Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2024 par lequel le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé.
Par un jugement n° 2400269 du 3 octobre 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 octobre 2024, M. A..., représenté par Me Cavelier, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 3 octobre 2024 du tribunal administratif de Caen ;
2°) d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2024 du préfet du Calvados ;
3°) d'enjoindre au préfet du Calvados de lui délivrer un titre de séjour ou de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
sur la régularité du jugement attaqué :
- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que le tribunal a soulevé d'office un motif pour confirmer la légalité de l'arrêté litigieux et n'en a pas informé les parties ;
sur la décision portant refus de titre de séjour :
- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors que la décision du 4 janvier 2024 est intervenue après le retrait, par un arrêté du 14 novembre 2023, d'un arrêté identique du 29 août 2023 ; la décision contestée aurait dû être précédée d'une procédure contradictoire ;
- elle est entachée d'une erreur de fait dès lors que les documents d'état civil qu'il produit sont authentiques et permettent de justifier de son identité ;
- il ne peut lui être opposé le fait qu'il ne suivait plus de formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, dès lors que c'est le préfet qui est responsable de cette situation ;
- en lui opposant le fait qu'il est entré en France dans un but économique, le préfet a commis une erreur de droit ;
- la décision attaquée méconnait les dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et apparaît entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 janvier 2025, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. A... n'est fondé et que celui-ci ne remplissait pas toutes les conditions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à la date de la décision contestée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chabernaud,
- et les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen, a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2024 par lequel le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé. Par un jugement du 3 octobre 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. M. A... fait appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'arrêté litigieux du 4 janvier 2024, le préfet du Calvados a rejeté la demande de titre de séjour présentée par M. A... aux motifs, d'une part, que son identité n'était pas établie, d'autre part, que sa demande était fondée sur des " éléments fallacieux " et, enfin, que sa demande était infondée au titre de l'analyse globale portée sur la situation de l'intéressé en application des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Aux termes de ces dispositions : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Par ailleurs, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
5. Afin d'établir son identité, M. A... se prévaut d'un jugement supplétif d'acte de naissance rendu par le tribunal de grande instance de Dixinn (République de Guinée) le 30 juillet 2021 ainsi que de l'acte de naissance dressé en vertu de ce jugement, dont il ressort qu'il est né le 10 juillet 2004. Si le préfet du Calvados soutient que l'un des deux témoins appelés par le tribunal pour rendre son jugement supplétif appartiendrait à la famille de M. A..., il n'est toutefois pas établi, ni même allégué, qu'un tel élément serait de nature à entacher ce jugement d'une fraude. En outre, la seule circonstance que la consultation du fichier Visabio a permis de constater que M. A... avait précédemment sollicité un visa de court séjour, sous une autre identité, pour rejoindre l'Italie ne permet pas de remettre en cause l'authenticité des documents d'état-civil précités. Les informations que ceux-ci comportent sont d'ailleurs corroborées par celles figurant sur la carte d'identité de l'intéressé, son passeport ainsi que les décisions rendues par l'autorité judiciaire prononçant son placement auprès du département du Calvados au titre de l'aide sociale à l'enfance. Dans ces conditions, en refusant de délivrer le titre de séjour litigieux au motif que l'identité de M. A... n'était pas établie, le préfet du Calvados a commis une erreur d'appréciation.
6. D'autre part, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ".
7. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
8. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., ressortissant guinéen né le 10 juillet 2004 et entré en France le 14 juillet 2021, a suivi une formation pour l'obtention du certificat d'aptitude professionnelle (CAP) de maçon, qu'il a obtenu en décembre 2023. Il ressort de ses bulletins des notes et des attestations produites au dossier que M. A... a fait preuve de sérieux, de ponctualité et d'assiduité pendant cette formation mais aussi durant son apprentissage en entreprise qui s'est déroulé de juin 2022 à décembre 2023. Son employeur atteste ainsi qu'il a su se rendre indispensable au bon fonctionnement de l'entreprise, ce qui l'a conduit à lui proposer un contrat à durée indéterminée à temps complet que M. A... a signé le 18 décembre 2023. En outre, la proviseure adjointe de son lycée a indiqué que M. A... parle et écrit parfaitement le français, qu'il était très investi et apprécié par ses camarades pendant sa scolarité et qu'il avait une grande facilité à suivre les apprentissages. Les deux rapports sociaux des 9 juin 2022 et
20 septembre 2023 confirment ces appréciations positives et la très bonne intégration de M. A... dans la structure qui l'a accueilli mais aussi dans la société française. Enfin, en ce qui concerne la nature de ses liens avec sa famille résidant en Guinée, le préfet se borne à invoquer la présence de son père dans ce pays et M. A... soutient sans être sérieusement contesté qu'il n'a plus de relations avec sa famille, de telles relations n'étant d'ailleurs pas évoquées dans les deux rapports sociaux précités. Dans ces conditions, au regard de l'ensemble de ces éléments, M. A... est fondé à soutenir qu'en rejetant sa demande de titre de séjour, le préfet du Calvados a commis une erreur manifeste d'appréciation et méconnu les dispositions précitées de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. Enfin, le troisième et dernier motif opposé par le préfet du Calvados aux termes de l'arrêté contesté, tiré de ce que la demande de M. A... est fondée sur des " éléments fallacieux " et que ce dernier a demandé la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile afin de dissimuler les réelles motivations de son parcours migratoire vers la France, " vraisemblablement à but économique ", n'est pas de nature à fonder légalement la décision de refus de titre de séjour en litige.
10. En conséquence, la décision du 4 janvier 2024 refusant la délivrance d'un titre de séjour à M A... doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du
4 janvier 2024 du préfet du Calvados.
Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :
12. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
13. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet du Calvados de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ". Dès lors, il y a lieu, pour la cour, de prononcer cette injonction, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de munir M. A..., dans cette attente, d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sous réserve d'un changement dans la situation de droit ou de fait de l'intéressé. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à M. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 3 octobre 2024 du tribunal administratif de Caen est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 4 janvier 2024 du préfet du Calvados est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Calvados de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de le munir, dans cette attente, d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sous réserve d'un changement dans la situation de droit ou de fait de l'intéressé.
Article 4 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... A... et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 10 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Derlange, président,
- Mme Picquet, première conseillère,
- M. Chabernaud, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin 2025.
Le rapporteur,
B. CHABERNAUDLe président,
S. DERLANGE
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT03064