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03/06/2025 | FRANCE | N°24NT01215

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 03 juin 2025, 24NT01215


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le département du Finistère a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 51 265 014,05 euros à parfaire, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, au titre du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'absence de compensation financière des revalorisations successives du revenu de solidarité active (RSA) dont il a la charge, à titre subsidiaire, de désigner un expert pour estimer le montant de son préj

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Par un jugement n° 2103296 du 22 février 2024, le tribunal administrati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département du Finistère a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 51 265 014,05 euros à parfaire, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, au titre du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'absence de compensation financière des revalorisations successives du revenu de solidarité active (RSA) dont il a la charge, à titre subsidiaire, de désigner un expert pour estimer le montant de son préjudice.

Par un jugement n° 2103296 du 22 février 2024, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 avril et 23 octobre 2024, le département du Finistère, représenté par Me Hourcabie, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 22 février 2024 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 51 265 014,05 euros à parfaire, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, au titre du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'absence de compensation financière des revalorisations successives du revenu de solidarité active (RSA) dont il a la charge, à titre subsidiaire, de désigner un expert pour estimer le montant de son préjudice ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'Etat a commis une illégalité fautive en s'abstenant de prévoir, lors de l'adoption des décrets de revalorisation exceptionnelle du montant forfaitaire du RSA, la compensation des charges nouvelles en résultant ; cette compensation devait être versée sur le fondement des articles 72 et 72-2 de la Constitution et des principes de libre administration et d'autonomie financière qui en résultent ; les charges pesant sur les départements au titre de la compétence RSA n'ont eu de cesse de s'alourdir et de compromettre considérablement le ratio d'autonomie financière nécessaire à leur bon fonctionnement ;

- le tribunal administratif a inversé la charge de la preuve ; en effet, celle-ci doit reposer sur l'Etat dès lors qu'il est le seul à disposer des informations relatives aux contributions qu'il verse aux collectivités et, s'agissant du RSA, de la charge que représente ce revenu pour tous les départements ; c'est donc à tort que les premiers juges ont considéré, sans ordonner une mesure d'instruction permettant de disposer de toutes les données financières nécessaires, que le principe de libre administration des collectivités territoriales n'avait pas été méconnu ;

- aucun des dispositifs prévus par la loi de finances pour 2014 n'avait pour objet de financer les revalorisations exceptionnelles du montant forfaitaire du RSA décidées par l'Etat par cinq décrets pris de 2013 à 2017, ainsi que le confirme l'analyse des travaux parlementaires ; la seule circonstance que la loi de finances pour 2020 ait précisé, à posteriori, que les trois ressources mobilisées par les articles 42, 77 et 78 de la loi de finances pour 2014 doivent être considérées comme ayant vocation à financer le reste à charge supporté par les départements au titre des trois allocations individuelles de solidarité démontre que la loi de finances de 2014 ne le précisait pas ; cet article 196 a pour objectif d'éviter que son contentieux mais aussi tous ceux qui pourraient être introduits à postériori conduisent à une condamnation financière de l'Etat, ainsi que cela ressort des travaux parlementaires ; le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 de la Cour européenne des droits de l'homme ainsi que les principes de sécurité juridique et de confiance légitime s'opposent à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice dans le but d'influer sur le dénouement du litige ; l'article 196 de cette loi de finances pour 2020 ne permet pas d'estimer que cette loi a un caractère interprétatif et ne peut être justifié par d'impérieux motifs d'intérêt général et doit donc être écarté ; le jugement attaqué est insuffisamment motivé sur ce point ;

- l'Etat n'a pas établi l'affectation des fonds issus des dispositifs de compensation financière résultant des articles 42, 77 et 78 de la loi de finances pour 2014 ; seul l'Etat dispose de données chiffrées permettant d'établir avec précision le montant des charges non compensées nées des revalorisations exceptionnelles du RSA, après effet de l'article 196 de la loi de finances pour 2020 ;

- l'Etat aurait dû édicter les arrêtés de fixation des charges impliqués par chacun des décrets de revalorisation exceptionnelle du RSA dans les six mois de l'édiction de ces décrets en application des articles L. 1614-2, L. 1614-3 et L. 1614-5-1 du code général des collectivités territoriales ;

- l'Etat a engagé sa responsabilité dès lors qu'il n'a pas tenu ses engagements ou les promesses qu'il a faites ;

- l'Etat a commis une illégalité fautive en refusant d'exécuter l'injonction ordonnée par un jugement du tribunal administratif de Paris du 30 juin 2020 ; l'arrêté du 2 décembre 2020 pris pour exécution de ce jugement ne permet pas de connaître, pour chaque année, les charges effectivement transférées du 30 août 2013 au 1er septembre 2018.

