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08/03/2012 | FRANCE | N°11PA02211

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3 ème chambre, 08 mars 2012, 11PA02211


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 9 mai 2011, présentés pour Mlle Eudoxie A, demeurant ..., par la Selurl Leks avocat ; Mlle A demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0907970/6-3 en date du 10 mars 2011 du Tribunal administratif de Paris en ce qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite d'une intervention en stomatologie réalisée le 19 février 2003 à l'hôpital Saint-Vincent de Paul à Paris ;

2°) de condamner l'Assistance publique

-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme totale de 51 391 euros en répar...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 9 mai 2011, présentés pour Mlle Eudoxie A, demeurant ..., par la Selurl Leks avocat ; Mlle A demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0907970/6-3 en date du 10 mars 2011 du Tribunal administratif de Paris en ce qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite d'une intervention en stomatologie réalisée le 19 février 2003 à l'hôpital Saint-Vincent de Paul à Paris ;

2°) de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme totale de 51 391 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HP les dépens, en ce compris les frais d'expertise, et la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale, notamment son article L. 376-1 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 février 2012 :

- le rapport de Mme Renaudin, rapporteur,

- les conclusions de M. Jarrige, rapporteur public,

- et les observations de Me Tsouderos, pour l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;

Considérant que Mlle A souffrait d'une dysmorphose faciale de type III ; qu'elle a dû suivre un traitement orthodontique de 1997 à 2002 ; que l'équipe médicale qui la suivait a préconisé également la réalisation d'un geste chirurgical ; qu'âgée de 16 ans, elle a subi, le 19 février 2003 à l'hôpital Saint-Vincent de Paul à Paris, une ostéotomie de la mâchoire inférieure, avec pose d'un greffon ; que cependant en avril suivant ont été constatés une infection, le lâchage de la suture, la mise à nu du greffon et une fracture des racines de deux prémolaires ; qu'une intervention a été pratiquée le 26 mai 2003 afin d'extraire les dents fracturées et les plaques d'ostéosynthèse ; que le 28 novembre 2004, il a été procédé à l'ablation des vis de fixation du greffon, lequel avait pratiquement disparu ; que Mlle A a sollicité l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) en vue de l'indemnisation de ses préjudices qu'elle imputait à une faute dans la réalisation de l'opération litigieuse ; que l'AP-HP a, par un courrier d'avril 2009, consenti à cette dernière une indemnisation totale de 12 000 euros ; qu'estimant cette proposition insuffisante, Mlle A a saisi le Tribunal administratif de Paris d'une requête tendant à la condamnation de l'AP-HP à lui verser la somme de 45 900 euros en réparation de ses préjudices ; que par jugement du 10 mars 2011, le Tribunal administratif de Paris, d'une part, a retenu que la responsabilité de l'AP-HP était engagée à l'égard de Mlle A en raison de ce que l'intervention du 19 février 2003 n'avait pas été conduite conformément aux règles de l'art et en particulier du fait que l'ostéotomie ne s'était pas accompagnée de la mise en place d'un greffon osseux basilaire mandibulaire, mais d'un greffon tibial, non adapté à la morphologie de la patiente, de ce qu'une mauvaise appréciation de la difficulté de l'intervention avait conduit à la fracture de deux dents et de ce que l'insuffisance du recouvrement des tissus osseux, musculaires et des muqueuses avait favorisé la survenue d'une infection et la fonte du greffon, et, d'autre part, a condamné l'AP-HP à verser à Mlle A la somme de 14 000 euros pour l'indemnisation de ses préjudices et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne la somme de 7 559, 23 euros en remboursement des prestations engagées pour son assurée ; que Mlle A relève régulièrement appel de ce jugement en ce qu'il n'a fait que partiellement droit à ses demandes ;

Sur la responsabilité de l'AP-HP :

En ce qui concerne la faute :

Considérant que la responsabilité de l'AP-HP retenue par les premiers juges à l'égard de Mlle A au titre de la faute commise dans la réalisation de l'intervention n'est pas discutée ;

En ce qui concerne le défaut d'information :

Considérant que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ; que lorsque le défaut d'information est constitué, il appartient au juge de rechercher, au vu des pièces du dossier, si le patient a subi une perte de chance de se soustraire aux dommages qui se sont réalisés, au regard des risques inhérents à l'acte médical litigieux et des risques encourus par l'intéressé en cas de renonciation à cet acte ; que la réparation du préjudice résultant de la perte de chance de se soustraire au risque dont le patient n'a pas été informé et qui s'est réalisé correspond à une fraction des chefs de préjudice subis par celui-ci ; que, dès lors que les premiers juges ont retenu une responsabilité de l'AP-HP à l'égard de Mlle A en raison de la faute commise dans la conduite de l'intervention, c'est à bon droit qu'ils ont estimé que le défaut d'information ne pourrait donner lieu qu'à la réparation d'une fraction des préjudices existants, à défaut d'un préjudice distinct, lesquels ouvraient déjà droit à une réparation intégrale sur le fondement de la faute retenue ; que Mlle A n'est donc pas fondée à soutenir que le préjudice qu'elle a subi en raison du défaut d'information commis par l'hôpital Saint-Vincent de Paul doit donner lieu à une réparation distincte ;

Sur les préjudices subis par Mlle A :

En ce qui concerne les droits à réparation de Mlle A et le recours subrogatoire de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne :

Considérant qu'aux termes des cinq premiers alinéas de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. / Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. / Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. / Conformément à l'article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée. / Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice (...) " ;

Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2006 portant financement de la sécurité sociale pour 2007, le juge, saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et d'un recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices patrimoniaux et personnels, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ; qu'il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste du préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ; que le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste du préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ;

