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06/06/2025 | FRANCE | N°23NT01034

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 06 juin 2025, 23NT01034


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. P... I... et Mme K... A... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 17 février 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre les décisions du 4 novembre 2021 de l'autorité consulaire française à Rabat (Maroc) refusant des visas d'entrée et de long séjour à Mme C... M... I... et aux jeunes H..., E..., D... et F... au titre de la réunification fami

liale.



Par un jugement n°2206686 du 10 février 2023, le tribunal administratif ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. P... I... et Mme K... A... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 17 février 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre les décisions du 4 novembre 2021 de l'autorité consulaire française à Rabat (Maroc) refusant des visas d'entrée et de long séjour à Mme C... M... I... et aux jeunes H..., E..., D... et F... au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n°2206686 du 10 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 avril 2023, M. P... I..., Mme K... A... B..., Mme C... M... I... et M. H... O... I..., devenu majeur, représentés par Me Vérité, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 17 février 2022 de la commission de recours ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'identité et le lien de filiation de leurs enfants sont établis, à défaut d'actes d'état civil, par différentes pièces justifiant de la possession d'état ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Montes-Derouet,

- et les observations de Me Vérité, représentant M. I... et autres.

Considérant ce qui suit :

1. M. P... I..., ressortissant angolais, né le 8 août 1978 et Mme K... A... B..., sa compagne également ressortissante angolaise, née le 1er janvier 1980, se sont vu reconnaître la qualité de réfugié par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), respectivement, des 8 février et 29 mai 2017 et sont, à ce titre, titulaires de cartes de résident valables, respectivement, jusqu'au 9 mai et 24 septembre 2027. L'autorité consulaire française à Rabat (Maroc) a refusé de délivrer des visas de long séjour au titre de la réunification familiale, à Mme C... M... I..., par une décision implicite, et à M. H... O... I..., aux jeunes D... J... N... I... et E... L... I..., qu'ils présentent comme leurs enfants, ainsi qu'à l'enfant F... I..., leur petit-fils allégué, par des décisions du 4 novembre 2021. Par une décision du 17 février 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visa présentées par M. H... O... I..., les jeunes D... J... N... I... et E... L... I... et l'enfant F... I... et, par une décision implicite née le 28 février 2022, celle de Mme C... M... I.... Par un jugement du 10 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. I..., de Mme A... B... et de Mme C... M... I... tendant à l'annulation de la décision du 17 février 2022 de la commission de recours. M. I..., Mme A... B..., Mme C... M... I... et M. H... O... I... relèvent appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...)/ 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". Aux termes de l'article 311-1 du code civil : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir./ Les principaux de ces faits sont :/ 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ;/ 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; /3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ; /4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ; /5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue ".

3. Les visas sollicités ont été refusés aux motifs, d'une part, que les documents produits à l'appui des demandes de visa ne permettent pas d'établir l'identité et le lien familial des demandeurs de visas à l'égard de la réunifiante, Mme A... B... et, d'autre part, qu'il n'est pas produit de document d'état civil pour l'enfant F... I..., né au Maroc.

4. En premier lieu, les requérants produisent, pour la première fois devant la cour, un extrait d'acte de naissance, certifié conforme au registre de l'état-civil de la commune de Sale, de l'enfant F... I... dressé le 2 décembre 2024 par l'officier d'état-civil de la commune de Sale au Maroc, dont le caractère probant n'est pas contesté par le ministre. Il s'ensuit qu'en opposant l'absence de tout acte d'état-civil établissant l'identité et le lien de filiation de l'enfant F... I... à l'égard de Mme E... L... I..., la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions citées au point 2.

5. En second lieu, il est constant qu'aucun document d'état civil n'a été produit à l'appui des demandes de visa présentées par Mme C... M... I..., M. H... O... I..., Mme E... L... I..., en qualité d'enfants de M. P... I... et de Mme A... B.... Il ressort, toutefois, des pièces du dossier que les requérants ont produit, pour chacun des intéressés, les certificats de baptême dressés le 24 septembre 2013 par le prêtre de la paroisse de Sao Paulo mentionnant leur nom et prénom, date et lieu de naissance et M. P... I... et Mme A... B... comme étant leur père et mère. M. P... I... et Mme A... B... ont déclaré les demandeurs de visa comme étant leurs enfants, ainsi que cela ressort des fiches familiales de référence qu'ils ont respectivement renseignées en mai et octobre 2016 lors de de leur demande d'asile mais aussi, dès 2013 ainsi qu'en atteste, par une lettre du 12 janvier 2023, le Haut-commissariat pour les réfugiés de Rabat, sous la protection duquel M. P... I... et Mme A... B... ont été placés en 2015 avant de rejoindre la France. Il ressort également des pièces du dossier que les demandeurs de visa, qui ont eux-mêmes fui l'Angola après le décès de leur tante paternelle à laquelle ils avaient été confiés, résident au Maroc depuis 2020 sous la protection du Haut-commissariat pour les réfugiés sous la même identité que celle dont ils se sont prévalus lors de leur demande de visa et comme constituant une fratrie. Les éléments d'identité et de lien familial des intéressés présentés lors de ces différentes démarches sont tous concordants. Par ailleurs, M. P... I... et Mme A... B... justifient du soutien financier apporté aux demandeurs de visa, avant même la décision contestée, par la production de mandats financiers et d'un colis, d'un poids conséquent, à l'instar de ceux qui, au surplus, ont été adressés au cours de l'année 2022 postérieurement à la décision contestée. Si ces mandats sont adressés à une amie angolaise de Mme A... B... résidant au Maroc, celle-ci atteste les réceptionner depuis le mois de septembre 2021 pour le compte des demandeurs de visa qui, dépourvus de toute pièce d'identité, ne peuvent les percevoir. Enfin, si les photographies produites qui, représentent la fratrie en 2018 avant leur départ pour le Maroc et en 2022 dans leur lieu de vie au Maroc - ainsi que le précise la légende qui les accompagne - sont peu nombreuses, les requérants expliquent avoir perdu l'ensemble de leurs documents et photographies lors du pillage de leur maison qui a suivi leur fuite de leur village dans des circonstances tenues pour établies par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. L'ensemble de ces éléments est de nature à établir, par possession d'état, le lien de filiation dont les requérants se prévalent.

6. Dans ces conditions, en estimant que l'identité et le lien de filiation entre M. P... I... et Mme A... B... et les demandeurs de visa n'étaient pas établis et en refusant les visas sollicités pour ce motif, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. I... et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés à Mme C... M... I..., à M. H... O... I..., à Mme E... L... I... et à son enfant F... I... et au jeune D... I.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. I... et autres d'une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 10 février 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision du 17 février 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées pour Mme C... M... I..., M. H... O... I..., Mme E... L... I... et son enfant F... I... et le jeune D... I... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme C... M... I..., à M. H... O... I..., à Mme E... L... I... et à son enfant F... I... et au jeune D... I... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. I... et autres une somme globale de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. P... I..., à Mme K... A... B..., à Mme C... M... I..., à M. H... O... I... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 20 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Mas, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juin 2025.

La rapporteure,

I. MONTES-DEROUETLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

M. LE REOUR

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01034


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01034
Date de la décision : 06/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : VERITE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-06;23nt01034 ?
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