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19/09/2012 | FRANCE | N°11PA04986

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 19 septembre 2012, 11PA04986


Vu la requête et les mémoires complémentaires, enregistrés respectivement le 2 décembre 2011, les 2 et 10 avril 2012 et le 11 juin 2012, présentés pour M. Tijani A, demeurant ...), par Me De Folleville ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1102363/1 du 21 octobre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 15 octobre 2010 du préfet de Seine-et-Marne confirmant, sur recours gracieux, la décision du 23 août 2010 rejetant sa demande de regroupement familial présentée au bén

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Vu la requête et les mémoires complémentaires, enregistrés respectivement le 2 décembre 2011, les 2 et 10 avril 2012 et le 11 juin 2012, présentés pour M. Tijani A, demeurant ...), par Me De Folleville ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1102363/1 du 21 octobre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 15 octobre 2010 du préfet de Seine-et-Marne confirmant, sur recours gracieux, la décision du 23 août 2010 rejetant sa demande de regroupement familial présentée au bénéfice de son épouse et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à cette autorité de réexaminer sa demande de regroupement familial dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir lesdites décisions ;

3°) d'enjoindre à l'administration de faire droit à sa demande de regroupement familial dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir et de prendre toute mesure utile au titre de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocat de la somme de 2 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ensemble le décret du 3 mai 1974 portant publication de la convention ;

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative aux réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;

Vu la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 signée à Schengen le 19 juin 1990, ensemble le décret n° 95-304 du 21 mars 1995 portant publication de cette convention ;

Vu l'accord du 17 mars 1988 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail, modifié ;

Vu la convention internationale signée à New York le 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, publiée par décret du 8 octobre 1990 ;

Vu la charte sociale européenne, révisée, du 3 mai 1996 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, ensemble le

décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 relatif à son application ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu l'arrêté du 8 juillet 1999 relatif aux conditions d'établissement des avis médicaux concernant les étrangers malades, pris en application de l'article 7-5 du décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 septembre 2012 :

- le rapport de Mme Tandonnet-Turot, président-rapporteur,

- et les conclusions de M. Egloff, rapporteur public ;

1. Considérant que M. A, né en 1949 en Tunisie, pays dont il a la nationalité, titulaire d'une carte de résident valable du 24 mars 2007 au 23 mars 2017, a sollicité le bénéfice du regroupement familial sur place au profit de son épouse, restée en Tunisie ; que, par une décision du 23 août 2010, confirmée le 15 octobre 2010, le préfet de Seine-et-Marne a rejeté cette demande au motif que l'intéressé ne justifiait pas de revenus suffisants sur les douze mois précédant sa demande ; que, par la présente requête, M. A relève régulièrement appel du jugement n° 1102363/1 du 21 octobre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions ;

2. Considérant que M. A soutient que les premiers juges n'ont pas examiné le moyen tiré de ce que le préfet de Seine-et-Marne s'est senti en situation de compétence liée du seul fait de l'insuffisance des ressources et n'a pas procédé à un examen réel et complet de sa situation ; qu'il ressort de la lecture de la demande introductive de première instance que, dans un paragraphe intitulé "légalité interne", le requérant faisait valoir qu'" en refusant d'accorder le regroupement familial sollicité par M. A Tijani, il est manifeste que Monsieur le Préfet n'a pas procédé à l'examen administratif et personnel de M. A " ; que les premiers juges, qui ont omis de statuer sur ce moyen, qui n'était pas inopérant, ont entaché leur jugement d'irrégularité ; que le jugement attaqué doit donc être annulé ; que, par suite, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A devant le Tribunal administratif de Melun ;

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans " ; qu'aux termes de l'article L. 411-5 du même code : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales et des allocations prévues à l'article L. 262 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 351-9, L. 351-10 et L. 351-10-1 du code du travail. Les ressources doivent atteindre un montant qui tient compte de la taille de la famille du demandeur. Le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 441-1 fixe ce montant qui doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel et au plus égal à ce salaire majoré d'un cinquième (...) ; / 2° Le demandeur ne dispose pas ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique " ;

