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06/06/2025 | FRANCE | N°24NT02247

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 06 juin 2025, 24NT02247


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 3 juin 2024 par lequel le préfet du Morbihan lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans.



Par un jugement n° 2403116 du 12 juin 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de M. C....





Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire enregistrés les 17 et 18 juille...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 3 juin 2024 par lequel le préfet du Morbihan lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2403116 du 12 juin 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de M. C....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 17 et 18 juillet 2024, M. A... C..., représenté par Me Chanet, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 12 juin 2024 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

3°) d'annuler l'arrêté du 3 juin 2024 du préfet du Morbihan portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de renvoi et édictant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois années ;

4°) d'enjoindre au préfet du Morbihan de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;

5°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- le jugement attaqué a été pris en violation du principe du contradictoire et méconnaît les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

En ce qui concerne la légalité des décisions contestées :

- elles sont insuffisamment motivées ;

- elles portent une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elles ont été prises en violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire enregistré le 16 avril 2025, le préfet du Morbihan conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués par M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration, notamment son article

L. 211-2 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Par une décision du 11 décembre 2024, la caducité de la demande d'aide juridictionnelle présentée par M. C... a été constatée.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Vergne a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C..., ressortissant turc né en 1998, est entré irrégulièrement en France le 10 octobre 2020. Après le rejet de ses demandes d'asile successivement par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 26 août 2021 et par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 1er juillet 2022, il a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, à laquelle il ne s'est pas conformé. Il a fait l'objet le 5 août 2023 d'une garde à vue pour des violences conjugales et une nouvelle mesure d'éloignement, cette fois sans délai de retour volontaire et assortie d'une interdiction de retour pendant un an, a été prise à son encontre, qu'il n'a pas davantage respectée. Une demande de réexamen de sa demande d'asile formée par l'intéressé le 30 janvier 2024 a été rejetée par l'OFPRA pour irrecevabilité le 26 février 2024. Interpellé le 3 juin 2024 par la gendarmerie et placé en garde à vue pour des faits de harcèlement, de vol et de dégradations commis au préjudice de son ex-concubine et pour faux et usage de faux et fausses déclarations pour obtenir des prestations, M. C... a fait l'objet, le même jour, d'un arrêté par lequel le préfet du Morbihan, sur le fondement de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. M. C... relève appel du jugement du 12 juin 2024 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

3. Il ressort du jugement attaqué qu'il comporte l'ensemble des signatures prévues par les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, aucune disposition n'imposant, par ailleurs, que l'expédition notifiée aux parties comporte ces signatures. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de cet article, et, par suite, de l'irrégularité du jugement attaqué doit donc être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué:

4. En premier lieu, l'arrêté en litige mentionne, pour chacune des décisions qu'il comporte, les considérations de droit et de fait précises et non stéréotypées qui les fondent et qui révèlent que le préfet du Morbihan a procédé à un examen complet de la situation du requérant à partir des documents et éléments d'information dont il disposait. Le moyen tiré du défaut de motivation doit donc être écarté.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que, le 3 juin 2024, M. C... a été entendu en garde à vue et a pu exposer son " problème politique " en Turquie, lié à la " tentative de coup d'Etat en 2015 " par Fethullah Gülen et au fait qu'étant proche de son oncle, lui-même sympathisant de cet opposant, il serait à son tour soupçonné et recherché pour avoir participé à ce mouvement d'opposition. Il a fait état de ses diligences pour obtenir le statut de demandeur d'asile en France, en dernier lieu dans le cadre d'une demande de réexamen présentée à l'OFPRA du fait de nouveaux éléments qu'il souhaitait faire valoir. Il a été entendu sur la non-exécution de l'obligation de quitter le territoire et de l'assignation à résidence prises à son encontre en 2023, et, en réponse à la question visant à connaître ses intentions " si la préfecture envisage un éventuel départ du territoire français ", il a expliqué ne pas pouvoir accepter un retour en Turquie, où sa vie était en danger, et vouloir retrouver l'enfant qu'il aurait eu avec Mme B..., son ex-concubine et qui serait, selon les déclarations de cette dernière, décédé le 2 septembre 2023, évoquant aussi une nouvelle situation de concubinage depuis quelques mois et un projet de mariage. Il a ainsi manifesté son souhait de rester en France et son intention de ne pas regagner son pays. S'il soutient n'avoir pu, dans la situation de contrainte judiciaire qui était la sienne, apporter les éléments de preuve concernant la véracité de ses propos relatifs aux risques qu'il encourrait en cas de retour en Turquie, n'ayant " pas été informé du souhait préalable de l'administration de l'entendre sur ces points ", il n'est, nonobstant le fait que les décisions litigieuses ont été prises et lui ont été notifiées durant sa garde à vue, pas fondé à soutenir que ces décisions ont été prises en violation de son droit à être entendu.

