Vu la requête, enregistrée le 28 juillet 2010, présentée pour les consorts B, demeurant ..., par Me Provence ; M. Stéphane B, agissant en son nom propre et celui de ses enfants mineurs, demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 0720902/6-3 du 20 mai 2010 du Tribunal administratif de Paris, en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à leur demande tendant à la condamnation de l'Etablissement français du sang (EFS) et l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser une indemnité de 2 385 099 euros en réparation du préjudice subi par lui du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C, ainsi qu'une indemnité de 15 000 euros pour chacun de ses deux enfants, Pierre B et Clara B, en réparation du préjudice subi par eux du fait de la contamination de leur père ;
2°) de mettre à la charge de l'EFS une somme de 8 840 euros au titre des dépenses de santé restées à la charge de M. Stéphane B, de 126 597 euros au titre de la réparation de la perte de revenus quitte à parfaire, de 1 654 608 euros au titre de l'incidence professionnelle, de 120 000 euros au titre de la réparation du préjudice moral subi, de 150 000 euros au titre des souffrances endurées et de 20 000 euros à chacun de ses enfants mineurs au titre des préjudices subis par eux, sommes portant intérêt au taux légal à compter du 26 janvier 2004 et capitalisation des intérêts à compter du 30 janvier 2009 ;
3°) de mettre à la charge de l'EFS une somme de 5 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu l'arrêté du 29 novembre 2011 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 novembre 2012 :
- le rapport de Mme Julliard, rapporteur,
- les conclusions de Mme Merloz, rapporteur public,
- et les observations de Me Provence, pour les consots B, et de Me Certin, pour la mutuelle d'assurances du corps de santé français ;
1. Considérant que, par jugement avant-dire droit du 30 juin 2008, le Tribunal administratif de Paris a reconnu l'Etablissement français du sang (EFS) responsable des conséquences de la contamination de M. Stéphane B par le virus de l'hépatite C lors de transfusions de produits sanguins et de médicaments dérivés du sang reçus en 1974, 1978 et 1984 dans des établissements de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ; que les consorts B relèvent appel du jugement du 20 mai 2010 dudit tribunal, en tant qu'il a limité à 251 501, 66 euros l'indemnisation du préjudice de M. B et à 7 000 euros l'indemnisation de ses deux enfants mineurs, Pierre B et Clara B, et demandent, dans le dernier état de leurs écritures devant la Cour, que soient mises à la charge de l'EFS une somme de 9 100 euros au titre des dépenses de santé, de 188 791 euros au titre de la réparation de la perte de revenus, de 2 200 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, de 120 000 euros au titre de la réparation du préjudice moral, de 150 000 euros au titre des souffrances endurées et de 20 000 euros à chacun des enfants mineurs au titre des préjudices subis par eux, sommes portant intérêt au taux légal à compter du 26 janvier 2004 et capitalisation des intérêts à compter du 30 janvier 2009, ainsi qu'à la mise à la charge de l'EFS d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, par un mémoire d'appel incident, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val-de-Marne conclut à ce que l'EFS et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) soient condamnés à lui verser la somme de 88 553, 11 euros, assortie des intérêts à compter du 26 janvier 2004 et capitalisation desdits intérêts, l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1-9 du code de la sécurité sociale, ainsi que les frais qu'elle sera nécessairement amenée à exposer au fur et à mesure de leurs débours au profit de M. B, enfin la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Sur la mise hors de cause de l'Etablissement français du sang (EFS) et l'intervention volontaire de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) :
2. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 1142-22 du code de la santé publique dans sa rédaction issue du II de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008, entré en vigueur à la même date que le décret n° 2010-251 du 11 mars 2010 pris pour son application, soit le 1er juin 2010, l'ONIAM est chargé " de l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang en application de l'article
