherche de responsabilité, les dommages subis par les victimes de contamination transfusionnelle par le VHC dans la mesure où ces dommages ne sont pas couverts par les prestations versées par les tiers payeurs et sans préjudice de l'exercice par l'office d'un recours subrogatoire contre " la personne responsable ", le législateur a institué aux articles L. 1142-22 et L. 1221-14 du code de la santé publique un dispositif assurant l'indemnisation des victimes concernées au titre de la solidarité nationale ; qu'il s'ensuit que, dans l'exercice de la mission qui lui est confiée par ces articles, l'ONIAM est tenu d'indemniser à ce titre et non en qualité d'auteur responsable ; que ni la circonstance que le législateur n'ait pas expressément indiqué que l'ONIAM intervenait en ce cas au titre de la solidarité nationale, ni le fait qu'il ait maintenu les règles de preuve prévues par l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 ne sauraient remettre en cause la nature de l'intervention de l'ONIAM telle qu'elle résulte de l'économie générale du dispositif applicable, au demeurant semblable à celui prévu par la loi pour l'accomplissement par l'ONIAM d'autres missions d'indemnisation assurées expressément au titre de la solidarité nationale ; qu'il résulte de ce qui précède que les tiers payeurs ayant versé des prestations à la victime d'un dommage entrant dans les prévisions de l'article L. 1221-14 ne peuvent exercer contre l'ONIAM le recours subrogatoire prévu par les articles L. 376-1 du code de la sécurité sociale, 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959 et 29 de la loi du 5 juillet 1985 ;
3. Considérant, toutefois, qu'aux termes des dispositions transitoires figurant au IV de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 : " L' ONIAM se substitue à l'établissement français du sang dans les contentieux en cours au titre des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable " ; qu'il résulte de ces dispositions, entrées en vigueur, en application du décret du 11 mars 2010 susvisé, le 1er juin 2010, que le législateur a entendu, dans les procédures en cours à cette date, substituer l'ONIAM à l'EFS tant à l'égard des victimes que des tiers payeurs ; qu'il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de maintenir en cause l'EFS dans les procédures concernées pour qu'il soit statué sur le recours de ces derniers ;
4. Considérant, en l'espèce, qu'au jour de l'entrée en vigueur des dispositions précitées du IV de l'article 67 de la loi du 17 décembre 1968, la procédure initiée par Mme devant le Tribunal administratif de Paris était en cours et n'avait pas donné lieu à une décision irrévocable ; que, dans ces conditions, la CPAM de Paris est fondée à soutenir qu'elle dispose, dans le cadre de la présente instance, d'un recours subrogatoire contre l'ONIAM destiné à la garantir des frais exposés pour la prise en charge de Mme en lien avec l'hépatite C dont elle est atteinte ; que l'ONIAM n'est par suite pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a reconnu le bien-fondé de l'action de la CPAM de Paris tendant à l'indemnisation par l'ONIAM des débours occasionnés par la contamination de Mme par le VHC ;
5. Considérant que la CPAM établit, en cause d'appel, que les hospitalisations de l'intéressée à l'hôpital Saint-Antoine du 19 mai au 31 mai 2006 puis du 3 juin au 7 juin 2006 sont la conséquence directe du traitement contre l'hépatite C commencé le 8 mars 2006 ; que, dans ces conditions, il y a lieu de condamner l'ONIAM à verser à la CPAM la somme correspondant aux frais exposés pour ces hospitalisations soit, au total, 14 863,12 euros ; que, par suite, la CPAM est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des frais exposés par elle pour la prise en charge de Mme ; qu'il y a lieu de réformer ce jugement en tant qu'il rejette cette demande ;
En ce qui concerne l'évaluation du préjudice de Mme :
6. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que Mme est atteinte du virus de l'hépatite C, pathologie évolutive et insusceptible d'amélioration ; qu'il résulte du rapport d'expertise " qu'il n'est pas possible de considérer la maladie comme consolidée " et que l'état de santé de l'intéressée " est tout à fait susceptible d'une aggravation d'un point de vue hépatique " ; que, par suite, contrairement à ce que soutient l'ONIAM, la fixation d'une date de consolidation du dommage dont souffre Mme n'est pas possible ; que l'absence de consolidation, impliquant notamment l'impossibilité de fixer définitivement un taux d'incapacité permanente, ne fait toutefois pas obstacle à ce que soient mises à la charge de l'ONIAM des dépenses médicales dont il est d'ores et déjà certain qu'elles devront être exposées à l'avenir, ainsi que la réparation de l'ensemble des conséquences déjà acquises de la détérioration de l'état de santé de l'intéressée ; que, par suite, c'est à bon droit que le Tribunal administratif de Paris a pu déterminer le montant des indemnisations destinées à réparer les préjudices de Mme , alors-même que son état de santé n'est pas susceptible de consolidation ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que l'ONIAM soutient que les préjudices dont la réalité a été reconnue par le jugement attaqué avaient été réparés dans le cadre de l'indemnisation des préjudices liés à la contamination de Mme par le virus de l'immunodéficience humaine lors des transfusions sanguines subies en 1988 ; que l'ONIAM invoque, à l'appui de ce moyen, un avis d'arrêt de travail en date du 4 octobre 2006 motivé par les " complications liées au VIH et au VHC post-transfusionnelles " ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que l'expert a évalué les seuls préjudices liés directement au virus de l'hépatite C ; qu'il en résulte également que les troubles dépressifs dont souffre Mme , qui a arrêté, selon le rapport d'expertise, son traitement contre le VIH dès 2004, sont la conséquence directe et exclusive du traitement contre le VHC prescrit en mars 2006 et arrêté en juin de la même année à la suite des graves effets secondaires dont il était à l'origine ; que, par ailleurs, les avis d'arrêt de travail en date des 14 avril, 15 mai et 5 juillet 2006 étaient, eux, exclusivement motivés par référence au VHC ; que, dans ces conditions, et nonobstant la circonstance que l'avis d'arrêt de travail du 4 octobre 2006 fasse mention du VIH dont est également atteinte l'intéressée, l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que Mme aurait déjà été indemnisée des préjudices liés à l'hépatite C dans le cadre de la réparation des dommages liés au VIH dont elle a bénéficié ;
8. Considérant, en troisième lieu, qu'en se bornant à soutenir que le pretium doloris de Mme devrait être fixé à 4,5 sur une échelle de 1 à 7, alors que le Tribunal administratif de Paris a estimé que les souffrances endurées pouvaient être évaluées à " 4,5 à 5 " sur la même échelle, l'ONIAM n'établit pas que les premiers juges auraient surévalué le montant de l'indemnisation accordée à ce titre ;
9. Considérant, en quatrième lieu, que si l'ONIAM soutient que l'expert ne pouvait déterminer un taux d'incapacité temporaire non régressive de 10 % alors que la dernière biopsie hépatique pratiquée sur Mme datait de 2004 et était donc antérieure au traitement prescrit en mars 2006, il résulte de l'instruction, et il n'est pas contesté, que ce traitement n'a pas permis d'éradiquer le virus de l'hépatite C dont l'intéressée est porteuse et que son taux de transaminases est redevenu positif à la suite de l'arrêt de ce traitement ; qu'ainsi, le tribunal a pu à bon droit retenir, à la suite de l'expert, un score métavir A1F1 correspondant, en application de l'annexe 11-2 du code de la santé publique, à un taux d'incapacité de 5 %, et estimer, compte-tenu de la co-infection dont Mme est atteinte, que ce taux devait être doublé ;
10. Considérant, en cinquième lieu, qu'en se bornant à soutenir que le coût horaire du recours à une tierce personne doit être fixé à 9,71 euros, soit à un niveau sensiblement inférieur au montant retenu par les premiers juges, sans apporter le moindre élément de nature à étayer son allégation, l'ONIAM ne met pas la Cour en mesure d'apprécier le bien-fondé de la critique adressée au jugement attaqué ; qu'elle n'assortit pas plus des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé le moyen tiré de ce que Mme aurait déjà pu bénéficier de prestations au titre de l'aide accordée dans le cadre du recours à une tierce personne ;
