Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Sous l'instance n° 1904583, Mme E... H..., M. B... C..., Mme G... C..., Mme D... C... et M. A... C... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la communauté d'agglomération Saint-Brieuc Armor Agglomération à leur verser une indemnité d'un montant de 577 343 euros, assortie des intérêts à compter du 12 mai 2019 et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison du décès de M. F... C... survenu le 8 septembre 2016.
Sous l'instance n° 1904585, Mme E... H..., M. B... C..., Mme G... C..., Mme D... C... et M. A... C... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à leur verser une indemnité d'un montant de 577 343 euros, assortie des intérêts à compter du 12 mai 2019 et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison du décès de M. F... C... survenu le 8 septembre 2016.
Sous l'instance n° 1904586, Mme E... H..., M. B... C..., Mme G... C..., Mme D... C... et M. A... C... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la commune d'Hillion à leur verser une indemnité d'un montant de 577 343 euros, assortie des intérêts à compter du 12 mai 2019 et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison du décès de M. F... C... survenu le 8 septembre 2016.
Par un jugement nos 1904583, 1904585 et 1904586 du 25 novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes, après les avoir jointes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 janvier 2023, Mme E... H...,
M. B... C..., Mme G... C..., Mme D... C... et M. A... C..., représentés par Me Lafforgue, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à indemniser les préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison du décès de M. F... C... survenu le 8 septembre 2016 ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser les indemnités suivantes, assorties des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2019 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison du décès de M. F... C... survenu le
8 septembre 2016, à savoir :
- au titre de l'action successorale, une indemnité d'un montant de 100 000 euros,
- au bénéfice de Mme H..., une indemnité d'un montant de 277 343 euros,
- au bénéfice de Mmes G... et D... C... et de M. A... C..., une indemnité d'un montant de 50 000 euros chacun,
- et au bénéfice de M. B... C..., une indemnité d'un montant de 50 000 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'Etat est à l'origine de carences fautives dans la mise en œuvre de son pouvoir d'adopter une règlementation contre le développement des algues vertes et de s'assurer que la réglementation soit respectée ;
- l'Etat a failli à protéger les citoyens contre un risque sérieux et substantiel pour leur santé et leur bien-être ;
- le lien de causalité entre la prolifération des algues vertes, à l'origine d'une pollution à l'hydrogène sulfuré, et le décès de M. C... est suffisamment établi ;
- leurs préjudices doivent être indemnisés par l'Etat, à hauteur de 168 081,52 euros au titre de la perte de revenus de Mme H..., de 9 261,48 euros au titre des frais d'obsèques, de 100 000 euros et 50 000 euros au titre du préjudice d'affection subi respectivement par Mme H..., M. B... C... et chacun des enfants, de 100 000 euros au titre du préjudice moral subi par M. F... C... lui-même lié à l'angoisse d'une mort imminente.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2023, la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Elle soutient qu'aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 75/440/CEE du 16 juin 1975 concernant la qualité requise des eaux superficielles destinées à la production alimentaire dans les Etats membres ;
- la directive 91/676/CEE du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles ;
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ody,
- les conclusions de M. Frank, rapporteur public,
- et les observations de Me Lafforgue, représentant Mme H... et les consorts C....
Une note en délibéré, présentée pour Mme H... et les consorts C..., a été enregistrée le 12 juin 2025.