L. 1221-14 (...) " ; qu'il résulte des dispositions de l'article L. 1221-14 issu du I du même article 67 de la loi du 17 décembre 2008 que la responsabilité de l'ONIAM est engagée dans les conditions prévues par l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 ; qu'aux termes du IV du même article 67 : " A compter de la date d'entrée en vigueur du présent article, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales se substitue à l'Etablissement français du sang dans les contentieux en cours au titre des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable.(...) " ; qu'il se déduit des dispositions combinées des articles L. 1221-14, alinéa 7, et L. 3122-4 du code de la santé publique, relatives au recours subrogatoire ouvert à l'ONIAM, que lorsque l'indemnisation de la victime d'une contamination transfusionnelle par le VHC est assurée au titre de la solidarité nationale, le législateur a entendu que la responsabilité de l'EFS ne puisse être recherchée par l'ONIAM et les tiers payeurs subrogés dans les droits de la victime, que dans les cas où, conformément aux dispositions des articles précités, le dommage est imputable à une faute de l'établissement de transfusion sanguine et à condition, en principe, que celui-ci bénéficie de la couverture d'une assurance ;
3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, dans le contentieux qui opposait à la date du 1er juin 2010, d'une part, les consorts B et la CPAM du Val-de-Marne et, d'autre part, l'EFS, l'ONIAM est désormais substitué à ce dernier tant à l'égard des consorts B qu'à celui des tiers payeurs intervenant dans le cadre des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ; que, par suite, il résulte de ce qui précède et de l'absence de faute imputable à l'EFS, dans les conditions ci-dessus rappelées, que ce dernier est fondé à demander sa mise hors de cause dans la présente instance et que l'action subrogatoire de la CPAM du Val-de-Marne est recevable à l'encontre de l'ONIAM ; que, le lien de causalité entre les transfusions subies par M. B et la contamination par le virus de l'hépatite C dont il a été victime n'étant pas contesté, l'ONIAM est désormais débiteur de l'obligation d'indemniser les consorts B et la CPAM du Val-de-Marne ;
Sur le montant des préjudices :
Sur le montant des prestations versées par la CPAM du Val de Marne :
4. Considérant, d'une part, que la contamination de M. B par le virus de l'hépatite C a entraîné des dépenses de santé comprenant des frais d'hospitalisation ainsi que des frais médicaux ; que le tribunal administratif a estimé qu'une somme de 25 713, 41 euros était justifiée par une attestation d'imputabilité établie le 20 mai 2009 par le médecin conseil de
la CPAM du Val-de-Marne, ainsi que par le relevé détaillé de l'ensemble des prestations médicales versées pour le compte de l'intéressé ; que le second relevé produit devant la Cour par la CPAM et arrêté au 20 septembre 2010 fait état d'un montant total de 29 031, 24 euros de dépenses de santé au titre de la période du 18 juillet 1985 au 1er décembre 2007 incluant les hospitalisations des 7 au 8 janvier 2000, 8 au 9 novembre 2001, 6 au 7 juin 2003 et 28 au 30 juillet 2006 ne figurant pas au premier décompte ;
5. Considérant, d'autre part, que le jugement attaqué a considéré comme établi que la CPAM du Val-de-Marne avait versé à M. B la somme totale de 59 834, 77 euros au titre des indemnités journalières d'arrêt de travail pour la période du 9 mars 2000 au 23 novembre 2008, en relevant un doublon dans la demande pour la période du 7 septembre 2007 au 31 décembre 2007 pour une somme de 5 185, 20 euros qu'il convenait d'exclure du remboursement des débours ; qu'en cause d'appel, la CPAM limite sa demande de remboursement au titre des indemnités journalières versées à M. B à la somme de 59 521, 87 euros ;
6. Considérant, par suite, que la CPAM du Val-de-Marne a droit au remboursement par l'ONIAM de la somme de 29 031, 24 euros au titre des dépenses de santé et de 59 521, 87 euros au titre des indemnités journalières correspondant à ses débours en lien avec la contamination par le VHC ;
Sur l'indemnité forfaitaire :
7. Considérant que la CPAM du Val-de-Marne peut prétendre au versement de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale pour le montant maximum de 997 euros auquel elle est fixée, à la date du présent arrêt, par l'arrêté interministériel du 29 novembre 2011 ;
Sur le montant des préjudices de M. Stéphane B :
8. Considérant qu'en ce qui concerne les dépenses de santé restées à sa charge, M. B soutient que c'est à tort que le tribunal a limité leur remboursement à 250 euros, alors qu'il justifie suivre une psychothérapie à raison d'une séance tous les dix à quinze jours depuis le début de 2006 au coût unitaire de 50 euros et réclame à ce titre, dans le dernier état de ses écritures, la somme de 9 100 euros ; qu'il sera fait une juste appréciation des frais de psychothérapie supportés par le requérant en lien direct et certain avec son infection en lui accordant leur remboursement sur la base d'une séance par mois depuis 2006, soit une somme totale de 4 200 euros ;
