Vu, I, sous le n° 10PA04008, la requête enregistrée le 5 août 2010, présentée pour Mme Danielle A, demeurant ..., par Me Faty ; Mme A demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 0619239 en date du 4 juin 2010 du Tribunal administratif de Paris, en ce qu'il a limité à la somme de 2 342 euros la réparation de ses préjudices résultant de l'illégalité de la décision du préfet de police du 24 mars 2005 lui retirant sa carte professionnelle de conductrice de taxi pour une durée de 45 jours ferme et 60 jours avec sursis ;
2°) de condamner le préfet de police à lui verser les sommes de 9 517 euros au titre de ses pertes d'exploitation, de 3 000 euros au titre des frais financiers exposés, de 5 000 euros au titre de l'atteinte à sa réputation et de 6 000 euros au titre de l'atteinte à son honneur ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu, II, sous le n° 10PA04252, la requête enregistrée le 20 août 2010, présentée par le PREFET DE POLICE ; le PREFET DE POLICE demande à la Cour, d'une part, d'annuler le jugement n° 0619239 en date du 4 juin 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris l'a condamné à verser à Mme Danielle B la somme de 2 342 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 avril 2006 à raison de l'illégalité de sa décision en date du 24 mars 2005 lui retirant sa carte professionnelle de conductrice de taxi pour une durée de 45 jours ferme et 60 jours avec sursis, ainsi qu'à lui verser une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, d'autre part, de rejeter la demande indemnitaire de Mme B ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code civil ;
Vu la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995 modifiée relative à l'accès à l'activité de conducteur de taxi et à la profession d'exploitant de taxi ;
Vu le décret n° 95-935 du 17 août 1995 portant application de la loi susvisée ;
Vu l'arrêté interpréfectoral n° 01-16385 du 31 juillet 2001 relatif aux exploitants et aux conducteurs de taxis dans la zone parisienne ;
Vu l'arrêté du préfet de police n° 2005-20183 du 24 février 2005 relatif à la création, à la composition et au fonctionnement de la commission de discipline des conducteurs de taxi ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 novembre 2011 :
- le rapport de Mme Julliard, rapporteur,
- les conclusions de M. Jarrige, rapporteur public,
- et les observations de Me Faty, pour Mme A ;
Considérant que les requêtes susvisées, présentées respectivement par Mme A et par le PREFET DE POLICE, sont dirigées contre un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Considérant que, par une décision du 24 mars 2005 rendue sur avis de la commission de discipline des conducteurs de taxi réunie le même jour, le PREFET DE POLICE a prononcé à l'encontre de Mme A un retrait de sa carte professionnelle pour une durée de 45 jours ferme et 60 jours avec sursis, au motif que le 14 octobre 2004 à 18h00, elle n'avait pas emprunté le chemin le plus direct pour conduire un client de l'aéroport de Roissy à Paris (1er arrondissement) et lui avait réclamé la somme de 118 euros, manquement constitutif d'une infraction aux dispositions du 10° de l'article 24 de l'arrêté interpréfectoral susvisé du 31 juillet 2001 ; que, par un arrêté du 6 avril 2005, le PREFET DE POLICE a suspendu l'exécution de cet arrêté en vue de procéder à un complément d'enquête ; que le juge des référés du Tribunal administratif de Paris a, le 15 avril 2005, ordonné la suspension de la sanction infligée à l'intéressée, considérant que si le PREFET DE POLICE avait fondé la sanction contestée sur le témoignage d'un client selon lequel Mme A n'aurait pas pris le chemin le plus direct pour le conduire de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle à la rue de Rivoli, Mme A alléguait avoir emprunté l'itinéraire demandé par le client et l'avoir mentionné sur la facturette remise à ce dernier et que, compte tenu de ces allégations, et alors que le PREFET DE POLICE avait suspendu l'exécution de la sanction attaquée en vue d'ordonner un supplément d'enquête, les moyens tirés de l'inexactitude matérielle des faits et de l'erreur manifeste d'appréciation étaient de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ; que, par une décision en date du 1er mars 2006, le PREFET DE POLICE a procédé au retrait de l'arrêté du 24 mars 2005 au vu de l'ordonnance précitée du juge des référés ; que par un jugement du 25 juillet 2006, le Tribunal administratif de Paris a prononcé un non lieu à statuer sur la demande de Mme A tendant à l'annulation de la décision du 24 mars 2005, retirée par le PREFET DE POLICE ; que, par une lettre en date du 21 mars 2006, Mme A a demandé à ce dernier l'indemnisation des préjudices résultant du retrait illégal de sa carte professionnelle, demande à laquelle le PREFET DE POLICE n'a pas répondu ; qu'elle a alors saisi le Tribunal administratif de Paris qui, par un jugement du 4 juin 2010, a fait partiellement droit à sa demande en lui octroyant une somme totale de 2 342 euros en réparation de son préjudice d'activité (1 842 euros) et de son préjudice d'atteinte à sa réputation et son honneur (500 euros) ; que Mme A et le PREFET DE POLICE relèvent appel de ce jugement ;
