Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société NRGIE Conseil a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 18 octobre 2021 par laquelle le directeur départemental de la protection des populations d'Ille-et-Vilaine lui a infligé, pour manquement aux dispositions de l'article L. 223-1 du code la consommation, une amende administrative d'un montant de 65 109 euros et la publication de cette sanction sur le site internet de la préfecture d'Ille-et-Vilaine et sur le site internet, le compte Facebook et le compte Twitter de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), sous un délai d'un mois à compter de sa notification et pour une durée de trois mois, à titre subsidiaire, de réformer la décision contestée en réduisant les sanctions prononcées à son encontre et à titre infiniment subsidiaire, d'annuler la décision en tant qu'elle prévoit sa publication sur le site internet de la préfecture d'Ille-et-Vilaine et sur le site internet, le compte Facebook et le compte Twitter de la DGCCRF sous un délai d'un mois à compter de sa notification et pour une durée de trois mois.
Par un jugement n° 2106470 du 15 mai 2024, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 juillet et 21 novembre 2024, la société NRGIE Conseil, représentée par la société d'avocats Boré, Salve de Bruneton et Mégret, demande à la cour :
1°) en tant que de besoin, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, à titre préjudiciel de la question de savoir si la directive 2005/29/CE, eu égard aux objectifs qu'elle poursuit, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une législation nationale, telle que celle prévue par l'article L. 223-1 du code de la consommation, qui interdit par principe toute prospection commerciale de consommateurs par des professionnels, par voie téléphonique, ayant pour objet la vente d'équipements ou la réalisation de travaux pour des logements en vue de la réalisation d'économies d'énergie ou de la production d'énergies renouvelables, à l'exception des sollicitations intervenant dans le cadre de l'exécution d'un contrat en cours, dès lors que celle-ci n'est pas au nombre de celles limitativement énumérées par son annexe I ;
2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 15 mai 2024 ;
3°) de faire droit à sa demande de première instance présentée devant le tribunal administratif de Rennes ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il n'est pas assorti de visas suffisants et d'une analyse suffisante des écritures des parties ;
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il ne comporte pas les signatures requises à l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- la décision du 18 octobre 2021 n'est pas suffisamment motivée ;
- ne relèvent pas du champ d'application des dispositions de l'article L. 223-1 du code de la consommation, dont la décision litigieuse a pourtant fait application, les appels dont le seul objet est de proposer la réalisation d'un audit énergétique au domicile du consommateur ;
- les dispositions de l'alinéa 3 de l'article L. 223-1 du code de la consommation sont incompatibles avec les objectifs de la directive 2005/29/CE dite " directive sur les pratiques commerciales déloyales " du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur ;
- la sanction prononcée à son encontre est disproportionnée.
Par un mémoire, enregistré le 9 décembre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- aucun des moyens soulevés par la société requérante n'est fondé ;
- l'affaire ne présente aucune difficulté sérieuse d'interprétation et le renvoi d'une question préjudicielle à la CJUE n'est donc pas pertinent.
La clôture de l'instruction est intervenue le 14 janvier 2025.
Un mémoire, enregistré le 18 avril 2025, postérieurement à la clôture de l'instruction, présenté pour la société NRGIE Conseil, par la société d'avocats Boré, Salve de Bruneton et Mégret, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 ;
- la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 ;
- le code de la consommation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- et les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre d'une enquête nationale menée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) portant sur la commercialisation de travaux de rénovation énergétique et le démarchage téléphonique, la société NRGIE Conseil a fait l'objet, le 13 janvier 2021, d'un contrôle des services de la direction départementale de la protection des populations (DDPP) d'Ille-et-Vilaine. Le
18 octobre 2021, à l'issue des investigations menées par ses services, le directeur départemental de la protection des populations d'Ille-et-Vilaine a décidé d'infliger à cette société une amende administrative d'un montant total de 65 109 euros et de procéder à la publication de cette décision sur le site internet de la préfecture ainsi que sur le site internet et sur les comptes Facebook et Twitter de la DGCCRF, sous un délai d'un mois à compter de la notification de la décision de sanction administrative et pour une durée de trois mois. La société NRGIE Conseil a demandé au tribunal administratif de Rennes l'annulation de cette décision. Par un jugement du 15 mai 2024, le tribunal a rejeté sa demande. La société NRGIE Conseil fait appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il n'est pas assorti de visas suffisants et d'une analyse suffisante des écritures des parties est dépourvu des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.