9. Considérant que c'est à bon droit, contrairement à ce que soutient M. B, que le tribunal a imputé du montant de la perte de revenus subie par ce dernier, le montant des indemnités journalières qu'il ne conteste pas avoir reçues de la CPAM du Val-de-Marne pour la période du 9 mars 2000 au 23 novembre 2008, en compensation de la perte résultant de son activité à temps partiel durant cette période ; que compte tenu du rectificatif apporté en appel au montant des indemnités journalières versées au requérant, la perte de ses revenus résulte de la différence entre le montant non contesté de 126 597 euros perçu par lui entre 2000 et 2009 et le montant de 59 521, 87 euros versé par la CPAM, soit une somme de 67 075, 13 euros ; que M. B justifie, en revanche, par la production de bulletins de salaires, de relevés de situation du pôle emploi et des extraits de son compte bancaire être à ce jour demandeur d'emploi depuis son licenciement intervenu le 28 février 2011 et avoir subi une perte de revenus de 42 249 euros de 2010 à juin 2012, résultant de la différence entre sa rémunération annuelle nette de 2001, dernière année où il a perçu un salaire mensuel à taux plein de 4 257 euros nets et les différents revenus perçus depuis lors ;
10. Considérant qu'au titre de l'incidence professionnelle, il y a lieu, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, d'allouer à M. B une somme de 100 000 euros indemnisant la perte de chance d'évolution favorable de sa carrière du statut d'avocat junior salarié à celui de collaborateur senior, voire d'associé, résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C ; qu'il ne saurait, en revanche, être regardé comme établi que le requérant, dont l'état de santé est consolidé depuis octobre 2008, serait dans l'impossibilité de retrouver un emploi en qualité d'avocat ou d'exercer toute autre activité professionnelle ;
11. Considérant qu'en ce qui concerne le préjudice personnel, c'est également par une juste appréciation des préjudices subis par M. B que le tribunal a fixé à 55 000 euros l'indemnisation des troubles de toute nature dans ses conditions d'existence incluant l'incapacité permanente partielle évaluée à 15%, le préjudice esthétique temporaire, le préjudice sexuel et moral et à 15 000 euros l'indemnisation de ses souffrances, évaluées à 5 sur 7 par l'expert ;
Sur le montant des préjudices des enfants de M. Stéphane B :
12. Considérant que c'est par une juste appréciation des préjudices subis par les enfants mineurs de M. B que le tribunal administratif a fixé leur indemnisation à la somme globale de 7 000 euros non contestée par l'ONIAM ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
13. Considérant que la CPAM du Val-de-Marne a droit à ce que la somme totale de 88 553, 11 euros qui lui est accordée par le présent arrêt soit majorée des intérêts de droit, à compter de sa première demande, soit à compter du 22 octobre 2007 ; que la CPAM du
Val-de-Marne a demandé la capitalisation des intérêts le 2 juillet 2009 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter de cette date, à laquelle les intérêts de la somme de 88 553, 11 euros étaient dus pour au moins une année entière, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
14. Considérant que les consorts B ont également droit à ce que la somme totale de 275 524, 13 euros qui leur est accordée par le présent arrêt soit majorée des intérêts de droit, à compter de leur première demande, soit à compter du 26 janvier 2004 ; qu'ils ont demandé la capitalisation des intérêts le 30 janvier 2009 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter de cette date, à laquelle les intérêts de la somme de 275 524, 13 euros étaient dus pour au moins une année entière, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les frais d'expertise :
15. Considérant que les frais de l'expertise qui ont été liquidés et taxés à la somme de 1 978, 40 euros, doivent être mis à la charge définitive de l'ONIAM ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter les conclusions présentées par les consorts B et la CPAM du Val-de-Marne au titre des dispositions susvisées et tendant à la mise à la charge de l'ONIAM des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L'ONIAM est substitué à l'EFS dans la présente instance.
Article 2 : L'EFS est mis hors de cause dans la présente instance.
Article 3 : L'ONIAM versera à M. B la somme de 268 524, 13 euros, ainsi que la somme de 7 000 euros en sa qualité de représentant légal de ses deux enfants mineurs. Ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du 26 janvier 2004. Les intérêts échus à la date du 30 janvier 2009, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : L'ONIAM versera à la CPAM du Val-de-Marne la somme de 88 553, 11 euros et une somme de 997 euros en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. La somme de 88 553, 11 euros portera intérêt au taux légal à compter du 22 octobre 2007. Les intérêts échus à la date du 2 juillet 2009, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : Le jugement du Tribunal Administratif de Paris du 20 mai 2010 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 978, 40 euros, sont mis à la charge définitive de l'ONIAM.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
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N° 10PA03855
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N° 10PA03768