Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 27 mai 2024 par lequel le préfet de la Sarthe lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2407966 du 11 juin 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 octobre 2024, M. C..., représenté par Me Lelouey, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 11 juin 2024 du magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler cet arrêté du 27 mai 2024 du préfet de la Sarthe ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français méconnaît les dispositions des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mars 2025, le préfet de la Sarthe demande à la cour de constater qu'il n'y a plus lieu de statuer sur la requête de M. C... et conclut au rejet de la requête.
Il soutient que l'obligation de quitter le territoire français a été exécutée et que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du
4 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Quillévéré a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant marocain né le 11 décembre 1990 à Jnane El Ouard (Maroc), est entré pour la dernière fois en France le 22 septembre 2021 muni d'un visa long séjour " conjoint de français ". Le 15 juillet 2022, il a fait l'objet d'un mandat de dépôt et a été écroué le jour même à la maison d'arrêt de Caen pour des faits de violence aggravée par trois circonstances, suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours commis en récidive, puis il a été transféré le 24 novembre 2022 au centre pénitentiaire du Mans. Par un jugement du tribunal correctionnel de Lisieux du
5 septembre 2023, désormais définitif, M. C... a été condamné à une peine de quatre ans d'emprisonnement dont un an avec sursis probatoire pendant une durée de deux ans, à titre de peine principale, et à une interdiction de séjour dans la ville de Lisieux pendant une durée de cinq ans, à titre de peine complémentaire. Au cours de sa détention, il a présenté une demande de titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-1 et L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui lui a été refusée par un arrêté du 17 avril 2023 du préfet de la Sarthe. Par un arrêté du 27 mai 2024, cette même autorité lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans. Il relève appel du jugement du 11 juin 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. La seule circonstance qu'une décision administrative ait été exécutée ne saurait suffire à priver d'objet le litige tendant à son annulation. L'exception de non-lieu à statuer opposée par le préfet de la Sarthe ne peut, dès lors, être accueillie.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...). ".
4. M. C... a rejoint une première fois le territoire français en septembre 2010, après s'être marié avec une ressortissante française au Maroc au cours de la même année. De cette première union est né le jeune B... le 24 mars 2011 à Falaise (Calvados). Si M. C... a séjourné de façon régulière sur le territoire français jusqu'en septembre 2014 sous couvert d'un titre de séjour portant la mention " conjoint de français ", l'intéressé s'est par la suite séparé de son épouse et sa demande de titre de séjour en qualité de parent d'enfant français lui a été refusée par un arrêté du 24 novembre 2014 du préfet de l'Oise, portant en outre obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, au motif qu'il n'établissait pas avoir contribué à l'entretien et l'éducation du jeune B.... L'intéressé a divorcé de son épouse le 5 février 2016 et finalement regagné le Maroc au cours de l'année 2018. M. C... s'est remarié au Maroc avec une autre ressortissante française le 12 juin 2019 et a regagné le territoire français le 22 septembre 2021 accompagné de son épouse. De cette seconde union sont nées les jeunes A... le 26 décembre 2019 et Nour le 27 octobre 2023 à Lisieux (Calvados).
5. Il ressort des pièces du dossier que pour prendre la mesure d'éloignement contestée, le préfet s'est fondé sur la menace à l'ordre public que représente la présence de M. C... sur le territoire national. Il est constant que M. C... a été définitivement condamné pour des faits de violence aggravée, faits pour lesquels il a été incarcéré. Par ailleurs, il ressort de l'extrait du bulletin n° 2 de son casier judiciaire qu'il a été condamné à plusieurs reprises entre 2016 et 2019, notamment pour des faits de conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique, conduite d'un véhicule malgré une suspension de permis de conduire, violence avec usage ou menace d'une arme et en état d'ivresse manifeste, usage illicite de stupéfiants et violation de domicile. Il est également très défavorablement connu des services de police pour son implication dans divers faits commis entre 2015 et 2018, notamment pour menace de crime ou délit à l'encontre d'une personne dépositaire de l'autorité publique, dégradation ou détérioration d'un bien appartenant à autrui, violence avec usage d'une arme, harcèlement d'une personne ayant été conjoint, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité. Si le requérant justifie d'une présence en France entre 2010 et 2018, il s'est maintenu en situation irrégulière à partir de 2014 sans déférer à la mesure d'éloignement prononcée à son encontre. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. C... est retourné au Maroc entre 2018 et 2021 où il a rencontré sa seconde épouse. Hormis la présence de sa conjointe et de ses enfants, M. C... ne fait état d'aucun membre de sa famille qui serait présent en France, et l'intéressé n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales au Maroc où il a vécu, au plus tard, jusqu'à l'âge de trente-et-un ans. M. C... ne fait état d'aucun obstacle à ce que son épouse, ainsi que ses deux jeunes enfants issus de cette union, puissent l'accompagner au Maroc, pays au demeurant dans lequel leur relation a débuté, où ils se sont mariés et où ils ont séjourné plusieurs années avant de s'établir en France. Par ailleurs, contrairement à ce qu'il fait valoir, M. C... ne justifie pas qu'il entretiendrait encore un quelconque lien avec le jeune B..., aucune pièce du dossier ne permettant d'attester qu'il contribuerait de façon effective à son entretien et son éducation ni qu'il exercerait le droit de visite dont il dispose. En outre, son insertion socio-professionnelle en France, par l'accomplissement de plusieurs missions intérimaires en qualité de manutentionnaire et par un emploi de coiffeur débutant pour la société Ringo Coiffure n'est pas particulièrement significative ou remarquable. Dans ces conditions et compte tenu de ce que la présence de l'intéressé constitue une menace pour l'ordre public, en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet de la Sarthe n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée et n'a pas, par suite, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni commis d'erreur de droit. Pour les mêmes motifs, le préfet de la Sarthe n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M. C....
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants (...) l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
7. Dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Les stipulations précitées sont en particulier applicables aux décisions qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation. Compte tenu de ce qui a été dit au point 5, la décision portant obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas ces stipulations.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
8. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-8 du même code : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".
9. Les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, et de l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet de la Sarthe, invoqués par M. C... au regard de l'intensité de ses liens en France, de l'intérêt supérieur de ses enfants et de ce que son comportement ne constituerait pas une menace pour l'ordre public, doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 4 à 7.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Sarthe.
Délibéré après l'audience du 13 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Quillévéré, président,
- M. Penhoat, premier conseiller,
- M. Viéville, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juillet 2025.
Le président-rapporteur,
G. QUILLÉVÉRÉL'assesseur le plus ancien,
A. PENHOAT
La greffière
A. MARCHAIS
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT02913 2
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