4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article R. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour l'application du 1° de l'article L. 411-5, les ressources du demandeur et de son conjoint qui alimenteront de façon stable le budget de la famille sont appréciés sur une période de douze mois par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance au cours de cette période. Ces ressources sont considérées comme suffisantes lorsqu'elles atteignent un montant équivalent à cette moyenne pour une famille de deux ou trois personnes (...) " ; et qu'aux termes de l'article R. 421-4 du même code : " A l'appui de sa demande de regroupement, le ressortissant étranger présente les copies des pièces suivantes : (...) 3° Les justificatifs des ressources du demandeur et, le cas échéant, de son conjoint, tels que le contrat de travail dont il est titulaire ou, à défaut, une attestation d'activité de son employeur, les bulletins de paie afférents à la période des douze mois précédant le dépôt de sa demande, ainsi que le dernier avis d'imposition sur le revenu en sa possession, dès lors que sa durée de présence en France lui permet de produire un tel document, et sa dernière déclaration de revenus. La preuve des revenus non salariés est établie par tous moyens ; (...) " ;

5. Considérant, en premier lieu, que, les décisions prises sur recours gracieux en matière de regroupement familial ne se substituant pas aux décisions initiales prises par l'autorité préfectorale, la demande d'annulation de la décision prise par le préfet de Seine-et-Marne sur le recours gracieux le 15 octobre 2010 doit être regardée comme tendant également à l'annulation de la décision du 23 août 2010 ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que M. A disposait, à la date des décisions attaquées, de revenus composés uniquement d'une allocation spécifique de solidarité versée par Pôle emploi ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet se serait estimé lié par le seul motif de l'insuffisance des ressources et n'aurait pas procédé à l'examen de l'ensemble des circonstances de l'espèce ; qu'il a ainsi pu légalement retenir l'insuffisance des ressources de M. A pour refuser, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le regroupement familial sollicité par celui-ci en faveur de son épouse ;

7. Considérant, en troisième lieu, que si, dans ses dernières écritures présentées le 11 juin 2012, le requérant précise que, depuis le 1er avril 2012, il est à la retraite et bénéficie, en sus de l'aide personnalisée au logement, d'une pension mensuelle de 1 061,75 euros, il ne peut utilement se prévaloir d'un nouveau décompte de ses revenus, qui est, en tout état de cause, postérieur aux décisions attaquées ;

8. Considérant, en quatrième lieu, que, s'il résulte de l'instruction que le requérant perçoit, outre l'allocation spécifique de solidarité versée par Pôle emploi, un montant de 217,84 euros mensuels au titre de l'aide personnalisée au logement prévue aux articles L. 542-1 et suivants et L. 831-1 et suivants du code de la sécurité sociale, cette prestation versée par la caisse d'allocations familiales ne saurait être prise en compte dans le calcul des ressources du demandeur, comme le prévoient expressément les dispositions précitées de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par ailleurs, M. A ne justifie pas plus en appel que devant les premiers juges et devant le préfet d'un engagement qu'aurait pris son fils et l'épouse de ce dernier d'assumer financièrement les dépenses engagées par le requérant et son épouse ; qu'il n'établit d'ailleurs pas davantage que son fils et sa bru disposeraient de ressources suffisantes et stables ; que, dans ces conditions, M. A n'est pas fondé à soutenir que le préfet de Seine-et-Marne aurait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte, pour évaluer les ressources dont il disposait, de l'aide personnalisée au logement et de l'engagement par son fils et sa bru de prendre en charge les dépenses engagées par l'intéressé et son épouse ;