Par des mémoires enregistrés les 29 juillet et 25 octobre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 ;

- la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 ;

- le décret n° 2013-793 du 30 août 2013 ;

- le décret n° 2014-1127 du 3 octobre 2014 ;

- le décret n° 2015-1231 du 6 octobre 2015 ;

- le décret n° 2016-1276 du 29 septembre 2016 ;

- le décret n° 2017-739 du 4 mai 2017 ;

- l'arrêté du 2 décembre 2020 fixant le montant des accroissements de charges résultant pour les départements des revalorisations exceptionnelles du RSA ;

- la décision n° 2019-796 DC du 27 décembre 2019 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Chabernaud,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gouard, substituant Me Hourcabie, représentant le département du Finistère.

Considérant ce qui suit :

1. Suite au rejet de sa réclamation préalable adressée le 5 mars 2021, le département du Finistère a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 51 265 014,05 euros à parfaire, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, au titre du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'absence de compensation financière des revalorisations successives du revenu de solidarité active (RSA) dont il a la charge, à titre subsidiaire, de désigner un expert pour estimer le montant de son préjudice. Par un jugement du 22 février 2024, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa requête. Le département du Finistère fait appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. Il résulte des termes mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Nantes, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments présentés par les parties, a indiqué de façon circonstanciée aux paragraphes 8 et 9 de ce jugement les motifs de droit et de fait qui l'ont conduit à écarter, d'une part, le moyen tiré de ce que l'Etat n'était pas fondé à invoquer les dispositions de l'article 196 de la loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 pour démontrer que les dépenses exposées en application des revalorisations exceptionnelles du montant forfaitaire de l'allocation de RSA avaient été compensées et, d'autre part, le moyen tiré de ce que l'Etat aurait dû édicter un arrêté spécifique de fixation des charges pour chacun des décrets de revalorisation exceptionnelle du RSA dans un délai de six mois après leur édiction. Dans ces conditions, le département du Finistère n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier car insuffisamment motivé sur ces différents points.

4. En deuxième lieu, eu égard à l'office du juge d'appel, qui est appelé à statuer, d'une part, sur la régularité de la décision des premiers juges et, d'autre part, sur le litige qui a été porté devant eux, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif de Nantes aurait inversé la charge de la preuve en ne la faisant pas reposer sur l'Etat est inopérant.

5. En dernier lieu, le tribunal administratif de Nantes, dès lors qu'il s'estimait suffisamment informé en l'état du dossier pour trancher le litige, n'était pas tenu d'ordonner l'expertise que sollicitait à titre subsidiaire le département du Finistère.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

6. En vertu de l'article 72 de la Constitution de 1958, les collectivités territoriales s'administrent librement. Aux termes de l'article 72-2 de la Constitution : " Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi. (...) Tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi. (...) ".

7. En premier lieu, dans le cadre de la mise en œuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, annoncé le 21 janvier 2013 par le Premier ministre, qui prévoyait une revalorisation exceptionnelle de 10% du revenu de solidarité active (RSA) en

5 ans, le Gouvernement a procédé, par les décrets des 30 août 2013, 3 octobre 2014, 6 octobre 2015, 29 septembre 2016 et 4 mai 2017, à des revalorisations successives exceptionnelles de 2% par an du montant forfaitaire du RSA. Si le département du Finistère soutient avoir subi un préjudice financier à raison du défaut de compensation des mesures de revalorisation exceptionnelle du montant forfaitaire du RSA mises en œuvre par ces décrets, les mesures en cause ne constituent toutefois pas des créations ou extensions de compétences au sens de l'article 72-2 de la Constitution. Dès lors, le département n'est pas fondé à soutenir que l'Etat aurait commis une faute en ne respectant pas l'obligation de compensation prévue par cet article.

