Vu, I, sous le n° 03PA1047, la requête enregistrée le 5 mars 2003, présentée pour M. Wladimir X élisant domicile ... par Me Délair ; M. X demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 9711356/6-2 du 14 janvier 2003 par lequel le Tribunal administratif de Paris l'a condamné, conjointement et solidairement avec la société Chantiers modernes, à verser à l'Etat la somme de 1 669 348,53 euros en réparation des désordres affectant le carrelage des cuisines de l'hôpital militaire de Clamart ;
2°) de rejeter la demande présentée par le ministre de la défense devant le Tribunal administratif de Paris ou, à titre subsidiaire, de laisser 80 % de la responsabilité au maître de l'ouvrage et de condamner la société INGEROP à le garantir de toute condamnation et, en cas de nouvelle expertise, d'appeler en la cause le bureau de contrôle Norisko ;
3)° de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
…………………………………………………………………………………………….…………
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 octobre 2006 :
- le rapport de Mme Régnier-Birster, rapporteur,
- les observations de Me Délair pour M. X, de Me Lévy pour la SOCIETE CHANTIERS MODERNES et celles de Me Royet pour le bureau d'études techniques Ingerop ;
- les conclusions de M. Trouilly, commissaire du gouvernement ;
- et connaissance prise de la note en délibéré du 18 octobre 2006, présentée pour la SOCIETE CHANTIERS MODERNES, par Me Lévy ;
Considérant que les requêtes susvisées de M. X et de la SOCIETE CHANTIERS MODERNES sont dirigées contre un même jugement du Tribunal administratif de Paris les condamnant conjointement et solidairement à verser à l'Etat la somme de 1 669 348,53 euros, majorée des intérêts de droit capitalisés, en réparation des désordres affectant le carrelage des cuisines de l'hôpital militaire Percy de Clamart : qu'elles présentent à juger des questions semblables, qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que l'expert, nommée en référé par le vice-président de section du Tribunal administratif de Paris le 5 septembre 1997, a organisé, entre la date de sa nomination et la clôture des opérations d'expertises, 9 réunions contradictoires sur place ; qu'elle s'est heurtée, nonobstant ses demandes réitérées à plusieurs reprises, à de grandes difficultés pour obtenir communication des documents utiles à l'accomplissement de sa mission ; qu'elle a tenu les parties régulièrement au courant de l'avancement de ses travaux et conclusions, notamment par ses notes en date des 31 mars et 13 juin 2000, informant les parties, d'une part, de sa demande au maître de l'ouvrage, de mettre à sa disposition, et à celles de toute partie le souhaitant, les pièces en sa possession, d'autre part, du report au 15 juillet 2000 de la date de clôture des opérations prévue initialement pour le 30 mai 2000 ; qu'elle a pris connaissance et a analysé l'ensemble des courriers ou dires des parties, y compris de ceux parvenus après la clôture des opérations d'expertise et notamment les courriers en date des 20 juillet, 2 octobre et 21 novembre 2000 de M. X qui, s'il soutient que l'expert, aurait omis de joindre à son rapport un dire en date du 17 février 2000, n'établit pas avoir adressé cette pièce ; que, dans ces conditions, ni la circonstance qu'un collaborateur de l'expert se soit déplacé dans les locaux de l'administration pour prendre connaissance des pièces mises à la disposition des parties par le maître de l'ouvrage à la suite de la demande susmentionnée de l'expert, ni celle que l'expert ait refusé, à la suite de la production d'un dernier dire de l'administration en date du 11 juillet 2000 de rouvrir les opérations d'expertise, n'ont porté atteinte au principe du contradictoire et au droit à un procès équitable protégé par l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou à l'obligation pour l'expert d'accomplir personnellement sa mission ; que, par suite, les requérants, qui ne sauraient utilement se plaindre de la lenteur mise par l'expert à rendre son rapport, dans la mesure où cette lenteur leur est pour partie imputable, ne sont pas fondés à soutenir que l'expertise serait entachée de nullité ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : « Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière » ; que pour l'application des dispositions précitées, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge de fond ; que, ni le principe du caractère contradictoire de la procédure posé par l'article L. 5 du code de justice administrative, ni les dispositions contenues dans l'article R. 613-3 du code de justice administrative subordonnant l'adoption de conclusions ou moyens nouveaux présentés avant la clôture de l'instruction à un supplément d'instruction, ne font obstacle à ce qu'une demande de capitalisation des intérêts échus présentée, sur le fondement de l'article 1154 du code Civil, soit accueillie par la juridiction sans qu'un supplément d'instruction soit ordonné ;