Sur la responsabilité :
Considérant que si le PREFET DE POLICE soutient qu'en estimant que Mme A n'avait pas emprunté le chemin le plus court mais qu'il revenait à son client de s'y opposer, le tribunal a commis une erreur de droit et qu'aucune faute ne peut lui être imputée dès lors qu'on ne peut imposer à un client de taxi un allongement de parcours qui a représenté un coût de 118 euros et un temps de trajet d'1h47 pour une course entre Roissy et la rue de Rivoli à Paris en fin d'après-midi, il résulte de l'instruction, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, que l'administration ne peut être regardée comme ayant fondé sa décision de sanction sur des faits matériellement établis ; qu'ainsi, en retirant à Mme A, qui est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 24 de l'arrêté du 31 juillet 2001 susvisé, sa carte professionnelle de conducteur de taxi pour une durée de 45 jours ferme et 60 jours avec sursis, le PREFET DE POLICE a commis une illégalité constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
Sur les préjudices de Mme A :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que Mme A peut se prévaloir d'un manque à gagner résultant de l'interruption de l'exercice de sa profession entre le 24 mars 2005, date de l'arrêté prononçant la sanction illégale et le 6 avril 2005, date de suspension dudit arrêté ; que le PREFET DE POLICE n'apporte pas la preuve qui lui incombe qu'il aurait restitué sa carte professionnelle à Mme A dès le 7 avril suivant ni avant le 24 avril 2005 ; que la requérante produit un compte de résultat établi au 31 décembre 2004 faisant état d'une perte journalière d'exploitation de 307 euros pour une activité de 151 jours par an ; qu'il sera fait une juste appréciation de son préjudice de perte d'exploitation en le fixant à la somme de 3 000 euros ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'en se bornant à produire des tableaux d'amortissement de ses emprunts, Mme A n'établit pas davantage en appel qu'en première instance qu'elle aurait supporté des frais financiers supplémentaires en lien direct avec le retrait de sa carte professionnelle et n'apporte pas la preuve de l'existence du préjudice qu'elle allègue avoir subi à ce titre ;
Considérant, en troisième lieu, que c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que le tribunal a fixé à 500 euros l'indemnisation du préjudice moral de Mme A résultant de l'atteinte à sa réputation et à son honneur ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a limité à la somme de 2 342 euros la réparation de ses préjudices résultant de l'illégalité de la décision du PREFET DE POLICE du 24 mars 2005 lui retirant sa carte professionnelle de conductrice de taxi pour une durée de 45 jours ferme et 60 jours avec sursis, qu'il y a lieu de porter cette indemnisation à la somme totale de 3 500 euros ;
Sur les intérêts :
Considérant que lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter de la réception par la partie débitrice de la réclamation de la somme principale ; qu'ainsi Mme A a droit aux intérêts sur la somme de 3 500 euros précitée à compter du 5 avril 2006, date de réception par l'administration de sa demande préalable ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à payer à Mme A une somme de 1 500 euros en application des dispositions précitées ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête du PREFET DE POLICE est rejetée.
Article 2 : La somme que le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à Mme A est portée à 3 500 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 avril 2006.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 4 juin 2010 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A est rejeté.
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N° 10PA03855
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Nos 10PA04008, 10PA04252