8. En deuxième lieu, le département du Finistère soutient que les revalorisations exceptionnelles du RSA décidées par l'Etat auraient contribué à dégrader le dispositif de financement de cette allocation dont il a la charge mais aussi sa situation financière globale. Toutefois, il produit sur ce point des éléments d'ordre général, tel qu'un rapport de la Cour des Comptes. Par ailleurs, s'il se prévaut également de ratios financiers qui le concernent spécifiquement, ces derniers ne sont cependant pas justifiés par la production de pièces probantes et n'établissent pas, en tout état de cause, que les revalorisations litigieuses adoptées par l'Etat auraient eu un effet tel sur le plan financier que le principe de libre administration des collectivités territoriales défini par l'article 72 de la Constitution aurait été dénaturé. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'instruction sur ce point, le moyen doit être écarté.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1614-1 du code général des collectivités territoriales : " Tout accroissement net de charges résultant des transferts de compétences effectués entre l'Etat et les collectivités territoriales est accompagné du transfert concomitant par l'Etat aux collectivités territoriales ou à leurs groupements des ressources nécessaires à l'exercice normal de ces compétences. (...) Elles assurent la compensation intégrale des charges transférées ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 1614-2 du même code : " Toute charge nouvelle incombant aux collectivités territoriales du fait de la modification par l'Etat, par voie réglementaire, des règles relatives à l'exercice des compétences transférées est compensée dans les conditions prévues à l'article L. 1614-1. Toutefois, cette compensation n'intervient que pour la partie de la charge qui n'est pas déjà compensée par l'accroissement de la dotation générale de décentralisation mentionnée à l'article L. 1614-4 ". Aux termes de l'article L. 1614-3 du même code : " Le montant des dépenses résultant des accroissements et diminutions de charges est constaté pour chaque collectivité par arrêté conjoint du ministre chargé de l'intérieur et du ministre chargé du budget, après avis de la commission consultative sur l'évaluation des charges du Comité des finances locales, dans les conditions définies à l'article L. 1211-4-1 ". Enfin, aux termes de l'article L. 1614-5-1 du même code : " L'arrêté conjoint du ministre de l'Intérieur et du ministre chargé du budget constatant soit des accroissements ou diminutions de charges en application des dispositions de l'article L. 1614-3, (...) intervient dans les six mois de la publication des dispositions législatives ou réglementaires auxquelles il se rapporte ". Il résulte de ces dispositions que le montant des accroissements ou diminutions de charges résultant de chaque modification par voie réglementaire des compétences transférées aux collectivités territoriales doit être constaté par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé du budget, pris après avis de la commission consultative de l'évaluation des charges du Comité des finances locales, dans les six mois suivant la publication des dispositions modificatives.

10. Par un jugement du 30 juin 2020, devenu définitif, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions implicites par lesquelles les ministres compétents ont rejeté les demandes des départements du Calvados, de la Manche et de l'Orne tendant à ce que soient édictés les arrêtés prévus par l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales et a enjoint au ministre de l'intérieur et au ministre de l'action et des comptes publics de prendre, dans un délai de six mois, un arrêté conjoint constatant le montant des dépenses nouvelles résultant des cinq décrets de 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017. Par un arrêté du 2 décembre 2020, les ministres compétents ont fixé, après avis du 21 octobre 2020 de la commission consultative sur l'évaluation des charges (CCEC) du Comité des finances locales, pour chaque département, dont celui du Finistère, et collectivité à statut particulier exerçant les compétences habituellement dévolues au département, le coût annuel de ces revalorisations à compter du 1er septembre 2018.

11. Pour adopter l'arrêté du 2 décembre 2020, les ministres compétents ont retenu une méthodologie d'évaluation des accroissements de charges consistant à calculer isolément l'accroissement résultant de l'intervention de chacun des cinq décrets puis à agréger ces montants afin de procéder à une évaluation globale du coût de la réforme. Cet arrêté a ainsi fixé, pour l'ensemble des départements et collectivités compétents, le montant annuel des accroissements de charges résultant, à compter du 1er septembre 2018, du cumul des revalorisations exceptionnelles du RSA intervenues entre 2013 et 2017. En se bornant à mentionner ce montant global des accroissements de charges tel qu'il résulte de l'ensemble des modifications sans préciser, de manière distincte et dans les délais impartis, le montant résultant de chacune des revalorisations intervenues entre le 1er septembre 2013 et le 31 août 2018, les ministres signataires de l'arrêté ont méconnu les dispositions mentionnées au point 9 ci-dessus.

12. Toutefois, il ne résulte pas de ces mêmes dispositions que l'arrêté constatant les accroissements de charges aurait pour objet de décider du versement effectif par l'Etat des sommes qu'il mentionne. Il s'ensuit que les éventuelles fautes commises dans l'adoption de cet arrêté ne sauraient, en tout état de cause, être à l'origine du préjudice invoqué par le département du Finistère, consistant en l'absence de compensation de ces accroissements de charges. Dès lors, le département n'établit pas de lien de causalité direct et certain entre le préjudice financier qu'il invoque et la carence de l'Etat à prendre l'arrêté dans les conditions prescrites.