Considérant ce qui suit :
1. Le 8 septembre 2016, M. F... C..., né le 30 mars 1966, a trouvé la mort alors qu'il pratiquait la course à pied dans l'estuaire du Gouessant, situé sur le territoire de la commune d'Hillion (Côtes-d'Armor), en amont de la plage de Bon Abri et de l'anse de Morieux et en aval du barrage de Pont Rolland. La veuve de M. C..., les enfants du couple et le frère de la victime ont adressé des réclamations préalables indemnitaires au préfet des Côtes-d'Armor, reçue le 12 mai 2019, ainsi qu'à la commune d'Hillion et à la communauté d'agglomération Saint-Brieuc Agglomération, afin d'obtenir réparation des préjudices subis du fait des fautes qu'ils imputent à ces personnes publiques. Par le jugement n°s 1904583, 1904585 et 1904586, le tribunal administratif de Rennes a rejeté les demandes présentées par les proches de M. C... tendant à la condamnation de la communauté d'agglomération Saint-Brieuc Agglomération, de l'Etat et de la commune d'Hillion au versement par chacune de ces personnes publiques de la somme totale de 577 343 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2019 et de la capitalisation des intérêts. Les proches de M. C... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à indemniser les préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison du décès de M. F... C... survenu le 8 septembre 2016 et demandent à la cour de condamner l'Etat à leur verser les indemnités suivantes, d'un montant total de 577 343 euros, assorties des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2019 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation de leurs préjudices, à savoir au titre de l'action successorale, une indemnité d'un montant de 100 000 euros, au bénéfice de Mme H..., une indemnité d'un montant de 277 343 euros, au bénéfice de Mmes G... et D... C... et de M. A... C..., une indemnité d'un montant de 50 000 euros chacun et enfin au bénéfice de M. B... C..., une indemnité d'un montant de 50 000 euros.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne l'existence de fautes commises par l'Etat :
2. En premier lieu, il est constant que les pollutions d'origine agricole des eaux superficielles et souterraines en Bretagne constituent la cause principale de la prolifération des ulves, appelées également algues vertes, sur le littoral breton, notamment dans l'estuaire du Gouessant, sur le territoire de la commune d'Hillion (Côtes-d'Armor).
3. Il résulte de l'instruction qu'ainsi, en particulier, que le juge communautaire l'a jugé par un arrêt rendu par la Cour de justice des communautés européennes le 8 mars 2001, dans l'affaire C-266/99 et par un arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 13 juin 2013, dans l'affaire C-193/12, l'Etat français a méconnu les obligations lui incombant en vertu des directives susvisées du 16 juin 1975 et du 12 décembre 1991, pour ne pas avoir pris les dispositions nécessaires pour que la qualité des eaux superficielles destinées à la production alimentaire soit conforme aux exigences de la première de ces directives, et pour avoir omis, en violation de la seconde, de désigner en tant que zones vulnérables plusieurs zones caractérisées par la présence de masses d'eau affectées, ou risquant de l'être, par des teneurs en nitrates excessives ou un phénomène d'eutrophisation. Comme la Commission européenne l'a estimé dans des avis motivés des 2 avril 2003, 13 juillet 2005 et 26 octobre 2011, les autorités françaises n'ont que tardivement et très partiellement pris les mesures propres à assurer une exécution effective de l'arrêt rendu le 8 mars 2001.
4. Il résulte également de l'instruction, d'une part, que les politiques publiques menées par l'Etat au cours des années 1994 à 2000 n'ont pas respecté les principes définis par le législateur pour préserver la ressource en eau des pollutions diffuses d'origine agricole et, d'autre part, que l'inapplication de la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, de même que la régularisation massive, sans fondement légal, des exploitations agricoles existantes et l'insuffisance des contrôles ont eu pour conséquence la dégradation continue des cours d'eau et des nappes aquifères par l'activité agricole. Dans un rapport du 7 août 2009, le préfet des Côtes d'Armor a constaté que les politiques menées ont " permis au mieux de stabiliser les taux de nitrates présents dans les rivières, sans obtenir de résultats visibles de diminution du phénomène des marées vertes ". La mission interministérielle chargée de proposer un plan de lutte contre les algues vertes a constaté en 2010 la faiblesse et la lenteur des progrès mesurables sur les milieux aquatiques et a conclu à la nécessité de " repenser les politiques publiques antérieurement mises en place " et de mettre en œuvre des méthodes d'actions nouvelles, lesquelles se sont traduites par l'adoption, en février 2010, d'un plan de lutte contre les algues vertes en vue d'améliorer la gestion des algues et d'en prévenir la prolifération en réduisant les flux de nitrates arrivant à l'exutoire des bassins versants, pour la période 2010-2015. Il résulte encore de l'instruction qu'à l'occasion de l'élaboration du 6ème programme d'actions régionale (PAR 6) en 2018, le directeur de l'agence de l'eau Loire-Bretagne, dans son avis du 27 avril 2018, a relevé que " 100 % des surfaces agricoles bretonnes sont toujours classées en " zone vulnérable ", la plupart des masses d'eau souterraines sont en mauvais état pour le paramètre nitrates et que de nombreux territoires sont concernés par des problèmes d'eutrophisation pour les masses d'eau littorales ". De plus, si à l'occasion de l'élaboration du PAR 6, une centaine de communes n'ont plus été classées en " zone d'actions renforcées " (ZAR), dans la mesure où leurs masses d'eau superficielles et souterraines ont retrouvé un bon état écologique, la communauté d'agglomération de Saint-Brieuc Agglomération, à laquelle appartient la commune d'Hillion, est demeurée quant à elle classée en ZAR.