3. En second lieu, la minute du jugement attaqué comporte la signature du président de la formation de jugement, de l'assesseur le plus ancien et de la greffière d'audience. Par suite, elle est régulière au regard des dispositions des articles R. 741-7 et R. 741-8 du code de justice administrative qui prévoient que la minute comporte ces trois signatures en cas de formation collégiale et lorsque l'affaire est au rapport du président. Dès lors, la société NRGIE Conseil n'est pas fondée à soutenir que le jugement est entaché d'une irrégularité sur ce point.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. En premier lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, le moyen tiré de ce que la décision du 18 octobre 2021 n'est pas suffisamment motivée, que la société NRGIE Conseil reprend en appel sans apporter d'éléments nouveaux.
5. En deuxième lieu, aux termes de L. 223-1 du code de la consommation : " (...) Toute prospection commerciale de consommateurs par des professionnels, par voie téléphonique, ayant pour objet la vente d'équipements ou la réalisation de travaux pour des logements en vue de la réalisation d'économies d'énergie ou de la production d'énergies renouvelables est interdite, à l'exception des sollicitations intervenant dans le cadre de l'exécution d'un contrat en cours (...) ".
6. Il résulte de l'instruction que la société NRGIE Conseil a contacté
65 109 consommateurs, dont 2 798 consommateurs inscrits sur la liste d'opposition au démarchage téléphonique " Bloctel ". La société requérante a une activité de " vente d'équipements ou réalisation de travaux pour des logements en vue de la réalisation d'économies d'énergie ". Si elle soutient que les appels passés ne portaient pas sur la commercialisation de travaux et d'équipements liés à la rénovation énergétique des logements mais avaient pour objet la réalisation d'audits énergétiques, il résulte notamment du procès-verbal d'infraction que les quelques renseignements pris, lors du rendez-vous chez le client à la suite de l'appel téléphonique, en vue d'un audit n'ont servi qu'à appuyer l'offre commerciale formulée peu de temps après ce rendez-vous. Par conséquent, les appels téléphoniques en cause ayant la nature d'une prospection commerciale de consommateurs, la société NRGIE Conseil n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 223-1 du code de la consommation ne lui seraient pas applicables.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur : " 1. Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. / 2. Une pratique commerciale est déloyale si : a) elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle, / et / b) elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu'elle touche ou auquel elle s'adresse, ou du membre moyen du groupe lorsqu'une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateurs. (...) ". L'annexe I à cette directive liste les " pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances ". Son paragraphe 26 mentionne, parmi les " pratiques commerciales agressives ", le fait de " se livrer à des sollicitations répétées et non souhaitées par téléphone, télécopieur, courrier électronique ou tout autre outil de communication à distance, sauf si et dans la mesure où la législation nationale l'autorise pour assurer l'exécution d'une obligation contractuelle. (...) ". Le préambule de la directive 2005/29/CE dispose que " (14) (...) La présente directive devrait en particulier s'appliquer sans préjudice de l'article 13, paragraphe 3, de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques. ". Le paragraphe 3 de l'article 13 de la directive 2002/58/CE dispose que : " Les États membres prennent les mesures appropriées pour que, sans frais pour l'abonné, les communications non sollicitées par celui-ci et effectuées à des fins de prospection directe, dans les cas autres que ceux visés aux paragraphes 1 et 2 ne soient pas autorisées, soit sans le consentement des abonnés concernés, soit à l'égard des abonnés qui ne souhaitent pas recevoir ces communications, le choix entre ces deux solutions étant régi par la législation nationale. ". La directive 2005/29/CE dispose, dans son préambule : " (9) Eu égard à leur complexité et aux graves risques qui leur sont propres, les services financiers et les biens immobiliers doivent faire l'objet de prescriptions détaillées, y compris l'instauration d'obligations positives à respecter par les professionnels. C'est la raison pour laquelle, s'agissant des services financiers et des biens immobiliers, la présente directive s'applique sans préjudice de la faculté pour les États membres d'adopter des mesures qui aillent au-delà des dispositions de la présente directive, pour protéger les intérêts économiques des consommateurs. " L'article 3 de cette directive dispose : " 9. Pour ce qui est des "services financiers", au sens de la directive 2002/65/CE, et des biens immobiliers, les États membres peuvent imposer des exigences plus restrictives ou plus rigoureuses que celles prévues par la présente directive dans le domaine dans lequel cette dernière vise au rapprochement des dispositions en vigueur. ".
