La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/07/2012 | FRANCE | N°11PA02647

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3 ème chambre, 31 juillet 2012, 11PA02647


Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 juin et 8 novembre 2011, présentés pour la SOCIETE HOTEL KIA ORA dont le siège est BP 4607 à Papeete (98713), par la SCP Nicolay de Lanouvelle - Hannotin ; la SOCIETE HOTEL KIA ORA demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1000567 du 8 mars 2011 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 12 août 2010 refusant l'autorisation de licencier Mme Youla et à l'autorisation de licencier cette salariée ;

2°) d'annuler lad

ite décision du 12 août 2010 ;

3°) de lui adjuger l'entier bénéfice de ses écr...

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 juin et 8 novembre 2011, présentés pour la SOCIETE HOTEL KIA ORA dont le siège est BP 4607 à Papeete (98713), par la SCP Nicolay de Lanouvelle - Hannotin ; la SOCIETE HOTEL KIA ORA demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1000567 du 8 mars 2011 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 12 août 2010 refusant l'autorisation de licencier Mme Youla et à l'autorisation de licencier cette salariée ;

2°) d'annuler ladite décision du 12 août 2010 ;

3°) de lui adjuger l'entier bénéfice de ses écritures de première instance ;

4°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 5 000 euros ou son équivalent en FCP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française modifiée ;

Vu la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française ;

Vu la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986 modifiée relative aux principes généraux du droit du travail et à l'organisation au fonctionnement de l'inspection du travail des tribunaux du travail en Polynésie française ;

Vu la délibération n° 91-2 AT du 16 janvier 1991 portant application des dispositions du chapitre II du titre I du livre I de la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986 relative au contrat de travail ;

Vu la délibération n° 91-32 AT du 24 janvier 1991 portant application des dispositions du chapitre V du titre IV du livre I de la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986 intitulé " dispositions communes aux délégués syndicaux et aux représentants du personnel " et fixant les modalités de calcul pour la détermination des effectifs à prendre en compte pour l'application des dispositions du titre IV du livre précité ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 juillet 2012 :

- le rapport de M. Treyssac, rapporteur,

- les conclusions de M. Jarrige, rapporteur public,

- et les observations de Me Silvani, pour la SOCIETE HOTEL KIA ORA ;

Considérant que la SOCIETE HOTEL KIA ORA a saisi l'inspection du travail, le 8 juillet 2010, d'une demande réceptionnée le 16 juillet suivant, tendant à être autorisée à procéder au licenciement pour faute de Mme , employée à la lingerie de l'établissement, déléguée du personnel, déléguée syndicale, représentante syndicale au comité d'entreprise et membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; que par décision du 12 août 2010, l'inspecteur du travail a refusé l'autorisation de licencier cette salariée ; que le recours hiérarchique formé le 4 octobre 2010 auprès du chef du service du travail ayant été implicitement rejeté, la SOCIETE HOTEL KIA ORA a contesté le refus d'autorisation de licenciement de cette salariée protégée par requête du 5 novembre 2010, devant le Tribunal administratif de la Polynésie française, qui l'en a déboutée par jugement en date du 8 mars 2011 ; qu'elle relève régulièrement appel dudit jugement devant la Cour de céans ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que la société requérante excipe de l'irrégularité du jugement attaqué au motif qu'il ne s'est pas prononcé sur le moyen tiré de ce que les faits reprochés à la salariée étaient constitutifs d'un détournement de mandats et devaient par ailleurs être appréciés au regard du caractère fautif d'autres faits antérieurs ; que toutefois, en considérant que la présence de Mme dans l'entreprise, alors qu'elle était sous le coup de mises à pied successives et ininterrompues, relevait de son droit à circuler librement dans l'entreprise, sans avoir à justifier d'une activité spécifique accomplie au titre de l'un ou l'autre de ses mandats précisément indiqué, le juge de première instance s'est clairement prononcé sur la nature des faits reprochés à la salariée au regard de l'exercice de ses mandats ; que par ailleurs il a statué sur tous les éléments de fait et de droit ayant motivé la décision attaquée de l'inspecteur du travail ; que le jugement attaqué n'est ainsi entaché d'aucune omission à statuer ;

Sur la légalité de la décision attaquée :

En ce qui concerne la légalité externe :