13. En dernier lieu, aux termes de l'article 196 de la loi de finances pour 2020 : " I. - Les ressources attribuées aux départements en application du dispositif de compensation péréquée et du fonds de solidarité en faveur des départements prévus, respectivement, aux articles L. 3334-16-3 et L. 3335-3 du code général des collectivités territoriales ainsi que les recettes résultant du relèvement, au-delà de 3,8 %, du taux de la taxe de publicité foncière ou du droit d'enregistrement intervenu en application du second alinéa de l'article 1594 D du code général des impôts assurent, pour chaque département, la compensation des dépenses exposées au titre des revalorisations exceptionnelles du montant forfaitaire de l'allocation prévue aux articles L. 262-2 et L. 262-3 du code de l'action sociale et des familles, résultant des décrets n° 2013-793 du 30 août 2013, n° 2014-1127 du 3 octobre 2014, n° 2015-1231 du 6 octobre 2015, n° 2016-1276 du 29 septembre 2016 et n° 2017-739 du 4 mai 2017 portant revalorisation du montant forfaitaire du revenu de solidarité active. / (...) III. - Les ressources issues, du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2019, du dispositif de compensation péréquée et du fonds de solidarité en faveur des départements mentionnés au I, ainsi que celles que les départements pouvaient tirer du relèvement, au-delà de 3,8 %, du taux de la taxe de publicité foncière ou du droit d'enregistrement, ont eu pour objet la compensation des dépenses qu'ils ont exposées, du 1er septembre 2013 au 31 août 2019, en application des revalorisations exceptionnelles du montant forfaitaire de l'allocation prévue aux articles L. 262-2 et L. 262-3 du code de l'action sociale et des familles, résultant des décrets mentionnés au I du présent article ".

14. D'une part, il résulte de ces dispositions que les dispositifs de compensation prévus par les articles 42, 77 et 78 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 relatifs, respectivement, au dispositif de compensation péréquée, à la faculté de porter de 3,8 à 4,5% le taux plafond des droits de mutation à titre onéreux et au fonds de solidarité en faveur des départements, doivent être regardés comme assurant la compensation des charges qui ont résulté à compter du 1er septembre 2013, pour les départements, des revalorisations exceptionnelles du montant forfaitaire du RSA. Si le département du Finistère soutient que l'intention du législateur, lors de la création de ces dispositifs par la loi de finances initiale pour 2014, n'était pas de compenser spécifiquement ces charges et que la portée rétroactive du III de l'article 196 de la loi de finances initiale pour 2020 méconnaît les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, il résulte en tout état de cause des motifs de la décision n° 2019-796 DC du 27 décembre 2019 du Conseil constitutionnel, qui a déclaré les dispositions du III de l'article 196 conformes à la Constitution, que ces dispositions ont seulement un caractère interprétatif et se bornent à confirmer l'objet que le législateur a entendu donner dès l'origine aux dispositifs en cause. Dans ces conditions, pour déterminer si l'Etat a respecté ses obligations de compensation des charges résultant des cinq décrets de revalorisation exceptionnelle, il convient de comparer les accroissements résultant de ces revalorisations et les ressources tirées de ces dispositifs de compensation.

15. D'autre part, il résulte de l'instruction que, pour le département du Finistère, le montant de ces ressources nouvelles excède, pour les années concernées, celui du surcoût des mesures de revalorisation exceptionnelle. En effet, le ministre de l'intérieur fait valoir, sans être sérieusement contesté, que les charges résultant des cinq décrets de revalorisation exceptionnelle précités représentent entre le 1er septembre 2013 et le 31 août 2019 un montant d'environ

49 millions d'euros pour le département du Finistère et que ses ressources nouvelles tirées des dispositifs de compensation sont d'environ 54 millions d'euros au titre du dispositif de compensation péréquée (DCP) et d'environ 79 millions d'euros au titre du relèvement de 3,8 à 4,5% du taux des droits de mutation à titre onéreux. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de désigner un expert pour évaluer le préjudice invoqué par le département, l'Etat n'a méconnu aucune des obligations de compensation qui s'imposent à lui et n'a pas davantage, en tout état de cause, méconnu son propre engagement de procéder à la compensation.

16. Il résulte de tout ce qui précède que le département du Finistère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa requête. Par voie des conséquences, ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du département du Finistère est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au département du Finistère et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Couvert-Castéra, président de la cour,

- M. Derlange, président-assesseur,

- M. Chabernaud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juin 2025.

Le rapporteur,

B. CHABERNAUDLe président,

O. COUVERT-CASTÉRA

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne, et à tous commissaire de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT01215


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT01215
Date de la décision : 03/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. COUVERT-CASTERA
Rapporteur ?: M. Benjamin CHABERNAUD
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : HOURCABIE

Origine de la décision
Date de l'import : 06/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-03;24nt01215 ?
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