Vu la requête, enregistrée le 7 avril 2010, présentée pour Mme Juliette A et M. Stéphane A, demeurant ..., par Me Metzker ; Mme A et M. A demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0718085/3-1 en date du 16 février 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à verser à Mme A une somme de 100 millions d'euros en réparation du préjudice propre subi par celle-ci, du ministre de l'intérieur à leur verser 55 millions d'euros, du préfet de police à leur verser 5 millions d'euros, du commissaire de police du 10ème arrondissement à leur verser 3 millions d'euros, du maire de Paris et du maire du 10ème arrondissement de Paris à leur verser 30 millions d'euros, de l'établissement public de santé mentale Maison Blanche à leur verser 10 millions d'euros et de la commission de l'hospitalisation d'office à leur verser 1 million d'euros ;
2°) de condamner le préfet de police à leur verser 15 millions d'euros en réparation de tous les préjudices subis en raison du décès de M. Sébastien C ;
3°) de condamner le centre médico-psychologique de la rue Lafayette à Paris et l'établissement public de santé mentale Maison Blanche à leur verser 15 millions d'euros en réparation de tous les préjudices subis en raison du décès de M. Sébastien C ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 avril 2011:
- le rapport de Mme Folscheid, rapporteur,
- les conclusions de M. Jarrige, rapporteur public,
- les observations de Me Metzker, pour les consorts A et celles de Me Jastrzeb, pour l'EPS Maison Blanche ;
Considérant que le 20 novembre 2003, M. Sébastien C a été assassiné par M. D qui présentait des troubles mentaux et a été déclaré irresponsable pénalement, au sens des dispositions de l'article L. 122-1 du code pénal, par un arrêt de la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Paris en date du 5 janvier 2010 ; que Mme Juliette A, et M. Stéphane A, respectivement mère et frère de la victime, demandent l'annulation du jugement en date du 16 février 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes qui tendaient à la condamnation de l'Etat, du ministre de l'intérieur, du préfet de police, du commissaire de police du 10ème arrondissement de Paris, du maire de Paris, du maire du 10ème arrondissement, de l'établissement public de santé Maison Blanche et de la commission de l'hospitalisation d'office à les indemniser du préjudice que leur a causé la mort de M. Sébastien C ; qu'en appel, les requérants ne dirigent plus leurs conclusions indemnitaires que contre le préfet de police et l'établissement public de santé mentale Maison Blanche dont ils demandent qu'ils soient chacun condamnés à leur verser la somme de 15 millions d'euros ;
Sur la responsabilité de l'Etat à raison de la levée de l'hospitalisation d'office le 30 septembre 2002 et de l'absence de mesures d'hospitalisation d'office à l'encontre de M. D entre le 30 septembre 2002 et le 20 novembre 2003 :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique : A Paris, le préfet de police et, dans les départements, les représentants de l'Etat prononcent par arrêté, au vu d'un certificat médical circonstancié, l'hospitalisation d'office dans un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public. ; qu'aux termes de l'article L. 3213-2 du code précité : En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical ou, à défaut, par la notoriété publique, le maire et, à Paris, les commissaires de police arrêtent, à l'égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l'Etat dans le département qui statue sans délai et prononce, s'il y a lieu, un arrêté d'hospitalisation d'office dans les formes prévues à l'article L. 3213-1. Faute de décision du représentant de l'Etat, ces mesures provisoires sont caduques au terme d'une durée de quarante-huit heures. ; qu'aux termes enfin de l'article L. 3213-4 du code de la santé publique : Dans les trois jours précédant l'expiration du premier mois d'hospitalisation, le représentant de l'Etat dans le département peut prononcer, après avis motivé d'un psychiatre, le maintien de l'hospitalisation d'office pour une nouvelle durée de trois mois. Au-delà de cette durée, l'hospitalisation peut être maintenue par le représentant de l'Etat dans le département pour des périodes de six mois maximum renouvelables selon les mêmes modalités. Faute de décision du représentant de l'Etat à l'issue de chacun des délais prévus à l'alinéa précédent, la mainlevée de l'hospitalisation est acquise. Sans préjudice des dispositions qui précèdent, le représentant de l'Etat dans le département peut à tout moment mettre fin à l'hospitalisation après avis d'un psychiatre ou sur proposition de la commission mentionnée à l'article L. 3222-5. ;