8. Si les mesures prévues à l'article L. 223-1 du code de la consommation ne sont pas mentionnées dans la liste de l'annexe I de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, elles permettent, en ayant notamment pour objet de protéger la vie privée, de répondre à l'objectif fixé par le paragraphe 3 de l'article 13 de la directive 2002/58/CE concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 ne faisant pas obstacle à l'application de l'article 13, paragraphe 3, de la directive 2002/58/CE. En outre, " la vente d'équipements ou la réalisation de travaux pour des logements " telles que mentionnées à l'article L. 223-1 du code de la consommation peuvent être regardées comme relevant des biens immobiliers par destination, entrant dans l'exception prévue à l'article 3 de la directive 2005/29/CE. Par conséquent, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, dès lors qu'aucune question sérieuse d'interprétation du droit de l'Union ne se pose, le moyen tiré de ce que l'article L. 223-1 du code de la consommation serait incompatible avec la directive 2005/29/CE doit être écarté.
9. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 242-16 du code de la consommation : " Tout manquement aux dispositions des articles L. 223-1 à L. 223-5 est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale. / (...) / Par dérogation au premier alinéa de l'article L. 522-6, la décision prononcée en application du présent article par l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est publiée aux frais de la personne sanctionnée. / L'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut décider de reporter la publication d'une décision, de publier cette dernière sous une forme anonymisée ou de ne pas la publier dans l'une ou l'autre des circonstances suivantes : / 1° Lorsque la publication de la décision est susceptible de causer à la personne en cause un préjudice grave et disproportionné ; / 2° Lorsque la publication serait de nature à perturber gravement le déroulement d'une enquête ou d'un contrôle en cours.".
10. Le montant de l'amende administrative s'apprécie au regard de l'ampleur et de la gravité des manquements commis, comme, aussi, de la situation, notamment financière, de la société concernée. Pour fixer le montant de l'amende administrative contestée et imposer en outre la publication de la sanction prononcée, le directeur de la DDPP d'Ille-et-Vilaine a retenu que 65 109 appels avaient été émis, pour le compte de la société NRGIE Conseil, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 223-1 du code de la consommation. La circonstance alléguée par la société requérante que la grande majorité des appels n'aurait pas abouti est sans influence sur la matérialité des faits de prospection commerciale reprochés. Il en est de même du fait que la société NRGIE Conseil a coopéré avec les services de l'Etat lors et à la suite du contrôle. Sa bonne foi n'est pas établie, pour les motifs indiqués au point 6. Il résulte de l'instruction que le chiffre d'affaires hors taxe de la société requérante en 2021, alors même que le dernier exercice comptable transmis par la société ne porte que sur cinq mois d'activités, est de près de 4 millions d'euros, avec un résultat d'exploitation de 127 589 euros. Dans ces conditions, eu égard à l'ampleur des manquements relevés, le montant de l'amende administrative de 65 109 euros, soit 1 euro par manquement, infligée à la société NRGIE Conseil, ne revêt pas de caractère disproportionné. Il n'y a, par suite, pas lieu d'en modérer le montant. Enfin, en imposant la publication de cette sanction sur le site internet de la préfecture d'Ille-et-Vilaine ainsi que sur le site internet, le compte Facebook et le compte Twitter de la DGCCRF, sous un délai d'un mois et pour une durée de trois mois, le directeur de la DDPP d'Ille-et-Vilaine n'a pas davantage prononcé à l'encontre de la société requérante une sanction disproportionnée.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société NRGIE Conseil n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'annulation ou à titre subsidiaire, de réformation. Ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société NRGIE Conseil est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société NRGIE Conseil et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 13 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juin 2025.
La rapporteure,
P. PICQUET
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT02230