Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 21 avril 2023 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a refusé de lui délivrer un visa en vue de déposer une demande d'asile.
Par un jugement n°2309218 du 19 février 2024, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de rejet du 21 avril 2023 du ministre et a enjoint à ce dernier de faire délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de son jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 mars 2024, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 février 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif par M. B....
Il soutient que :
- le refus de visa litigieux n'est pas entaché d'erreur de droit : la délivrance d'un visa en vue de déposer une demande d'asile en France constitue une simple faculté et non un droit ou une obligation dont le demandeur pourrait se prévaloir ;
- il n'est pas justifié d'une situation de vulnérabilité et de précarité justifiant que soit délivré, par mesure de faveur, le visa sollicité puisqu'il est titulaire d'une " kimlik ", permettant de résider légalement en Turquie ;
- le demandeur, qui présente un risque sécuritaire et qui est dépourvu de lien avec la France, n'établit ni se trouver dans une situation administrative et économique précaire en Turquie puisqu'il occupe un emploi et ne fait pas état de conditions de vie, ni être exposé à un risque d'expulsion vers la Syrie ;
- si le requérant avance qu'il ferait l'objet de menaces de nature politique en Turquie les éléments produits ne sont pas probants ;
- le jugement litigieux ne pouvait fonder l'annulation de la décision litigieuse sur le risque de persécutions en Turquie en raison de l'activité militante du requérant ;
- la demande de visa au titre de l'asile du requérant présente une incompatibilité pour des raisons sécuritaires ;
- il ne produit aucun justificatif en son nom propre attestant de son activité de journaliste ;
- il ne fait pas état du moindre lien avec la France.
- le demandeur a déjà sollicité un visa sous une autre identité et ses déclarations ne sont pas fiables.
Vu les autres pièces du dossier.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 avril 2024.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons,
- et les observations de Me Pavy, substituant Me Pollono, pour M. B....
Une note en délibéré, enregistrée le 7 juillet 2025, a été produite pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant syrien, a sollicité un visa de long séjour au titre de l'asile auprès de l'autorité consulaire française à Istanbul (Turquie), laquelle a rejeté sa demande. Par un jugement du 11 avril 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 15 février 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de procéder au réexamen de la demande de visa présentée par l'intéressé. Par une décision du 21 avril 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a de nouveau rejeté cette demande. Par un jugement du 19 février 2024, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
2. D'une part, aux termes du quatrième alinéa du préambule de la constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère celui de la constitution du 4 octobre 1958 : " Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ". Si le droit constitutionnel d'asile a pour corollaire le droit de solliciter en France la qualité de réfugié, les garanties attachées à ce droit reconnu aux étrangers se trouvant sur le territoire de la République n'emportent pas de droit à la délivrance d'un visa en vue de déposer une demande d'asile en France ou pour y demander le bénéfice de la protection subsidiaire prévue à l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
3. D'autre part, dans les cas où l'administration peut légalement disposer d'un large pouvoir d'appréciation pour prendre une mesure au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit, il est loisible à l'autorité compétente de définir des orientations générales pour l'octroi de ce type de mesures sans que l'intéressé puisse se prévaloir de telles orientations à l'appui d'un recours formé devant le juge administratif.
4. Pour refuser de délivrer le visa sollicité, le ministre de l'intérieur et des outre- mer, s'est fondé sur les motifs tirés de ce que M. B... ne justifie ni d'une précarité économique ni d'une précarité administrative et qu'il aurait témoigné une certaine sympathie à un groupe armé qui aurait formé une alliance avec un groupe salafiste.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a quitté la Syrie en 2019 après avoir été détenu en 2012, 2015 et 2017, dans des prisons où il a fait l'objet d'actes de torture répétés en raison de son activité de media activiste et de son implication dans la dénonciation du régime en Syrie et alors qu'il subissait des menaces de la part d'un groupe armé. Les circonstances, à les supposer établies, qu'il serait titulaire d'une " kimlik " en Turquie et qu'il travaillerait, ne suffisent pas à elle seules à remettre en cause la situation de vulnérabilité dans laquelle il se trouve, alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'il a été arrêté par les autorités turques le 8 décembre 2023 et placé dans un centre de réfugiés en raison, notamment, de son implication, avec d'autres activistes, au sein du groupe de travail " le cri du réfugié ". Ces éléments, bien que postérieurs à la date de la décision attaquée, sont de nature à révéler la situation de fait existante à la date de cette décision, alors en outre que les publications et attestations versées au dossier, ainsi que les informations figurant dans le rapport de l'organisation " HumanRights Watch ", publié le 24 octobre 2022, démontrent que les autorités turques procèdent à des expulsions forcées de ressortissants syriens vers la Syrie. Enfin, si le ministre fait valoir que la délivrance du visa sollicité emporterait un risque sécuritaire, il n'établit pas la réalité du soutien allégué de M. B... à un groupe proche du mouvement salafiste. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande de visa au titre de l'asile du requérant présenterait une incompatibilité pour des raisons sécuritaires. Si l'administration fait valoir que le requérant a présenté un récit confus et contradictoire entre son entretien en 2019 et celui ayant eu lieu en 2022, cet élément n'est pas de nature, à lui seul, à justifier le refus de visa sollicité.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 21 avril 2023 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a refusé de délivrer à M. B... un visa en vue de déposer une demande d'asile.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 juillet 2025.
Le rapporteur,
F. PONSLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°24NT00785