Vu le recours, enregistré le 17 octobre 2002, du MINISTRE DE LA JUSTICE ; LE MINISTRE DE LA JUSTICE demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 9810629/7-2 et 9810664/7-2 du 1er juillet 2002 par lequel le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à garantir l'association Montjoie et son assureur la Mutuelle assurances des instituteurs de France de la totalité des sommes mises à leur charge au titre de la réparation du préjudice ayant résulté pour la société Socamaine et son assureur le Gan de l'incendie du 5 août 1989 dans la double limite du préjudice effectivement subi par la société Socamaine et son assureur le Gan d'une part et du montant des demandes préalables présentées le 22 décembre 1997 par l'association Montjoie et son assureur la Mutuelle assurances des instituteurs de France au MINISTRE DE LA JUSTICE ;
2°) d'étendre la mission de l'expert à l'évaluation du montant que la société Socamaine doit supporter du fait qu'elle avait construit un bâtiment ayant une faible résistance au feu ;
3°) de rejeter les demandes présentées par l'association Montjoie et la Mutuelle assurances des instituteurs de France devant le Tribunal administratif de Paris ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 modifiée ;
Vu le code des assurances ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 juin 2005 :
- le rapport de Mme Desticourt, rapporteur,
- les observations de Me X... pour l'association Montjoie et la Mutuelle assurances des instituteurs de France,
- et les conclusions de Mme Adda, commissaire du gouvernement ;
Sur la compétence :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 312-2 du code de justice administrative Lorsqu'il n'a pas été fait application de la procédure de renvoi prévue à l'article R. 351-3 et que le moyen tiré de l'incompétence territoriale du tribunal administratif n'a pas été invoqué par les parties avant la clôture de l'instruction de première instance, ce moyen ne peut plus être ultérieurement soulevé par les parties ou relevé d'office par le juge d'appel ou de cassation ;
Considérant que les conclusions présentées devant le Tribunal administratif de Paris par l'association de Montjoie et la Mutuelle assurances des instituteurs de France tendaient à faire déclarer l'Etat responsable des dommages causés à la société Socamaine par le jeune mineur Tierry X qui, alors qu'il était confié à la garde de cette association, faisait l'objet depuis le 5 juillet 1989 d'une mesure de liberté surveillée prévue à l'ordonnance susvisée du 2 février 1945, sur le fondement du risque spécial créé par l'usage d'une telle méthode de rééducation ; que le lieu du fait générateur du dommage, soit le lieu où était hébergé le mineur, étant compris dans le ressort du Tribunal administratif de Nantes, le Tribuanl administratif de Paris n'était pas compétent pour connaître de ces conclusions ; que toutefois le moyen tiré de l'incompétence territoriale n'a pas été invoqué par les parties avant la clôture de l'instruction de première instance ; que par suite, le MINISTRE DE LA JUSTICE n'est pas recevable à le soulever pour la première fois en appel ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par ordonnance du 18 mai 1989 le Tribunal pour enfants du Mans a placé le jeune Thierry X à l'association Montjoie à compter du 26 avril 1989 en application de l'article 375 du code civil ; que, par une nouvelle ordonnance du 5 juillet 1989, prise en exécution de l'ordonnance susvisée du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquance, le juge pour enfants du Mans a placé ce mineur sous le régime de la liberté surveillée en le confiant à ce titre à l'association Montjoie et a désigné le service d'éducation auprès du tribunal en qualité de délégué ; que le 5 août 1989, Thierry X s'est rendu coupable d'avoir provoqué l'incendie qui a ravagé les entrepôts de la société Socamaine ainsi que l'a reconnu le tribunal pour enfants dans un jugement du 17 juin 1993 ; que, par un arrêt du 22 octobre 1997 devenu définitif, la Cour d'appel d'Angers a reconnu l'association Montjoie civilement responsable du préjudice subi par la société Socamaine ; que, par un arrêt du 19 janvier 1999, la Cour d'appel d'Angers a condamné la Mutuelle assurances des instituteurs de France à réparer le préjudice subi par la société Socamaine et son assureur le Gan à hauteur de 30 000 000 F, limite du plafond de garantie de la Mutuelle assurances des instituteurs de France, et a condamné l'association Montjoie à réparer le préjudice à hauteur d'une somme complémentaire de 7 907 293 F ; que la cour de cassation a cassé cet arrêt en ce que la cour fixait le point de départ des intérêts à la date des quittances subrogatives délivrées par la société Gan à la société Socamaine ;
