Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger à lui verser la somme de 114 879 euros, assortie des intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison de l'illégalité de la décision mettant fin, de manière anticipée, à son contrat d'expatrié.
Par un jugement n° 2001148 du 6 juin 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 juillet 2024 et 6 mars 2025, Mme B..., représentée par Me Bernot, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 juin 2024 ;
2°) de condamner l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger à lui verser une somme de 114 879 euros, assortie des intérêts au taux légal ;
3°) de mettre à la charge de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger une somme de 4 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- alors que les carences d'ordre technique qui lui sont reprochées ne sont pas matériellement établies et que les graves difficultés relationnelles auxquelles elle a été confrontée ne sont pas imputables à son management, le directeur de l'AEFE a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de l'intérêt du service ;
- la décision de mettre fin de manière anticipée à son détachement procède d'un détournement de pouvoir ;
- cette décision, illégale, lui a causé un préjudice de rémunération qui devra être réparé à hauteur de 76 104 euros ;
- elle lui a également causé un préjudice moral, aggravé par son caractère soudain et l'organisation expéditive de son éviction ainsi qu'un préjudice de réputation qui devront être réparés à hauteur de 25 000 euros ;
- cette décision a occasionné divers autres frais dont la somme s'élève à 13 775 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 février 2025, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, représentée par la société Gury et Maitre, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme B... d'une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bougrine,
- les conclusions de Mme Bailleul, rapporteure publique,
- et les observations de Me Desgrée, substituant Me Bernot et représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., attachée principale de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, a été détachée sur contrat auprès de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) pour occuper, du 1er septembre 2017 au 31 août 2020, les fonctions de directeur administratif et financier au lycée français international de D... (A...). Par une décision du 26 juillet 2019, le directeur de l'AEFE a mis fin, de manière anticipée, à ce contrat, à compter du 31 août 2019. Mme B... relève appel du jugement du 6 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'AEFE à lui verser une somme de 114 879 euros en réparation des préjudices matériels et moraux qu'elle soutient avoir subis en raison de l'illégalité de la décision du 26 juillet 2019.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Mme B... recherche l'engagement de la responsabilité de l'AEFE à raison de l'illégalité entachant, selon elle, la décision du directeur de l'AEFE du 26 juillet 2019 mettant fin, de manière anticipée, à son détachement.
3. En vertu des articles D. 911-42 et D. 911-43 du code de l'éducation, les fonctionnaires placés en position de détachement pour servir dans les établissements situés à l'étranger sont détachés auprès de l'AEFE dans le cadre d'un contrat qui précise notamment la nature de l'emploi, les fonctions exercées et la durée pour laquelle il est conclu. Aux termes de l'article D. 911-52 de ce même code : " Il peut être mis fin de manière anticipée au contrat d'un personnel résident ou expatrié sur décision du directeur de l'agence après consultation des commissions consultatives paritaires compétentes de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. ". L'article 3 de l'arrêté du 27 février 2007 relatif aux commissions consultatives paritaires centrales et locales à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger dispose : " Les commissions consultatives paritaires centrales sont consultées sur : / (...) / -la fin de contrat anticipée des agents contractuels de droit public de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. / (...) ".
4. L'administration qui accueille un fonctionnaire en position de détachement peut à tout moment, dans l'intérêt du service, remettre ce fonctionnaire à la disposition de son corps d'origine en disposant, à cet égard, d'un large pouvoir d'appréciation. Il n'appartient au juge de l'excès de pouvoir de censurer l'appréciation ainsi portée par l'autorité administrative qu'en cas d'erreur manifeste.
5. Il résulte de l'instruction que pour décider de mettre fin au détachement de Mme B..., le directeur de l'AEFE s'est fondé, d'une part, sur les carences de l'intéressée dans la gestion comptable et budgétaire de l'établissement et, d'autre part, sur la perte irrémédiable de confiance de certains des principaux collaborateurs placés sous son autorité.