5. Ainsi, les carences de l'Etat dans la mise en œuvre de la réglementation européenne et nationale destinée à protéger les eaux de toute pollution d'origine agricole sont établies. Ces carences sont constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. La circonstance invoquée par le ministre que l'Etat a mis en place, depuis 2003, des programmes successifs d'actions à mettre en œuvre en vue de la protection des eaux contre les nitrates d'origine agricole, dont les résultats, ainsi qu'il a été dit plus haut, se sont révélés insuffisants à la date du décès de M. C..., n'est pas de nature à atténuer cette responsabilité.
6. En second lieu, il résulte de l'instruction que plusieurs cas de décès ou de coma touchant aussi bien des personnes que des animaux ont été identifiés depuis 1989 dans le département des Côtes-d'Armor et notamment dans l'estuaire du Gouessant. Il résulte de l'instruction qu'un travail d'identification des vasières à risque a été initiée par l'Etat dans le département des Côtes-d'Armor sur la base d'informations demandées aux collectivités et collectées à partir de 2011. Les requérants soutiennent qu'en rendant publics les éléments issus de cette étude des vasières à risque, dont celle de l'estran du Gouessant, seulement le 10 septembre 2016, l'Etat n'a pas permis au public d'être suffisamment informé du danger que représente la prolifération des algues vertes sur le littoral. Cependant, il ne résulte pas de l'instruction que cette absence de communication avant le 10 septembre 2016 serait à l'origine d'un défaut d'information du public. A cet égard, il résulte de l'instruction que la presse locale s'est faite l'écho, à plusieurs reprises, des accidents survenus sur le littoral en lien avec les algues vertes et que l'association Sauvegarde du Trégor a adressé dès 2010 de nombreux courriers au préfet des Côtes-d'Armor et aux maires de plusieurs communes littorales pour les alerter de ce danger et demander que des mesures soient prises aussi bien pour contrôler les taux d'hydrogène sulfuré que pour informer les usagers des plages affectées par la pollution. Il ne peut donc être considéré que l'Etat aurait commis une faute dans l'information du public ayant conduit à une méconnaissance par ce dernier du danger que représente la prolifération des algues vertes sur le littoral.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme H... et autres sont seulement fondés à soutenir que la responsabilité de l'Etat est engagée, pour les motifs énoncés aux points 2 à 5, en raison des carences de celui-ci dans la mise en œuvre de la réglementation européenne et nationale destinée à protéger les eaux de toute pollution d'origine agricole.