11. Considérant, en sixième lieu, que l'ONIAM soutient que, compte-tenu de l'absence d'évolution de la pathologie de Mme entre 1996 et 2008, c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a reconnu un préjudice lié au fait de devoir vivre dans la crainte d'une évolution de son état et a fixé le montant des sommes dues à ce titre à 50 000 euros ;
12. Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise qu'en raison de la gravité sur l'état de santé de l'intéressée des effets secondaires du seul traitement connu contre le VHC, aucune thérapie ne pourra plus être entreprise ; que, d'autre part, le même rapport indique que la co-infection par le virus de l'hépatite C et le virus de l'immunodéficience humaine conduit à " une évolution particulière souvent plus rapide que celle des mono-infections par le virus C isolé ", " la progression de la fibrose hépatique (qui peut conduire à terme à la constitution d'une cirrhose), [étant] plus rapide en cas de co-infection " ; qu'en outre, la seule circonstance que le virus de l'hépatite C dont est atteint de Mme n'ait pas encore évolué vers une aggravation de son état de santé n'est pas de nature à exclure une telle évolution, alors, d'une part, que l'expert a relevé, à l'occasion de l'examen de Mme , le retour des transaminases à la suite de l'arrêt du traitement prescrit en mars 2006, d'autre part, que l'annexe 11-2 du code de la santé publique relève que les hépatites virales, " qu'elles soient dues au virus B (avec ou sans association avec le virus Delta), ou au virus C, ont pour risque commun la possibilité d'évolution vers la cirrhose au terme d'un délai très variable (de moins de 10 ans à 40 ans) ", et, enfin, qu'il ressort des analyses sanguines pratiquées le 27 mars 2008 par le laboratoire d'analyse Alfred Fournier que la cytolyse est toujours extrêmement élevée et que la charge virale est à 6,79 log ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal a retenu, au titre des préjudices, le caractère évolutif de la pathologie de la requérante, lequel génère une angoisse liée au fait de devoir vivre dans la crainte d'une évolution de son état ; qu'il sera fait une juste appréciation des préjudices subis dans les troubles de toute nature dans les conditions d'existence de Mme en les fixant à 35 000 euros ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM est seulement fondé à demander que l'indemnité de 69 000 euros, que le tribunal administratif l'a condamné à verser à Mme , soit ramenée à la somme de 54 000 euros ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de réformer le jugement attaqué, d'une part, en tant qu'il a rejeté les conclusions de la CPAM de Paris tendant à ce que l'ONIAM la garantisse des frais exposés pour la prise en charge de l'intéressée, et de condamner à ce titre l'ONIAM à lui verser une somme de 14 863,12 euros, et, d'autre part, en tant qu'il a condamné l'ONIAM à verser à Mme une somme de 69 000 euros, laquelle somme doit être ramenée à 54 000 euros ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la CPAM de Paris et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'ONIAM, une somme au titre des frais exposés par les consorts et non compris dans les dépens ;
D EC I D E :
Article 1er : La somme de 69 000 euros que l'ONIAM a été condamné à verser à
Mme par le jugement du Tribunal administratif de Paris du 22 mars 2011 est ramenée à 54 000 euros.
Article 2 : L'ONIAM versera à la CPAM de Paris une somme de 14 863,12 euros au titre des frais d'hospitalisation de Mme directement liés à sa contamination par le virus de l'hépatite C.
Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 22 mars 2011 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l'ONIAM est rejeté.
Article 5 : Les conclusions des consorts fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : L'ONIAM versera à la CPAM de Paris une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N° 11PA02404