Considérant que la décision par laquelle le préfet met fin à une hospitalisation d'office ainsi que celle par laquelle il s'abstient d'ordonner une telle mesure ont le caractère de mesures de police administrative qui ne portent pas atteinte à la liberté individuelle ; qu'il appartient dès lors à la juridiction administrative d'apprécier tant la régularité que le bien-fondé de ces décisions et de se prononcer sur les conséquences dommageables des fautes commises par l'Etat résultant du défaut d'hospitalisation d'office des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment de plusieurs rapports établis par les experts qui ont examiné M. D dans le cadre de l'instruction pénale, que celui-ci est atteint depuis au moins le mois de décembre 2001 de schizophrénie délirante paranoïde ; que ces troubles psychiques sévères sont susceptibles d'abolir son discernement et d'entraver totalement le contrôle de ses actes, le rendant dangereux pour lui-même comme pour les autres ; que M. D, qui avait été hospitalisé d'office à l'établissement public de santé (EPS) Maison Blanche du 12 octobre 2000 au 9 juillet 2001, a connu une nouvelle hospitalisation d'office effectuée dans ce même hôpital du 24 août au 30 septembre 2002 , cette nouvelle mesure ayant été prise par arrêté du préfet de police en date du 24 août 2002 en raison du comportement violent et menaçant de M. D au centre psychiatrique d'orientation et d'accueil de l'hôpital Sainte-Anne ; que, par arrêté du 30 septembre 2002, le préfet de police a ordonné la levée de cette mesure ; que si le préfet de police soutient qu'il s'est fondé pour ce faire, en application de l'article L. 3213-4 précité du code de la santé publique, sur l'avis du médecin psychiatre traitant, en date du 18 septembre 2002, ainsi que sur l'avis émis le 26 septembre 2002 par le médecin-conseil de la préfecture de police, lequel n'était pas obligatoire, ni l'arrêté du 30 septembre 2002 ordonnant la levée de l'hospitalisation d'office, ni les avis médicaux sur lesquels se fonde cet arrêté ne sont produits au dossier ; que l'état de l'instruction ne permet donc pas à la Cour de se prononcer sur le bien-fondé tant de l'arrêté contesté que de l'abstention du préfet à prendre une nouvelle mesure d'hospitalisation d'office, à la suite des diverses interpellations dont M. D a fait l'objet postérieurement au 30 septembre 2002 ; qu'il y a lieu par suite, avant dire droit sur les conclusions dirigées par les consorts A contre l'Etat, de faire procéder à une expertise aux fins précisées ci-après ;
Sur la responsabilité de l'établissement public de santé Maison Blanche à raison de son inaction lors de l'interruption de son traitement par M. D :
Considérant qu'il est constant qu'à l'issue de la levée d'hospitalisation prononcée par l'arrêté précité du 30 septembre 2002, l'intéressé se rendait au centre médico-psychologique dépendant de l'EPS Maison Blanche et sis 221 rue Lafayette dans le 10ème arrondissement de Paris, à raison d'une fois par mois, afin d'y recevoir le traitement antipsychotique sous forme d'une injection avec effet retard qui lui avait été prescrit ; qu'il n'est pas contesté par l'EPS Maison Blanche, qui avait accueilli à deux reprises au moins M. D dans le cadre d'hospitalisations d'office de longue durée, notamment du 12 octobre 2000 au 9 juillet 2001, que le traitement antipsychotique précité lui était indispensable ; que la nécessité pour M. D de suivre impérativement ce traitement, l'éventualité qu'il l'interrompe et la parfaite connaissance par l'EPS Maison Blanche du lien fort entre toute interruption et la réapparition de troubles du comportement ressortent clairement de la lettre adressée le 25 octobre 2002 par le Docteur E, médecin chef de service du centre médico-psychologique qui assurait le suivi de M. D, au premier président de la Cour d'appel de Paris dans le cadre d'une procédure pénale, dans laquelle ce praticien, en se prévalant de la prise en charge médicale dont son patient faisait l'objet, attirait l'attention sur le caractère potentiellement nocif de la prison pour l'intéressé ; que cette lettre souligne en effet que La plupart des troubles du comportement, qui ont entraîné ses actes de délinquance, sont survenus à des périodes hors hospitalisation où il n'était pas traité et après des hallucinations et des idées délirantes , précise que l'intéressé avait malheureusement cessé de prendre tout traitement après sa première sortie de l'hôpital et indique que depuis sa dernière sortie, [M. D] reçoit un traitement antipsychotique (injection retard mensuelle) qui lui a permis une prise de conscience plus réelle de ses troubles et un comportement plus adapté ; que les consorts A soutiennent sans être contredits que M. D, après s'être rendu chaque mois jusqu'en mai 2003 au centre médico-psychologique de la rue Lafayette, a renoncé volontairement à son traitement ; que l'état de l'instruction ne permet pas à la Cour de se prononcer sur les conditions du suivi médical dont M. D a fait l'objet postérieurement au 30 septembre 2002 et qui sont susceptibles d'engager, le cas échéant, la responsabilité de l'EPS Maison Blanche ; qu'il y a lieu, par suite, avant dire droit sur les conclusions dirigées par les consorts A contre l'EPS Maison Blanche de faire procéder à une expertise aux fins précisées dans le dispositif du présent arrêt ;