Considérant qu'en l'absence de dispositions réglementaires définissant les postes de préjudice, il y a lieu, pour mettre en oeuvre la méthode sus-décrite, de distinguer, parmi les préjudices de nature patrimoniale, les dépenses de santé, les frais liés au handicap, les pertes de revenus, l'incidence professionnelle et scolaire et les autres dépenses liées à ce dommage ; que parmi les préjudices personnels, sur lesquels l'organisme de sécurité sociale ne peut exercer son recours que s'il établit avoir effectivement et préalablement versé à la victime une prestation réparant de manière incontestable un tel préjudice, il y a lieu de distinguer, pour la victime directe, les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique et les troubles dans les conditions d'existence, envisagés indépendamment de leurs conséquences pécuniaires ;

En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :

Quant aux dépenses de santé :

Considérant que la somme de 5 209, 64 euros qui a été allouée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne par le jugement attaqué au titre des dépenses de santé qu'elle a prises en charge pour Mlle A et occasionnées par la faute commise n'est pas discutée ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les conséquences dommageables de l'intervention litigieuse nécessiteront des dépenses de santé futures pour le suivi d'un traitement orthodontique qui est estimé, selon devis actualisé produit au dossier par la requérante, à la somme de 3 972 euros, l'utilisation d'une prothèse provisoire d'un coût de 1 900 euros, ainsi qu'un traitement préimplantaire et implantaire estimé selon devis actualisé à 10 519 euros ; que le total de ces dépenses futures occasionnées par les conséquences dommageables de l'intervention litigieuse s'élève donc à la somme de 16 391 euros ; qu'il résulte de l'instruction que ces dépenses seront prises en charge par la Sécurité sociale à hauteur de 308 euros au titre du traitement implantaire ; que, par conséquent, la part de ces dépenses laissée à la charge de Mlle A s'élève à la somme de 16 082 euros ;

Considérant que si Mlle A demande la prise en charge de frais de renouvellement de ses implants, comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, elle n'établit pas la nécessité de ce renouvellement que l'expert n'a, en outre, nullement mentionné ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la somme de 10 000 euros que l'AP-HP a été condamnée à verser à Mlle A au titre de ses dépenses de santé futures par le jugement attaqué doit être portée à 16 082 euros pour tenir compte de l'actualisation du coût des soins nécessaires ;

Quant à l'incidence scolaire :

Considérant que c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté l'indemnisation d'un préjudice d'incidence scolaire du dommage, dès lors qu'il ne résulte pas de la seule attestation du proviseur du lycée de la requérante faite au mois de mai 2005, qui met en exergue un relâchement des résultats en seconde dû à des absences pour raisons de santé et se borne, s'agissant du redoublement de sa classe de première en 2005, à faire état de son repli sur

elle-même, que l'intervention et les soins post-opératoires pratiqués en 2003 aient pu avoir une incidence certaine sur le redoublement en cause ;

En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que Mlle A a enduré des souffrances physiques et psychiques importantes, que ce dernier a fixé à 3 sur une échelle de 7, compte tenu de ce qu'entre mars 2002 et novembre 2004, outre l'intervention du 19 février 2003, elle a dû subir trois interventions ainsi que des gênes fonctionnelles et douleurs importantes, lesquelles résultent des complications de l'opération en cause ; que le pretium doloris de Mlle A doit en conséquence être fixé à la somme de 3 000 euros ;

Considérant que l'expert a retenu un préjudice esthétique temporaire en raison principalement du résultat inesthétique de l'intervention chirurgicale litigieuse sur l'aspect du menton de la patiente, pour la résorption duquel il préconise d'ailleurs une reprise chirurgicale ; que ce chef de préjudice doit dès lors être fixé à la somme de 2 000 euros ;

Considérant que les troubles dans les conditions d'existence subis par Mlle A au titre d'une incapacité temporaire totale de 13 jours mentionnée par l'expert et de la gêne qu'elle a pu connaître dans sa vie sociale en raison de ses séquelles dans la période

post-opératoire, peuvent être fixés à la somme de 2 000 euros ;

Considérant que la somme de 4 000 euros que l'AP-HP a été condamnée à verser à Mlle A en réparation de son préjudice personnel par le jugement attaqué, et qui a été insuffisamment appréciée, doit donc être portée à 7 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mlle A est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris n'a fait que partiellement droit à sa demande indemnitaire en lui accordant une somme de 14 000 euros ; que l'AP-HP doit donc être condamnée à lui verser la somme totale de 23 082 euros en réparation de l'ensemble de ses préjudices, sous déduction de l'indemnité de 5 000 euros qui lui a déjà été versée à titre provisoire par l'AP-HP en mai 2007 ; que le jugement sera réformé en ce sens ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant qu'il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a mis à la charge définitive de l'AP-HP les frais et honoraires de l'expertise du docteur Lattes, liquidés et taxés à la somme de 647, 40 euros par ordonnance du 21 décembre 2005 du vice-président du Tribunal administratif de Paris ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par Mlle A et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 14 000 euros que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris a été condamnée à verser à Mlle A par l'article 1er du jugement susvisé du Tribunal administratif de Paris est portée à 23 082 euros, sous déduction de l'indemnité de 5 000 euros qui lui a été versée à titre provisoire par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 10 mars 2011 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus de la requête de Mlle A est rejeté.

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N° 10PA03855

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N° 11PA02211


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3 ème chambre
Numéro d'arrêt : 11PA02211
Date de la décision : 08/03/2012
Type d'affaire : Administrative

Composition du Tribunal
Président : Mme VETTRAINO
Rapporteur ?: Mme Mathilde RENAUDIN
Rapporteur public ?: M. JARRIGE
Avocat(s) : SELURL LEKS AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2012-03-08;11pa02211 ?
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