6. En troisième lieu, M. C..., présent en France depuis trois ans et huit mois à la date de l'arrêté litigieux, hébergé chez un oncle et justifiant d'une activité professionnelle irrégulière comme maçon, soutient que le préfet du Morbihan a pris sa décision en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, ce requérant se borne à faire valoir qu'il ne dispose plus d'attaches familiales dans son pays d'origine alors que, lors de son audition, le 3 juin 2024, il a déclaré avoir ses parents, son frère et sa sœur en Turquie, et à exposer sa détermination à retrouver, pour faire valoir son droit de paternité, l'enfant qu'il aurait eu avec Mme B..., sa concubine précédente, qui serait décédé le 2 septembre 2023 mais dont il soutient qu'il est encore vivant et que toute information sur son devenir ou le lieu de sa sépulture lui serait abusivement dissimulée. Compte tenu du caractère récent de son entrée en France et de ses conditions de séjour, M. C..., qui a fait l'objet de trois mesures d'éloignement en trois ans, n'est pas fondé à soutenir qu'en décidant de l'éloigner sans délai vers la Turquie et en lui interdisant le retour pendant une durée de trois ans, le préfet du Morbihan aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

7. En quatrième lieu, M. C..., dont la demande d'asile a été rejetée tant par l'OFPRA que par la CNDA produit, pour établir la réalité des craintes qu'il déclare éprouver en cas de retour en Turquie, plusieurs documents traduits : un décret du président de la Turquie du 1er juillet 2016 portant exclusion de toute fonction publique de certaines personnes supposées être membres, affiliées ou en contact avec des organisations terroristes, parmi lesquelles deux personnes qu'il présente comme son oncle et le frère de son oncle ; un jugement du tribunal pénal de première instance de Gëbze reconnaissant que sa sœur a été victime en décembre 2019 de blessures intentionnelles de la part d'une personne avec laquelle lui-même serait en conflit à la suite d'une bagarre et dont il aurait reçu, après ces violences, des menaces de mort par SMS ; un procès-verbal de perquisition du 5 septembre 2023 chez son propre père, en raison de faits d'aide et d'hébergement de membres de l'organisation terroriste FETO/PDY ; un mandat d'arrestation émis pour ce motif en 2023 à son encontre par la cour criminelle de Kocaeli, portant néanmoins comme date d'infraction " 15.02.2023 et avant ", période au cours de laquelle le requérant se trouvait pourtant en France. Ces éléments, alors que les prétentions de M. C... à se voir reconnaître une protection internationale ont été rejetées à deux reprises par l'OFPRA et la CNDA ne permettent pas d'établir que l'intéressé serait exposé lui-même et actuellement, en cas de retour dans son pays d'origine, à des risques pour sa vie ou sa liberté ou à des traitements inhumains ou dégradants. Le moyen tiré de ce que la décision fixant la Turquie comme pays de destination aurait été prise en violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 1er et 33 de la Convention de Genève de 1951 relative au statut de réfugié et de l'article L. 721- 4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

8. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 juin 2024 par lequel le préfet du Morbihan l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. Ses conclusions à fin d'injonction et celles fondées sur les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées par voie de conséquence.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Morbihan.

Délibéré après l'audience du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Marion, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juin 2025.

Le rapporteur,

G-V. VERGNE

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

Y. MARQUIS

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24NT022472


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT02247
Date de la décision : 06/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : LE MAGUER RINCAZAUX EISENECKER BOHELAY EHRET GUENNEC

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-06;24nt02247 ?
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