Considérant que la SOCIETE HOTEL KIA ORA, en instance d'appel comme elle l'avait fait en première instance, reproche à la décision attaquée une motivation insuffisante dès lors que l'inspecteur du travail ne s'est pas prononcé sur le caractère fautif ou la gravité des faits reprochés à cette salariée, eu égard notamment à ses différents mandats et n'a pas recherché si lors de sa présence dans l'entreprise pendant les périodes de mise à pied, la salariée ne cherchait pas à manifester son refus de la sanction ; qu'indépendamment du fait que la motivation d'une décision est relative à sa présentation formelle sans pouvoir s'étendre au contrôle du bien-fondé des motifs, l'obligation de motivation ne s'entend pas de la nécessité de répondre à l'ensemble des éléments invoqués à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement ; qu'en l'espèce, la décision de l'inspecteur du travail comporte les considérations de fait qui en constituent le support, et notamment précise tout à la fois que les comportements antérieurs au 1er juin 2010, contraires tant à la réglementation qu'à la pratique ayant cours dans l'établissement, ont fait l'objet de sanctions non contestées, et que les agissements postérieurs à cette date ne pouvaient être considérés comme fautifs ; qu'ainsi la décision est suffisamment motivée et le moyen sera écarté ;

En ce qui concerne la légalité interne :

Considérant que, lorsque le licenciement d'un salarié investi d'un mandat de représentant du personnel ou des fonctions de délégué syndical est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'autorité saisie de la demande d'autorisation de licenciement de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier la mesure projetée compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat ou des fonctions dont il est investi ;

Considérant que la demande d'autorisation de licencier Mme présentée par l'employeur se fondait sur les fautes reprochées à cette salariée et tenant, d'une part, à son attitude irrespectueuse et provocatrice à l'égard de son employeur, d'autre part, à son maintien dans l'établissement en dépassement des heures de délégation inhérentes à ses mandats, dans le seul but de faire échec aux sanctions disciplinaires prononcées à son encontre ;

Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la délibération susvisée n° 91-32 AT du 24 janvier 1991 : " Pour l'exercice de leurs fonctions, les délégués syndicaux, les délégués du personnel, les membres élus du comité d'entreprise ou d'établissement ainsi que les représentants syndicaux au comité d'entreprise ou d'établissement, peuvent durant leurs heures de délégation, se déplacer hors de l'entreprise. Ils peuvent également, tant durant les heures de délégation qu'en dehors des heures de travail, circuler librement dans l'entreprise et y prendre les contacts nécessaires à l'accomplissement de leur mission, notamment auprès d'un salarié à son poste, sous réserve de ne pas apporter de gêne importante à l'accomplissement du travail des salariés, ou à la bonne marche de l'entreprise " ; qu'aux termes de l'article 8 de la même délibération : " L'utilisation des heures de délégation donne lieu à une information préalable du chef d'entreprise ou de son représentant par l'intéressé. / Les déplacements à l'extérieur de l'entreprise donnent lieu à une information préalable du chef d'entreprise ou de son représentant. Cette information doit être communiquée au moins vingt-quatre heures à l'avance sauf cas de force majeure. / Les heures de délégation ne peuvent être utilisées que pour des tâches qui entrent dans le cadre normal des missions des bénéficiaires de ces heures. / L'employeur ne peut imposer un contrôle préalable de l'utilisation des heures de délégation. Il peut demander justification des absences à posteriori, dès lors que l'objet de ce contrôle se limite au calcul de ces heures en vue de leur paiement ou de leur comptabilisation. / En cas de contestation par l'employeur de l'usage fait des temps ainsi alloués, il lui appartient de saisir le tribunal de première instance " ;

Considérant, en premier lieu, qu'il ressort clairement de la décision attaquée que celle-ci n'opère aucune confusion dans la situation de la salariée en distinguant le cas où elle a quitté son poste de travail pour s'absenter de l'hôtel et celui de sa présence dans l'établissement nonobstant sa mise à pied ; que par ailleurs, contrairement à ce qu'allègue la société requérante, il n'est pas établi que Mme , en se rendant sur son lieu de travail alors qu'elle avait été mise à pied, ait entendu remettre en cause l'autorité de son supérieur hiérarchique, en adoptant une attitude provocatrice et d'insubordination de nature à causer une gêne à la bonne marche de l'entreprise ; que le fait qu'elle ne serait pas prise en charge au titre des accidents du travail ne saurait limiter son droit de circuler librement y compris dans les zones de travaux de l'hôtel, sa présence pouvant se justifier au regard de sa qualité de membre du CHSCT, et ses mandats n'étant pas suspendus par les mises à pied disciplinaires dont elle faisait l'objet ;

Considérant, en deuxième lieu, que si l'inspecteur du travail a relevé explicitement qu'aucune concertation avec les instances intéressées n'avait institutionnalisé les bons de délégation, par ailleurs non prévus par le code du travail, il ressort des indications fournies par la société requérante que cette pratique a donné lieu à un accord avec les représentants syndicaux seulement à compter du 1er juin 2010, soit à une date où la salariée, en situation de mise à pied disciplinaire, ne pouvait plus être regardée comme utilisant ses heures de délégation prises sur son temps de travail ; qu'ainsi les bons de délégation étaient, au cas d'espèce, dépourvus de toute utilité ; que, dès lors, l'erreur commise par l'inspecteur du travail est sans portée et n'a pu affecter la validité de la décision ;