Considérant que le nouveau mémoire présenté par le ministre de la défense, enregistré au greffe du Tribunal administratif de Paris le 29 novembre 2002, soit la veille de la clôture de l'instruction prévue par les dispositions de l'article R. 613-2, trois jours francs avant la date de l'audience, ne contenait pas de conclusions et moyens nouveaux autres qu'une demande de capitalisation ; que les premiers juges pouvaient, dès lors, et nonobstant la production de notes en délibéré des défendeurs demandant que ce mémoire soit écarté des débats, faire droit à cette demande sans être tenus de procéder à la réouverture de l'instruction et au renvoi de l'affaire ;
Considérant, en troisième lieu, que M. X avait, dans son premier mémoire en défense devant le Tribunal administratif de Paris, déclaré qu'il entendait, à titre tout à fait subsidiaire, réclamer la garantie du bureau d'études, du bureau de contrôle et des entreprises dont les fautes pourraient être établies par le rapport de l'expert ; qu'il n'a toutefois repris ces conclusions dans ses écritures ultérieures qu'à l'encontre de la SOCIETE CHANTIERS MODERNES et du bureau d'études techniques Ingerop ; que ces conclusions ont été écartées par le jugement attaqué ; qu'il n'est, par suite, pas fondé à soutenir que les premiers juges auraient omis de statuer sur ses appels en garantie ;
Sur la recevabilité des demandes :
Considérant que dans son mémoire introductif d'instance, le ministre de la défense a précisé le fondement contractuel de sa demande ; que la circonstance, qu'à la suite de la remise du rapport de l'expert et des écritures de la défense contestant l'engagement de sa responsabilité contractuelle, il ait également mis en cause la responsabilité décennale des constructeurs, tout en maintenant le premier fondement contractuel de sa demande, ne saurait avoir entaché sa demande d'irrecevabilité ;
Au fond :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la réception des travaux de réfection de l'hôpital militaire Percy a été prononcée à la date du 4 octobre 1995 avec des réserves portant notamment sur la planéité des sols ; que si, par une décision en date du 20 mai 1996, le maître de l'ouvrage a procédé à la levée d'une partie des réserves, il a, par une décision en date du même jour, prolongé le délai de la garantie de parfait achèvement pour les désordres du lot n° 1 ayant fait l'objet de réserves non levées et de procédures judiciaires ; que, par une lettre en date du 18 août 1997, annexée à son mémoire enregistré devant le Tribunal administratif de Paris le 24 novembre 1997, la SOCIETE CHANTIERS MODERNES, attributaire du lot n° 1, a accusé réception de cette prolongation et précisé que les réserves non levées portaient notamment sur le carrelage de la cuisine ; que la circonstance que le maître de l'ouvrage ait pris possession des lieux dès la fin de l'année 1995 ne saurait être utilement invoquée pour faire obstacle à l'engagement de la responsabilité contractuelle des constructeurs ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, qui s'est appuyée sur des analyses de laboratoire confiées au C.E.B.T.P., que les désordres en cause sont principalement imputables à la faiblesse du dosage en ciment du mortier de pose, non conforme aux règles de l'art et induisant une forte porosité d'ensemble faisant obstacle à l'adhérence des carrelages et provoquant décollements et cassures ; que ces désordres ont été aggravés par l'absence d'exécution de forme de pentes et de cunettes au droit des avaloirs faisant obstacle à la bonne évacuation des eaux ; qu'à supposer même que ces formes et cunettes n'aient pas été mentionnées sur les plans d'exécution, que devait réaliser l'architecte, l'entreprise, à l'origine de la variante proposant de remplacer le revêtement souple, prévu à l'origine sur une partie des sols de la cuisine, par du carrelage, ne pouvait en ignorer la nécessité ; qu'en ne relevant pas ces fautes d'exécution en temps utile, l'architecte, chargé d'une mission complète de maîtrise d'oeuvre, a commis une faute dans la surveillance des travaux ; que, contrairement aux allégations des requérants, il n'est pas établi par les pièces du dossier que le sol de la cuisine aurait fait l'objet de nettoyage au karcher avec un produit corrosif aggravant les désordres ; que les fautes commises par l'entreprise et l'architecte respectivement dans l'exécution et la surveillance des travaux ont, l'une et l'autre, concouru à la réalisation de la totalité des désordres ; qu'elles engagent, par suite, la responsabilité contractuelle de la SOCIETE CHANTIERS MODERNES et de M. X qui n'établissent pas, contrairement à leurs allégations, que le maître de l'ouvrage aurait, en tardant à procéder aux réparations nécessaires, contribué à aggraver les dégâts et ainsi commis une faute de nature à les exonérer de leur responsabilité ;
Considérant que les désordres en cause ne sauraient par contre, ainsi que les premiers juges l'ont dit, engager la responsabilité contractuelle du bureau d'études techniques Ingerop, qui n'était pas chargé de la réalisation des plans d'exécution portant sur les sols et qui a signalé, dès le 3 mars 1995, le caractère défectueux de la pose du carrelage ;