Sur la responsabilité sans faute de l'Etat et de l'établissement public de santé Maison Blanche en raison des sorties d'essai accordées en 2006 et 2007 à M. D :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 3211-11 du code de la santé publique : Afin de favoriser leur guérison, leur réadaptation ou leur réinsertion sociale, les personnes qui ont fait l'objet d'une hospitalisation sur demande d'un tiers ou d'une hospitalisation d'office peuvent bénéficier d'aménagements de leurs conditions de traitement sous forme de sorties d'essai, éventuellement au sein d'équipements et services ne comportant pas d'hospitalisation à temps complet mentionnés à l'article L. 6121-2. La sortie d'essai comporte une surveillance médicale. Sa durée ne peut dépasser trois mois ; elle est renouvelable. Le suivi de la sortie d'essai est assuré par le secteur psychiatrique compétent. La sortie d'essai, son renouvellement éventuel ou sa cessation sont décidés : 1° Dans le cas d'une hospitalisation sur demande d'un tiers, par un psychiatre de l'établissement d'accueil ; le bulletin de sortie d'essai est mentionné par le directeur de l'établissement et transmis sans délai au représentant de l'Etat dans le département ; le tiers ayant fait la demande d'hospitalisation est informé ; 2° Dans le cas d'une hospitalisation d'office, par le représentant de l'Etat dans le département, sur proposition écrite et motivée d'un psychiatre de l'établissement d'accueil. ;
Considérant que les sorties d'essai prévues par l'article précité sont de nature, le cas échéant, à engager sans faute la responsabilité de l'Etat et de l'établissement d'accueil ; que les requérants font valoir en l'espèce que les sorties d'essai accordées à M. D en 2006 et 2007 ont fait naître chez eux un sentiment d'angoisse lié à la présence supposée de l'assassin de leur fils et frère dans leur voisinage ; qu'ils se prévalent à cet effet de lettres de menaces que leur a adressées M. D ; que ces éléments sont insuffisants pour justifier du caractère anormal et spécial du préjudice allégué, dès lors notamment qu'il résulte de l'instruction que lesdites lettres, dont le caractère particulièrement menaçant n'est pas établi, ont été envoyées depuis l'hôpital et non pas dans le cadre des sorties d'essai, et que les requérants n'ont jamais rencontré M. D lors des sorties d'essai de celui-ci ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions dirigées par les consorts A contre l'Etat et de l'établissement public de santé Maison Blanche en raison des sorties d'essai accordées en 2006 et 2007 à M. D doivent être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : Les conclusions des consorts A dirigées contre l'Etat et l'établissement public de santé Maison Blanche en raison des sorties d'essai accordées en 2006 et 2007 à M. D sont rejetées.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur le surplus de la requête présentée par les consorts A, procédé, par un expert désigné par le président de la Cour, à une expertise en vue de déterminer au vu du dossier médical de M. D si l'état de santé de celui-ci justifiait la levée de l'hospitalisation d'office, le 30 septembre 2002, ainsi que l'absence de mesures d'hospitalisation d'office entre le 30 septembre 2002 et le 20 novembre 2003, et si le suivi médical dont l'intéressé a fait l'objet après le 30 septembre 2002 était adapté à son état.
Article 3 : L'expert aura pour mission : 1°) de se faire communiquer l'entier dossier médical de M. D - notamment l'avis du 18 septembre 2002 émis par le médecin psychiatre traitant, l'avis émis le 26 septembre 2002 par le médecin-conseil de la préfecture de police -, l'arrêté du préfet de police en date du 30 septembre 2002, et le rapport de l'expertise confiée à un collège de trois experts lors de la procédure d'appel contre l'ordonnance de non lieu prononcée par le Tribunal de grande instance de Paris le 8 août 2006 ; 2°) de fournir à la Cour tous éléments lui permettant de se prononcer, sur le bien-fondé, d'une part, de la levée de l'hospitalisation d'office le 30 septembre 2002, d'autre part, de l'abstention du préfet à prendre une nouvelle mesure d'hospitalisation d'office pendant la période du 30 septembre 2002 au 20 novembre 2003, à la suite notamment des diverses interpellations dont M. D a fait l'objet au cours de ladite période ; 3°) de donner toutes précisions utiles sur le diagnostic établi le 18 septembre 2002 par le médecin psychiatre traitant, le choix du traitement et de la méthode de soins sans contrainte, les conditions dans lesquelles M. D a été suivi à partir du 30 septembre 2002 par le centre médico-psychologique de la rue Lafayette à Paris 10ème dépendant de l'EPS Maison Blanche ; d'indiquer notamment l'évolution de l'état de santé de M. D jusqu'en mai 2003, en particulier si la stabilisation escomptée était bien obtenue ; de préciser si l'interruption des soins à l'initiative de l'intéressé a été portée par le centre médico-psychologique à la connaissance de l'EPS Maison Blanche et, dans la négative, si elle aurait dû l'être ; de dire s'il aurait été nécessaire que l'établissement public de santé signale à l'autorité de police cette rupture de la continuité des soins.
Article 4 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Le rapport d'expertise sera déposé au greffe de la Cour dans le délai de trois mois suivant la prestation de serment.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
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N° 10PA01714