9. Considérant, en cinquième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que le montant des revenus de M. A, calculés sur les douze derniers mois précédant la demande, uniquement composés d'une allocation de solidarité spécifique versée par Pôle emploi, étaient insuffisants puisqu'inférieurs au seuil requis, dès lors que ni l'allocation spécifique de solidarité prévue à l'article L. 5423-1 du code du travail, ni l'aide personnalisée au logement prévue aux articles L. 542-1 et suivants et L. 831-1 et suivants du code de la sécurité sociale ne doivent être prises en compte dans le calcul des ressources du demandeur ; qu'en outre, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment de l'avis d'imposition sur les revenus de l'année 2009, qu'entre le 1er novembre 2008 et le 31 octobre 2009, M. A aurait disposé de ressources mensuelles nettes, provenant de l'allocation de retour à l'emploi, égales ou supérieures à la moyenne du montant net du salaire minimum interprofessionnel de croissance ; que, dans ces conditions, le préfet de Seine-et-Marne a pu légalement regarder les ressources de M. A comme insuffisantes pour subvenir aux besoins de son couple et, en conséquence, lui refuser pour ce motif, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le regroupement familial qu'il sollicitait en faveur de son épouse ;

10. Considérant, en sixième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;

11. Considérant que M. A, titulaire d'une carte de résident de dix ans, soutient que le préfet, qui conserve, même en l'absence de ressources stables et suffisantes du demandeur, son pouvoir d'appréciation, ne doit pas se sentir lié par ce seul motif, mais doit veiller au respect des droits garantis par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'en particulier, l'état de santé du demandeur, l'ancienneté des liens matrimoniaux, l'impossibilité de réunir la famille dans le pays d'origine sont autant d'éléments devant être pris en compte dans le cadre de l'atteinte portée au droit de mener une vie privée et familiale normale ; qu'en l'espèce, il fait valoir qu'il vit en France depuis 1973, soit depuis près de quarante ans, qu'il est marié depuis 1977, soit depuis trente-cinq ans, qu'il souffre d'un état anxiodépressif médicalement constaté et qu'il ne peut réunir sa famille en Tunisie, dès lors que son fils et ses deux petits-enfants français résident en France et que, par suite, les décisions attaquées portent à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises et méconnaissent l'article 8 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

12. Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier que M. A n'a sollicité en faveur de son épouse le bénéfice du regroupement familial qu'à la fin de l'année 2009 alors qu'il était âgé de soixante ans et qu'il a épousé sa conjointe en Tunisie en 1977 ; que l'attestation du médecin généraliste du 10 octobre 2009 ne démontre pas que la gravité de sa pathologie rendrait indispensable la présence de sa femme en France ; qu'il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que son état de santé requiert l'assistance quotidienne d'une tierce personne, qui ne pourrait être que sa femme, pour les gestes courants de la vie quotidienne, ni que cet état de santé exige la poursuite en France d'un traitement ; qu'ainsi, et alors que l'intéressé n'établit pas être dépourvu de toutes attaches familiales dans son pays, où aucune circonstance particulière ne l'empêche de poursuivre une vie familiale avec son épouse et où résident au moins quatre de ses enfants, le préfet de Seine-et-Marne n'a pas, en refusant d'accéder à la demande de M. A, et nonobstant la durée de son séjour antérieur en France et la présence d'un de ses fils en France, porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la mesure a été prise ; qu'ainsi, les décisions attaquées n'ont pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

13. Considérant, enfin, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et eu égard à ce qui vient d'être dit, que le préfet de Seine-et-Marne aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en opposant un refus à la demande de regroupement familial de M. A ;

14. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la demande présentée par M. A devant le Tribunal administratif de Melun doit être rejetée ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction comme celles tendant à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ou de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, le versement à son conseil de la somme de 2 500 euros, doivent être rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1102363/1 du 21 octobre 2011 du Tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. A devant le Tribunal administratif de Melun et le surplus de ses conclusions devant la Cour sont rejetés.

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N° 08PA04258

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N° 11PA04986


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 11PA04986
Date de la décision : 19/09/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme TANDONNET-TUROT
Rapporteur ?: M. André-Guy BERNARDIN
Rapporteur public ?: M. EGLOFF
Avocat(s) : DE FOLLEVILLE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2012-09-19;11pa04986 ?
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