Considérant que la responsabilité de l'Etat peut être engagée à raison du risque spécial causé aux tiers par le recours par les institutions privées à des méthodes de rééducation fondées sur un régime de liberté surveillée conformément à l'ensemble des prescriptions de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante en tant que ces méthodes s'appliquent à des mineurs délinquants qui ont fait l'objet d'une mesure prévue à ladite ordonnance ; que, si le jeune Thierry X avait été initialement placé à l'institution Montjoie sous le régime de l'article 375 du code civil et faisait ainsi l'objet d'une mesure d'assistance éducative, il avait été placé depuis le 5 juillet 1989 sous le régime de la liberté surveillée en application de l'ordonnance du 2 février 1945 et entrait ainsi dans la catégorie des mineurs délinquants ; que la circonstance qu'il ait continué à bénéficier d'un placement en milieu ouvert sur le fondement de l'article 375 du code civil dont la main levée n'avait pas été ordonnée par le juge des enfants ne faisait pas obstacle à la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat à raison des dommages causés par le mineur délinquant dont l'institution avait également la garde en qualité de personne digne de confiance au sens de l'article 10 de l'ordonnance du 2 février 1945 ; qu'ainsi l'Etat doit être déclaré responsable des dommages causés par le jeune Thierry X ;
Considérant que la responsabilité du service public à raison des dommages causés aux tiers par les enfants confiés aux établissements où les méthodes de rééducation fondées sur un régime de liberté surveillée sont utilisées découle des conditions mêmes dans lesquelles le service fonctionne créant ainsi un risque spécial pour les tiers ; que lorsque la victime a demandé à la juridiction judiciaire l'indemnisation de son préjudice à raison de la responsabilité civile de l'institution d'hébergement résultant des dispositions de l'article 1384 alinéa 1er du code civil, ladite institution est recevable et fondée à demander à l'Etat, par la voie de l'action récursoire, de la garantir des condamnations prononcées à son encontre en tant qu'elle a été mandatée par l'administration qui l'a agréée et à qui elle doit rendre des comptes en application de l'ordonnance du 2 février 1945 ; qu'il appartient au juge administratif de régler la contribution de l'Etat au dommage subi par l'institution privée compte tenu des fautes pouvant éventuellement lui être imputées et du montant du préjudice subi par la victime des agissements du mineur ;
Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 121-12 du code des assurances, la Mutuelles assurances des instituteurs de France, assureur de l'association Montjoie, est doublement subrogée dans les droits de son assurée et dans les droits de l'assureur de la société Socamaine, le Gan, et dispose ainsi de la plénitude des droits et actions que l'assuré qu'il a dédommagé aurait été admis à exercer à l'encontre de toute personne tenue à quelque titre que ce soit de réparer le dommage ayant donné lieu au paiement de l'indemnité d'assurance ;
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et qu'il n'est pas allégué que l'association Montjoie aurait commis des fautes en assurant la garde du jeune Thierry X sous le régime de la liberté surveillée ; que dès lors, celle-ci et son assureur, la Mutuelle assureurs des instituteurs de France, sont fondés à demander la condamnation de l'Etat à leur rembourser les sommes mises à leur charge au titre du préjudice ayant effectivement résulté pour la société Socamaine et son assureur, le Gan, de l'incendie du 5 août 1989 dans la limite de l'évaluation faite par le juge administratif ;
Considérant que, dès lors, le MINISTRE DE LA JUSTICE n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Paris du 1er juillet 2002 ;
Sur les conclusions tendant à l'extension de la mission d'expertise :
Considérant qu'il appartient au juge et non à l'expert d'évaluer la part du préjudice devant rester à la charge de la société Socamaine du fait qu'elle aurait construit un bâtiment ayant une faible résistance au feu ; que les conclusions susvisées du MINISTRE DE LA JUSTICE doivent dès lors être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête du MINISTRE DE LA JUSTICE est rejetée.
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N° 02PA03686