En ce qui concerne le lien de causalité :
8. Il résulte de l'instruction qu'en dépit de son caractère de pollution diffuse, le phénomène de prolifération des algues vertes, en particulier dans l'estuaire du Gouessant sur le territoire de la commune d'Hillion, dû essentiellement aux excédents de nitrates issus des exploitations agricoles intensives, n'aurait pas revêtu l'ampleur qu'il présentait si l'Etat n'avait pas commis les manquements exposés aux points 2 à 5 ci-dessus et ce, à supposer même que d'autres facteurs, tels que l'ensoleillement et la topographie des côtes, aient pu favoriser l'apparition et le développement de ce phénomène . Dès lors, doit être regardée comme établie l'existence d'un lien direct et certain de cause à effet entre ces manquements et, à cette époque et sur cette plage, la prolifération d'algues vertes.
9. Il résulte également de l'instruction, notamment des procès-verbaux de gendarmerie dressés en septembre 2016, que le 8 septembre 2016, alors qu'il était parti pour un entraînement de course à pied, M. F... C..., âgé alors de cinquante ans, a été retrouvé allongé dans la vase, sans vie, dans l'estuaire du Gouessant, à une cinquantaine de mètres du rivage. Il ressort également de ces procès-verbaux que le visage de M. C... était cyanosé et que la position du corps de la victime lorsqu'il a été découvert permet d'affirmer que le décès est survenu instantanément. Il ressort encore des auditions des pompiers intervenus le jour du décès de
M. C... qu'au moins deux d'entre eux ont ressenti, le lendemain de l'intervention, une importante fatigue, des vertiges et des nausées. Il résulte par ailleurs du rapport de l'autopsie de M. C..., effectuée le 27 septembre 2016 à la demande du procureur de la République du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc et après exhumation, que la victime n'a subi aucune lésion traumatique pouvant évoquer une mort par violence ou l'intervention d'un tiers. L'autopsie n'a pas davantage mis en évidence de lésions cérébrales, cardiaques ou au niveau des gros vaisseaux. L'analyse anatomo-pathologique, produite pour la première fois en appel, effectuée le 7 novembre 2016 a, en revanche, montré l'existence d'importantes lésions au niveau des poumons évoquant une " asphyxie œdémateuse orientant vers une cause centrale (toxique, médicamenteuse...) ". Il résulte dès lors de l'instruction que le décès brutal de M. C... a été causé par une asphyxie rapide liée à un œdème pulmonaire important et d'origine systémique évoquant une intoxication par inhalation d'un gaz dangereux.
10. Il est établi que la putréfaction des algues vertes peut se produire sous le sable ou la vase et en l'absence même d'amas d'algues sur la plage, les sédiments se trouvant alors gorgés de gaz issu du phénomène de décomposition et le gaz s'échappant par bulles au travers du sable, parfois sous la pression d'un pas. La décomposition des algues vertes est à l'origine d'émissions d'hydrogène sulfuré, gaz très toxique dont l'inhalation, à des concentrations importantes, peut avoir des effets mortels Il ressort notamment d'une étude publiée en 2013 dans une revue médicale et relative à l'intoxication au sulfure d'hydrogène sur des plages costarmoricaines, que l'hydrogène sulfuré est un gaz extrêmement toxique bloquant la respiration cellulaire par inhibition du cytochrome oxydase mitochondrial. Cette hypoxie a des conséquences immédiates au niveau du cerveau, du rein et du cœur par action systémique. Par ailleurs, ce gaz présente une action toxique directe au niveau des voies aériennes, et en particulier, pulmonaires (œdème pulmonaire lésionnel). Il est précisé qu'à partir de 250 parties par million (ppm), l'hydrogène sulfuré peut entraîner des risques d'œdème aigu pulmonaire et d'arrêt respiratoire au-delà de 500 ppm par paralysie des centres respiratoires bulbaires et qu'une perte de connaissance brutale avec risque de décès immédiat par arrêt cardiocirculatoire survient pour des concentrations de l'ordre de 1 000 ppm.