Considérant, en troisième lieu, que la SOCIETE HOTEL KIA ORA fait grief à la décision attaquée de ne pas avoir tenu compte de ce que la salariée sanctionnée avait méconnu l'article 8 de la délibération du 24 janvier 1991 par une utilisation abusive de ses heures de délégation dans des conditions de nature à engager la responsabilité du directeur de l'établissement et lui interdisant d'en faire une comptabilisation fiable ; que, toutefois, la présence de Mme dans l'entreprise le 1er juin, puis du 7 au 30 juin, dès lors qu'elle était sous le coup de mises à pied successives et ininterrompues, relevait de son droit à circuler librement dans l'entreprise, sans avoir à justifier d'une activité spécifique accomplie au titre de l'un ou l'autre de ses mandats précisément indiqué, et non de l'utilisation pendant les heures de travail d'un crédit d'heures imposant une information préalable de l'employeur, que celle-ci soit effectuée oralement ou par la remise d'un " bon de délégation " ; qu'en effet, si Mme ne pouvait sans méconnaître les dispositions des articles 7 et 8 de la délibération n° 91-32 AT du 24 janvier 1991 ne pas prévenir son employeur avant de s'absenter de son poste pendant ses heures de travail les 25 mai, 1er et 3 juin 2010 et refuser de remplir les bons de délégation en usage dans l'entreprise depuis plusieurs années, elle n'était plus astreinte à de telles obligations pendant ses périodes de mise à pied du 7 au 30 juin dès lors que si sa mise à pied ne suspendait pas ses mandats, le temps qu'elle consacrait à l'exercice de ceux-ci n'était pas pris sur ses heures de travail, ne s'imputait pas ainsi sur son crédit d'heures de délégation et ne justifiait pas une information préalable ou a posteriori de son employeur ou la souscription de bons de délégation ; que pendant la même période, elle pouvait aussi librement se déplacer dans l'hôtel pour l'exercice de ses fonctions représentatives dès lors qu'elle pouvait justifier de sa qualité au cours de ses déplacements et qu'il n'est ni établi, ni même allégué que son employeur avait défini, après consultation des délégués syndicaux et des représentants élus du personnel, des modalités de contrôle de ces déplacements à fins d'assurer la sécurité et la bonne marche de l'hôtel, modalités nécessairement distinctes des bons de délégation ; que, dans ces conditions, l'absence de prise en compte du dépassement du crédit d'heures comme la méconnaissance de l'obligation de remplir les bons de délégation ne constituaient pas des faits caractérisant un comportement fautif de cette salariée, qui n'accomplissait aucun travail et ne puisait pas dans son crédit d'heures du fait de ces mises à pied ; qu'il en va de même de l'absence de circonstances exceptionnelles justifiant le maintien dans l'entreprise de cette salariée au delà du nombre d'heures alloué par la réglementation ;

Considérant, en quatrième lieu, que la présence de Mme dans l'entreprise à compter du 7 juin 2010 ne constitue pas, par elle-même, l'expression d'une activité syndicale ou de représentation du personnel rattachable à l'un ou l'autre de ses mandats, mais correspond à l'exercice de son droit à circuler librement dans l'entreprise, y compris en dehors de l'accomplissement de ses obligations professionnelles ; que par suite, la décision attaquée qui ne saurait être regardée comme ayant pour effet d'exonérer la salariée de l'obligation de respecter un quota d'heures en raison de sa sanction disciplinaire, n'a pas méconnu les articles 3, 7 et 8 de la délibération du 24 janvier 1991 ; que, dès lors, le moyen tiré de l'erreur de droit commise par l'inspecteur du travail dans l'application de ses dispositions ne peut être accueilli ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE HOTEL KIA ORA n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la Polynésie française la somme que demande la SOCIETE HOTEL KIA ORA, dont la requête est rejetée, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que sur le fondement de ces mêmes dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de la société requérante une somme de 1 200 euros qu'elle versera à Mme et une somme de 1 844 euros qu'elle versera à la Polynésie française ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SOCIETE HOTEL KIA ORA est rejetée.

Article 2 : La SOCIETE HOTEL KIA ORA versera à Mme la somme de 1 200 euros, et à la Polynésie française la somme de 1 844 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

''

''

''

''

5

N° 10PA03855

2

N° 11PA02647


Type d'affaire : Administrative

Références :

Publications
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Président : Mme VETTRAINO
Rapporteur ?: M. Jean-François TREYSSAC
Rapporteur public ?: M. JARRIGE
Avocat(s) : SCP NICOLAY DE LANOUVELLE HANNOTIN

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3 ème chambre
Date de la décision : 31/07/2012
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 11PA02647
Numéro NOR : CETATEXT000026264738 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2012-07-31;11pa02647 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award