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24/06/2025 | FRANCE | N°24NT03040

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 24 juin 2025, 24NT03040


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre les décisions du 17 février 2023 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant aux enfants mineurs E... B... et D... B... la délivrance de visas d'entrée et de long séjour en France demandés au titre de la réunification familiale.





Par un jugement n°2309774 du 27 août 2024, le tribunal administratif de Nantes a ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre les décisions du 17 février 2023 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant aux enfants mineurs E... B... et D... B... la délivrance de visas d'entrée et de long séjour en France demandés au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n°2309774 du 27 août 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 octobre 2024 et le 13 février 2025, Mme A..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de ses enfants mineurs E... B... et D... B..., représentée par Me Le Floch, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 27 août 2024 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours dirigé contre les décisions du 17 février 2023 de l'autorité consulaire française à Abidjan refusant aux enfants mineurs E... B... et D... B... la délivrance de visas d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer les demandes dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de refus d'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la requérante de la même somme en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision de la commission de recours est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il s'en remet à ses écritures de première instance et sollicite le rejet de la requête.

Par une décision du 12 mars 2025, Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pons,

- et les observations de Me Le Floch, représentant la requérante.

Considérant ce qui suit :

1. La jeune F..., ressortissante ivoirienne, vivant en France auprès de sa mère, Mme A..., s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée par une décision du 7 décembre 2020 du directeur général de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Les enfants mineurs E... B... et D... B..., que Mme A... présente comme ses autres enfants, ont sollicité la délivrance de visas d'entrée et de long séjour en France auprès de l'autorité consulaire française à Abidjan, en qualité de membres de la famille d'une réfugiée. Par des décisions du 17 février 2023, cette autorité a refusé de délivrer les visas sollicités. Par une décision implicite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Mme A... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de cette décision. Par un jugement du 27 août 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Mme A... relève appel de ce jugement.

2. En premier lieu, et d'une part, l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; / 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". L'article L. 211-5 du même code dispose que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". Enfin, aux termes de l'article L. 232-4 de ce code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".

3. D'autre part, aux termes de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue du décret du 29 juin 2022 relatif aux modalités de contestation des refus d'autorisations de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France, applicable, en vertu de l'article 3 du même décret, aux demandes ayant donné lieu à une décision diplomatique ou consulaire prise à compter du 1er janvier 2023, dispose : " En l'absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D. 312-3 et D. 312-7 est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. L'administration en informe le demandeur dans l'accusé de réception de son recours. ".

4. Il résulte de ces dispositions que les décisions des autorités consulaires portant refus d'une demande de visa doivent être motivées en vertu des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il en va de même pour les décisions de rejet des recours administratifs préalables obligatoires formés contre ces décisions. Les dispositions de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent que si le recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision de refus d'une demande de visa fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette décision implicite, qui se substitue à la décision initiale, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale. Si la décision consulaire n'est pas motivée, le demandeur qui n'a pas sollicité, sur le fondement de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, la communication des motifs de la décision implicite de rejet prise sur son recours préalable obligatoire, ne peut utilement soutenir devant le juge qu'aurait été méconnue l'obligation de motivation imposée par l'article L. 211-2 du même code. Si la décision consulaire est motivée, l'insuffisance de cette motivation peut être utilement soulevée devant le juge, sans qu'une demande de communication de motifs ait été faite préalablement.

5. Il ressort des pièces du dossier que les décisions du 17 février 2023 par lesquelles l'autorité consulaire française à Abidjan a refusé aux jeunes E... B... et D... B... la délivrance des visas demandés, visent notamment les articles L. 561-2 à L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant. Elles sont motivées par la circonstance que le lien allégué des demandeurs de visas avec la réfugiée ne correspond pas à l'un des cas permettant d'obtenir un visa au titre de la réunification familiale. Dans ces conditions, la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, réputée s'être approprié ces motifs, doit être elle-même regardée comme étant suffisamment motivée en droit comme en fait. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France serait entachée d'une insuffisance de motivation.

6. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la situation des demandeurs de visas n'aurait pas fait l'objet d'un examen particulier. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation des enfants E... B... et D... B... doit être écarté.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. (...) Si le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré, accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective ". Il résulte de ces dispositions que les ascendants directs d'un enfant mineur non marié réfugié en France ou bénéficiaire de la protection subsidiaire peuvent demander à le rejoindre au titre de la réunification familiale. Ces mêmes dispositions prévoient que ces derniers peuvent être accompagnés, le cas échéant, par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective.

9. Il ressort des pièces du dossier que les demandes de visas présentées pour le compte des jeunes E... B... et D... B..., que Mme A... présente comme ses enfants issus d'une autre relation, n'ont pas été introduites afin de permettre, ainsi que le prévoient les dispositions précitées du 3° de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à l'un des parents de la réfugiée mineure F... de rejoindre cette dernière en France. Dès lors, les jeunes E... B... et D... B... n'entrent pas dans le champ d'application de ces dispositions relatives aux conditions d'attribution des visas au titre de la réunification familiale. En outre, il est constant que les jeunes E... B... et D... B... ont toujours vécu en Côte d'Ivoire et qu'ils vivent séparés de leur mère et de leur sœur réfugiée en France depuis 2019. Si Mme A... fait valoir que le père des demandeurs de visa est décédé depuis le 20 mars 2015, il n'est pas établi que les jeunes E... B... et D... B... soient isolés dans leur pays d'origine, alors qu'ils vivent, selon les propres affirmations de la requérante, au côté de leur frère chez une proche de leur mère. Au surplus, Mme A... peut se rendre en Côte d'ivoire où sa vie n'est pas menacée et elle n'est pas davantage empêchée, si elle s'y croit fondée, à introduire une demande de regroupement familial pour ses enfants mineurs. Dans ces conditions, la commission de recours contre les refus de visa n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts poursuivis par la décision contestée et n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. En quatrième et dernier lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

11. Si Mme A... fait valoir que l'intérêt supérieur de ses enfants mineurs est de vivre dans le même pays que leur mère et que leur sœur, il est constant que la décision portant refus de délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France n'a pas pour objet de séparer les enfants E... B... et D... B... de la requérante. Par ailleurs, si Mme A... allègue des craintes tenant au risque d'excision auquel serait exposée l'enfant E... B..., il n'est pas démontré par les pièces du dossier que celle-ci serait exposée à des peines ou traitements inhumains et dégradants. Dans ces conditions, la commission de recours contre les refus de visa n'a pas méconnu les stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué doivent être rejetées. Par voie de conséquence, les conclusions de Mme A... à fin d'injonction doivent être également rejetées ainsi que ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 6 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 juin 2025.

Le rapporteur,

F. PONSLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°24NT03040


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT03040
Date de la décision : 24/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: Mme BAILLEUL
Avocat(s) : LE FLOCH

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-24;24nt03040 ?
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