11. Il résulte de l'instruction que des mesures du taux de sulfure d'hydrogène ont été réalisées le 26 septembre 2016 sur le lieu de découverte du corps de M. C... et dans des conditions météorologiques et de marées proches de celles du 8 septembre 2016. A cette occasion, le détecteur utilisé possédait un seuil maximal de mesure de 200 ppm et la capacité de mesure de l'appareil a été saturée très rapidement, de sorte que des mesures complémentaires ont dû être programmées au moyen d'un appareil de détection spécifique équipé d'une cellule électrochimique ayant une capacité de mesure allant jusqu'à 1000 ppm. Des analyses chimiques sur le terrain ont ainsi été ordonnées par le procureur de la République du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc. Les formations militaires de la sécurité civile sont intervenues le 13 octobre 2016 au moyen d'un véhicule de détection d'identification et de prélèvement (VDIP). Il ressort du compte-rendu d'intervention qu'à plusieurs reprises, le niveau de saturation du détecteur d'hydrogène sulfuré, à hauteur de 1 000 ppm, a été atteint à proximité du lieu du décès de M. C.... La conclusion de l'analyse mentionne que " les valeurs relevées sur le lieu de la vasière ont été a minima de 1 000 ppm en utilisant un détecteur spécifique de sulfure d'hydrogène étalonné et vérifié dans les règles de l'art. ". Cette analyse a ainsi révélé des concentrations d'hydrogène sulfuré susceptibles de provoquer une intoxication mortelle.
12. L'ensemble des éléments qui précèdent permet de tenir pour établi que le décès de M. C... est survenu en raison d'une intoxication provoquée par de l'hydrogène sulfuré dégagé par la décomposition d'algues vertes présentes dans l'estuaire du Gouessant. Il existe dès lors un lien direct de causalité entre la faute commise par l'Etat, caractérisée aux points 2 à 5, et le décès de M. C....
En ce qui concerne l'existence de causes exonératoires de responsabilité :
13. Il résulte de l'instruction, notamment des nombreux procès-verbaux des auditions de gendarmerie, que M. C..., qui résidait à proximité de l'estran du Gouessant, était très sportif et pratiquait plusieurs fois par semaine la course à pied le long du littoral et sur la plage. Il ressort également des témoignages de ses proches qu'à l'occasion de ses séances de sport, parfois en famille, M. C... n'avait pas pour habitude de traverser la filière du Gouessant dans la mesure où il connaissait les risques d'envasement et d'intoxication à l'hydrogène sulfuré liés à la présence d'algues dans les vasières. Compte tenu de sa connaissance des lieux, en s'engageant sur l'estran, pour traverser la filière du Gouessant, M. C... a fait preuve d'une imprudence de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat. Il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des circonstances de l'espèce en mettant à la charge de l'Etat 60 % des conséquences dommageables du décès de M. C....
En ce qui concerne les préjudices indemnisables :
14. En premier lieu, le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien, compte tenu de ses propres revenus.
15. Il résulte de l'instruction, notamment de l'avis d'imposition de 2016 que le revenu du couple perçu au cours de l'année 2015 était de 61 058 euros. Il convient de déduire de ces revenus du foyer, qui comptait trois enfants, jeunes majeures, à charge, une part de consommation personnelle de M. C... de 20 %. Le foyer pouvait ainsi escompter, après déduction de la part des dépenses propres de M. C..., un revenu annuel moyen de 48 846 euros.
16. Il résulte également de l'instruction que les revenus annuels de Mme H... se sont établis, pour l'année 2016, année du décès de M. C..., à un montant de 29 261 euros, puis pour l'année 2017, à un montant de 31 129 euros, dont 4 557 euros au titre des " pensions, retraites et rentes ". La perte de revenus de Mme H... doit donc être évaluée à 17 717 euros par an pour la période courant du décès de M. C... à la date de notification de l'arrêt de la cour, soit à une somme totale de 157 172 euros.
17. Au titre de la période postérieure à la date de l'arrêt de la cour, compte tenu de l'âge de 59 ans qu'aurait eu M. F... C... à cette date s'il avait survécu à l'accident du 8 septembre 2016, il y a lieu d'appliquer à la somme mentionnée ci-dessus de 17 717 euros le coefficient de capitalisation de 24,296 fixé par les tables publiées par la Gazette du Palais en 2025 et d'évaluer le préjudice économique futur de la requérante à la somme de 430 452 euros.
18. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que le préjudice économique de Mme H... peut être évalué à la somme de 587 624 euros.
19. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment de la facture du 15 septembre 2016 que les frais d'obsèques se sont élevés à la somme de 9 261,48 euros.
20. En troisième lieu, eu égard notamment aux circonstances du décès, survenu brutalement, de M. C..., le préjudice d'affection subi par Mme H... en tant qu'épouse de la victime doit être évalué à la somme de 30 000 euros et celui subi par chacun des trois enfants de la victime, âgés de vingt à vingt-trois ans à la date du décès, évalué à la somme de 25 000 euros. Il résulte également de l'instruction que M. B... C..., frère de la victime, était proche de M. F... C... et que les intéressés pratiquaient régulièrement des activités sportives ensemble et en famille. Il sera dès lors fait une juste appréciation du préjudice d'affection subi par M. B... C... en l'évaluant à la somme de 15 000 euros.
21. En quatrième lieu, le droit à réparation du préjudice résultant de la douleur morale que la victime d'un dommage a éprouvée du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite, constitue un droit entré dans son patrimoine avant son décès qui peut être transmis à ses héritiers.
22. Il résulte cependant de l'instruction, notamment du rapport d'autopsie, des analyses chimiques réalisées sur les lieux de l'accident et de la position du corps de M. C... lorsque celui-ci a été retrouvé que le décès de l'intéressé est survenu instantanément, en raison d'un œdème pulmonaire lésionnel brutal provoquée par une intoxication massive. Par suite, il n'est pas établi que la victime a eu conscience de sa mort imminente. Les souffrances morales ne pourront dès lors pas donner lieu à indemnisation, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'accorder une indemnité à ce titre.
En ce qui concerne les sommes allouées aux requérants au titre de la réparation de leurs préjudices :
23. Compte tenu de la part de responsabilité de l'Etat à hauteur de 60 % retenue au point 13 et eu égard aux évaluations des préjudices mentionnées aux points 15 à 20, en demandant la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 277 343 euros, Mme C... n'a pas fait une évaluation exagérée de ses préjudices et, par ailleurs, il sera accordé à chacun des enfants de M. F... C... la somme de 15 000 euros et à son frère, M. B... C..., la somme de 9 000 euros.
24. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme H... et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à les indemniser de leurs préjudices subis en raison du décès de M. F... C....
Sur les intérêts et la capitalisation :
25. Les sommes que l'Etat est condamné à payer à Mme H... et aux consorts C... seront assorties des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2019, date de réception de leur réclamation préalable par le préfet des Côtes-d'Armor. Ces intérêts seront capitalisés à compter du 12 mai 2020, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés au litige :
26. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement aux requérants de la somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'Etat est condamné à payer à Mme H... la somme de 277 343 euros qu'elle demande, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2019 et de la capitalisation de ses intérêts à compter du 12 mai 2020 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 2 : L'Etat est condamné à payer à Mme G... C..., à Mme D... C... et à M. A... C... la somme de 15 000 euros chacun, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2019 et de la capitalisation de ses intérêts à compter du 12 mai 2020 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : L'Etat est condamné à payer à M. B... C... la somme de 9 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2019 et de la capitalisation des intérêts à compter du 12 mai 2020 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 25 novembre 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1er à 3 ci-dessus.
Article 5 : L'Etat versera à Mme H..., Mme G... C..., Mme D... C..., M. A... C... et M. B... C... une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme H... et autres est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... H..., première dénommée pour l'ensemble des requérants en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Copie en sera adressée pour information au ministre de l'intérieur, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et du préfet des Côtes-d'Armor
Délibéré après l'audience du 5 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 juin 2025.
La rapporteure,
C. ODY
Le président,
S. DEGOMMIER
La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23NT00199