6. En premier lieu, selon le rapport de la mission diligentée les 26 et 27 juin 2019 et le rapport du chef d'établissement du 8 juillet 2019, sur lesquels le directeur de l'AEFE s'est fondé et qu'aucun élément de l'instruction ne permet de regarder comme empreints de partialité, ont été observés une erreur d'imputation comptable à l'origine de difficultés pour la clôture du compte financier de l'exercice 2017 ainsi qu'un retard de plusieurs mois d'imputation budgétaire de la masse salariale ayant compromis la fiabilité de l'information relative à la consommation des crédits budgétaires. Ces documents soulignent plus généralement des carences en termes de suivi comptable et budgétaire et de contrôle de gestion ainsi qu'une insuffisante information des principaux interlocuteurs de Mme B... préjudiciable à la bonne gouvernance financière de l'établissement, par ailleurs, engagé dans un projet immobilier d'envergure. Alors que la requérante, qui reconnait seulement avoir commis l'erreur d'imputation comptable de la participation forfaitaire complémentaire qui lui est reprochée, conteste le bien-fondé des autres critiques, l'AEFE n'apporte aucune justification ni même précision de nature à contredire l'argumentation de Mme B..., qui a pris son poste au mois de septembre 2017. Il résulte, par ailleurs, de l'instruction, en particulier de l'audit de gestion et de comptabilité mené du 20 au 24 mai 2019 et de l'attestation du 25 juin 2019 de l'agent comptable régional des établissements à autonomie financière du C... et de F..., auteur de cet audit, que Mme B... a, à la suite d'un audit interne des services placés sous sa responsabilité, mis en place des procédures et des outils de travails nouveaux ayant permis non seulement de rationaliser et simplifier les procédures mais également de sécuriser les opérations budgétaires et comptables. La requérante a notamment institué un véritable contrôle interne budgétaire et comptable, jusqu'alors inexistant. Les notables améliorations qu'elle a apportées au service ont d'ailleurs été soulignées dans le rapport de mission du mois de juin 2019. Alors que le statut particulier de l'établissement, impliquant la tenue d'une double comptabilité, française et ..., rend sa gestion particulièrement délicate et que Mme B... n'a pu, ainsi qu'il sera vu au point suivant, compter sur l'investissement professionnel qu'elle était légitime d'attendre de chacun de ses collaborateurs, les conclusions de l'audit mené en 2019, s'agissant de la comptabilité française, saluent les progrès accomplis et ne décèlent pas d'anomalies graves. Dans ces conditions, s'il peut être admis que Mme B... n'est pas parvenue, dans ce contexte difficile, à éviter certaines erreurs ou retards voire à assurer une information financière totalement fiable et complète, le directeur de l'AEFE n'a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, se fonder sur les seules difficultés rencontrées par l'intéressée dans l'accomplissement de ses taches comptables et budgétaires au cours des premiers mois ayant suivi son arrivée pour estimer que l'intérêt du service commandait de mettre fin de manière anticipée à son détachement.
7. Toutefois et en deuxième lieu, il résulte de l'instruction que Mme B... a procédé à plusieurs changements organisationnels au sein de ses services. Outre l'introduction de nouveaux outils et de nouvelles procédures, Mme B... s'est attachée, afin de se concentrer sur ses missions de directrice, à déléguer certaines tâches auparavant accomplies personnellement par ses prédécesseurs. Ces changements et le surcroît de travail qui en a résulté ont suscité des résistances et un sentiment d'insécurité chez certains de ses collaborateurs, en dépit des formations mises en place par la requérante et de la responsabilisation induite par cette redistribution des tâches. Ne parvenant pas à susciter l'adhésion, Mme B... s'est alors heurtée à l'hostilité de ces collaborateurs, cette dernière compromettant la bonne marche du service et le travail d'équipe. Il résulte, il est vrai, de l'instruction que la situation de blocage est en majeure partie due à la défiance voire à la malveillance d'un petit nombre d'agents, d'ailleurs à l'origine de situations conflictuelles antérieures à l'arrivée de Mme B... ou dirigées vers d'autres personnels. Néanmoins, eu égard à l'état irrémédiablement dégradé des relations à la date de la décision en litige, Mme B... n'était en mesure ni de modifier son accompagnement au changement, ni de rétablir un environnement de travail serein. Le rapport de mission mentionné au point précédent, évoque, à cet égard, une " situation inextricable " et un " point de non-retour ". Dans ces conditions, alors même que, d'une part, Mme B..., à laquelle aucune faute n'est reprochée, a fait montre de compétences professionnelles indéniables et que, d'autre part, l'établissement connaît depuis de nombreuses années un climat social structurellement détérioré, en décidant de mettre un terme, de manière anticipée, à son détachement, le directeur de l'AEFE n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de l'intérêt du service.
8. En dernier lieu, Mme B... réitère en appel le moyen soulevé en première instance et tiré du détournement de pouvoir. Il y a lieu de l'écarter par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'AEFE, laquelle n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à Mme B... d'une somme au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de cette dernière une somme que demande l'AEFE au titre des frais de même nature qu'elle a supportés.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'AEFE sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B... et à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président assesseur,
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juillet 2025.
La rapporteure,
K. BOUGRINELe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne à la ministre d'Etat, ministre de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et au ministre de l'Europe et des Affaires étrangères en ce qui les concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT02314