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20/06/2025 | FRANCE | N°24NT02615

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 20 juin 2025, 24NT02615


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 12 juin 2023 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer, en exécution du jugement du 17 avril 2023 de ce tribunal annulant la décision implicite née le 4 juin 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 3 février 2022 des autorités consulaires françaises à Casablanca (Mar

oc) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité d'ascendante à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 12 juin 2023 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer, en exécution du jugement du 17 avril 2023 de ce tribunal annulant la décision implicite née le 4 juin 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 3 février 2022 des autorités consulaires françaises à Casablanca (Maroc) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité d'ascendante à charge d'un ressortissant français, et lui enjoingnant de réexaminer la demande de Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, a expressément refusé de lui délivrer le visa de long séjour sollicité.

Par un jugement n° 2312055 du 15 juillet 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée, le 21 août 2024, Mme A... B..., représentée par Me Jeugue Doungue, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de lui délivrer le visa sollicité dans un délai d'une semaine à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Mme B... soutient que :

- le jugement est irrégulier ; le caractère contradictoire de la procédure n'a pas été respecté ; le tribunal ne lui a pas communiqué les conclusions et pièces produites par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

- en estimant qu'elle n'est pas à la charge de ses enfants français, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision contestée, en ce qu'elle se fonde sur ce que son fils ne dispose ni des ressources nécessaires, ni de conditions de logement satisfaisantes, méconnaît l'autorité de chose jugée par le jugement d'annulation du 17 avril 2023 ;

- de tels motifs sont entachés d'une erreur manifeste d'appréciation ; les ressources de son fils sont suffisantes, ainsi qu'il a été jugé le 17 avril 2023 ; par ailleurs, sa fille s'est engagée à l'héberger dans un appartement de type 4 d'une surface de 86 m² ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur de fait ; elle est isolée au Maroc et y vit en situation de précarité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 février 2025, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le jugement n'est pas irrégulier ;

- le fils de Mme B... ne pourvoit pas de façon régulière aux besoins de cette dernière ;

- Mme B... n'établit pas être dépourvue de ressources ;

- elle n'établit pas être dans une situation d'isolement et de précarité au Maroc ;

- il n'est pas établi que le fils de Mme B... dispose de ressources suffisantes et de conditions de logement satisfaisantes pour la prendre en charge.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 17 avril 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme B..., la décision implicite née le 4 juin 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision du 3 février 2022 des autorités consulaires françaises à Casablanca (Maroc) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité d'ascendante à charge d'un ressortissant français et a enjoint à la commission de réexaminer la demande de la requérante dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Par un jugement du 15 juillet 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation de la décision du 12 juin 2023 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer, après réexamen de la demande de Mme B..., a refusé de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité d'ascendante à charge de ressortissant français. Mme B... relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Lorsqu'elles sont saisies d'une demande tendant à la délivrance d'un visa de long séjour par un ressortissant étranger faisant état de sa qualité d'ascendant à charge de ressortissant français, les autorités consulaires peuvent légalement fonder leur décision de refus sur la circonstance que le demandeur ne saurait être regardé comme étant à la charge de son descendant, dès lors qu'il dispose de ressources propres, que son descendant de nationalité française ne pourvoit pas régulièrement à ses besoins ou qu'il ne justifie pas des ressources nécessaires pour le faire.

3. Pour refuser de délivrer à Mme B... un visa d'entrée et de long séjour en qualité d'ascendante à charge d'un ressortissant français, le ministre de l'intérieur et des outre-mer s'est fondé sur ce que la requérante, qui n'établit pas se trouver en situation d'isolement et de précarité, ne peut être regardée comme étant à la charge de son fils, compte tenu des sommes assez faibles que ce dernier lui a envoyées pendant plusieurs années, du caractère insuffisant de ses ressources et de ce que son fils ne dispose pas de conditions de logement satisfaisantes pour l'accueillir.

4. En premier lieu, il ressort des relevés du compte bancaire de Mme B... pour la période du mois de mars au mois de décembre 2021, ainsi que de ceux de son fils, de nationalité française, que la requérante ne dispose pas d'autres ressources que l'aide financière que lui apporte ce dernier, au moyen de virements bancaires réguliers, qui, en 2021, se sont élevés à un montant total de 11 700 dirhams et, sur la période de douze mois courant de juillet 2022 à juin 2023, ont atteint un montant total de 15 207 dirhams, soit une somme d'environ 1 400 euros, représentant plus de huit fois le salaire mensuel moyen au Maroc. Par ailleurs, le revenu mensuel brut de 3 127 euros hors primes que le fils de Mme B... perçoit au titre de son emploi de consultant sous contrat de travail à durée indéterminée présente un caractère suffisant pour l'accueillir en France. Par suite, et quand bien même ce dernier dispose à Cergy d'un logement de moins de 20 m² occupé en vertu d'un contrat de sous-location, Mme B... doit être regardée comme étant à la charge de son fils, ressortissant français. Aussi, en estimant que la requérante n'était pas à la charge de celui-ci, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme B..., âgée de 67 ans à la date de la décision contestée, est divorcée depuis 2006 et que ses deux enfants vivent en France. Par suite, et dès lors que la requérante ne dispose pas de ressources propres lui permettant de subvenir aux besoins de la vie courante dans des conditions décentes, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, en refusant de lui délivrer le visa de long séjour sollicité au motif qu'il n'était pas établi qu'elle était en situation d'isolement et de précarité, a entaché sa décision d'une erreur de fait.

6. En troisième lieu, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

7. Pour établir que la décision contestée est légale, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, dans son mémoire en défense présenté en première instance et communiqué en appel à Mme B..., invoque un autre motif tiré de ce que cette dernière ne justifie pas de la nécessité de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois. Toutefois, dès lors que Mme B... est à la charge de son fils de nationalité française, elle justifie de la nécessité de séjourner durablement à ses côtés. Par suite, le nouveau motif invoqué par le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas de nature à fonder légalement la décision contestée. La demande de substitution de motifs présentée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne peut donc être accueillie.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à Mme B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

10. Mme B... n'ayant pas sollicité le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat ne peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans ces conditions, les conclusions de la requête tendant à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à Me Jeugue Doungue sur le fondement de ces dispositions doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 15 juillet 2024 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision du 12 juin 2023 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a refusé de délivrer à Mme B... un visa d'entrée et de long séjour en qualité d'ascendant à charge de ressortissant français est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur de délivrer à Mme B... un visa d'entrée et de long séjour en qualité d'ascendante à charge de ressortissant français dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 3 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2025.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFETLa greffière,

M. C...

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT02615


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT02615
Date de la décision : 20/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : JEUGUE DOUNGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-20;24nt02615 ?
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