Considérant que seule la réfection totale des sols de la cuisine permettra de remédier aux désordres ; que si les requérants contestent la somme de 1 669 348,53 euros allouée par les premiers juges, qui inclut la pose et la dépose des éléments de cuisine et des chambres froides ainsi que les frais d'externalisation de la production des repas pendant la durée des travaux, ils se bornent, d'une part, à faire valoir que des offres moins disantes, ne comportant pas de formes de pente, auraient été présentées au cours des opérations d'expertise, et que les travaux de réfection effectivement réalisés auraient été moins onéreux que l'évaluation faite par l'expert et d'autre part, à demander que la cour surseoit à statuer dans l'attente de la remise du rapport de l'expert nommé par le juge des référés du Tribunal de grande instance de Nanterre et portant sur le litige opposant la SOCIETE CHANTIERS MODERNES à son sous-traitant, la société OFT Entreprises, et à son assureur, la Caisse générale d'assurance mutuelle ; que ce faisant, ils n'établissent toutefois pas le bien-fondé de leurs allégations sur le caractère exagéré de ladite somme ;
Sur les appels en garantie :
Considérant que M. X reprend ses conclusions de première instance tendant à la condamnation du bureau d'études techniques Ingerop, venu aux droits de la société OCCR Inter G, membre du groupement de maîtrise d'oeuvre et lié au maître de l'ouvrage par un contrat de droit public, à le garantir des condamnations prononcées à son encontre en faisant valoir que ce dernier n'aurait pas donné de prescriptions suffisantes pour la réalisation de la cuisine ; que ces conclusions, nonobstant l'existence d'une convention de droit privé entre les membres du groupement de maîtrise d'oeuvre définissant leurs rapports, relèvent de la compétence du juge administratif ; que toutefois la mise hors cause du bureau d'études techniques Ingerop, étranger ainsi qu'il vient d'être dit, aux présents désordres, fait obstacle à ce que ces conclusions puissent être accueillies ;
Sur les conclusions du bureau d'études techniques Ingerop :
Considérant que le bureau d'études techniques Ingerop, mis hors cause par les premiers juges, demande l'annulation du jugement attaqué et le rejet des conclusions présentées par M. X à son encontre ; que ces conclusions, en tant qu'elles ont le caractère d'appel principal, sont irrecevables en l'absence d'intérêt à agir de leur auteur ; qu'elles ne seraient recevables qu'en tant qu'elles auraient le caractère d'appel incident ; que toutefois la confirmation de la mise hors cause du bureau d'études par le présent arrêt rend sans objet les conclusions tendant au rejet des conclusions présentées par M. X à leur encontre ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de prononcer un sursis à statuer, ni d'ordonner une nouvelle expertise, ou la production aux débats de la commande de travaux, qui aurait été passée par l'Etat avec une entreprise pour remédier aux désordres, que ni M. X, ni la SOCIETE CHANTIERS MODERNES, ne sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris les a condamnés à verser à l'Etat la somme de 1 669 348,53 euros majorée des intérêts de droit à compter du 5 octobre 1996 et capitalisés au 29 novembre 2002, plus d'une année étant due à cette date au titre des intérêts, a fait droit, compte tenu des fautes respectives, à leurs appels en garantie réciproques à concurrence de 80 et 20 % et a mis à leur charge les frais d'expertise ;
Sur les conclusions de l'expert Mme Parise ;
Considérant que les conclusions de Mme Parise, nommée en qualité d'expert en référé par le vice-président de section du Tribunal administratif de Paris tendant à la confirmation de l'ordonnance de taxe sont étrangère au présent litige d'appel et sont, par suite, irrecevables ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à M. X et à la SOCIETE CHANTIERS MODERNES les sommes qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu non plus, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de Mme Parise présentées sur le même fondement ; qu'il y a lieu en revanche dans les circonstances de l'espèce, par application des mêmes dispositions, de condamner M. X et la SOCIETE CHANTIERS MODERNES à payer, chacun, d'une part, au bureau d'études techniques Ingerop, d'autre part, à la société Norisko Construction venant aux droits du bureau de contrôle Afitest, une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes de M. X et de la SOCIETE CHANTIERS MODERNES ainsi que les conclusions du bureau d'études techniques Ingerop et de Mme Parise sont rejetées.
Article 2 : M. X et la SOCIETE CHANTIERS MODERNES verseront chacun, d'une part, au bureau d'études techniques Ingerop, d'autre part à la société Norisko, une somme de 1 000 euros à chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
4
Nos 03PA01047 et 03PA01178