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08/07/2025 | FRANCE | N°24NT01294

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 08 juillet 2025, 24NT01294


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... D... et Mme N'nabintou C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 21 juin 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours dirigé contre les décisions du 20 janvier 2023 de l'autorité consulaire française en Guinée et en Sierra Leone refusant de délivrer à Mme C... et aux enfants A... D... et E... D... des visas de long séjour en qualité de membres de famill

e de réfugié.



Par un jugement n° 2306157 du 25 mars 2024, le tribunal administ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... et Mme N'nabintou C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 21 juin 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours dirigé contre les décisions du 20 janvier 2023 de l'autorité consulaire française en Guinée et en Sierra Leone refusant de délivrer à Mme C... et aux enfants A... D... et E... D... des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié.

Par un jugement n° 2306157 du 25 mars 2024, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 21 juin 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme C... et aux enfants A... D... et E... D... les visas demandés dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 29 avril 2024, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... et Mme C... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- la décision contestée ne méconnaît pas l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que l'identité des demandeurs de visas et leurs liens familiaux avec le réfugié ne sont établis ni par les actes d'état civil produits, ni par des éléments de possession d'état ;

- elle ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. D... et Mme C... au sens des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2024, M. B... D... et Mme N'nabintou C..., représentés par Me Rodrigues Devesas, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités ou, à titre subsidiaire, de réexaminer les demandes, dans un délai d'un mois à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent qu'aucun des moyens soulevés par le ministre n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Ody a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement n° 2306157 du 25 mars 2024, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. D... et Mme C..., la décision du 21 juin 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer à Mme C... et aux enfants A... D... et E... D... des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Pour refuser la délivrance des visas demandés, la commission de recours s'est fondée sur ce que l'identité des demandeurs de visas et leurs liens familiaux avec le réfugié n'étaient pas établis, les actes de naissance produits n'étant pas conformes aux articles 184 et 204 du code civil guinéen.

3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. " Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. " Aux termes de l'article L. 561-5 dudit code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.

4. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Par ailleurs, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

6. Pour justifier de son identité, Mme C... a produit un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance rendu le 20 juillet 2021, par la justice de paix de Boffa ainsi que sa transcription du 17 août 2021 par l'officier d'état civil délégué de la commune urbaine de Boffa et un passeport. Ces documents font état de la naissance de Mme N'nabintou C..., le 11 juin 1992 à Boffa, de M. F... I... C... et Mme G... C.... Pour justifier de l'identité de l'enfant A... D..., ont été produits un jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 2 août 2021 par le tribunal de première instance de Boké ainsi que sa transcription du 17 août 2021 par l'officier d'état civil délégué de la commune urbaine de Boké et un passeport. Ces documents font état de la naissance de l'enfant A... D..., le 1er décembre 2010 à Boké, de M. B... D... et Mme H.... Pour justifier enfin de l'identité de l'enfant E... D..., ont été produits un jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 21 juillet 2021 par le tribunal de première instance de Conakry III-Mafanco ainsi que sa transcription du 23 août 2021 par l'officier d'état civil délégué de la commune de Matoto et un passeport. Ces documents font état de la naissance de l'enfant E... D..., le 23 décembre 2017 à Conakry, de M. B... D... et Mme N'nabintou C.... Toutefois, ces jugements supplétifs qui se bornent à mentionner, sans autres précisions, les noms et prénoms des parents ne comportent pas les mentions suffisantes permettant de déterminer l'identité des personnes qui y figurent. Enfin, les éléments présentés pour établir l'identité et les liens familiaux par la possession d'état, qui consistent essentiellement en des transferts d'argent réalisés entre 2021 et 2022 au bénéfice de Mme C..., ainsi que des relevés de communications et d'échanges électroniques avec cette dernière, ne suffisent pas à établir l'identité des intéressées et les liens familiaux les unissant au réunifiant. Dans ces conditions, en estimant que l'identité des demandeurs de visa et partant leurs liens familiaux avec M. D... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une exacte application des dispositions précitées aux points 3 et 4 du présent arrêt. C'est donc à tort que le tribunal s'est fondé, pour annuler ces décisions, sur l'erreur d'appréciation commise par la commission de recours quant au défaut de caractère probant desdits documents.

7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. D... et Mme C... devant le tribunal administratif de Nantes.

8. Dès lors que l'identité des demandeurs de visas et leurs liens familiaux avec le réunifiant ne sont pas établis, les requérants ne sont pas fondés à invoquer la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. D... et Mme C..., la décision du 21 juin 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer à Mme C... et aux enfants A... D... et E... D... les visas de long séjour sollicités.

10. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction sous astreinte, ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, présentées par M. D... et Mme C..., partie perdante, doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2306157 du 25 mars 2024 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... et Mme C... devant le tribunal administratif de Nantes et leurs conclusions présentées devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B... D... et à Mme N'nabintou C....

Délibéré après l'audience du 19 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juillet 2025.

La rapporteure,

C. ODY

Le président,

S. DEGOMMIER Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT01294


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT01294
Date de la décision : 08/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: Mme Cécile ODY
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : RODRIGUES DEVESAS

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-08;24nt01294 ?
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