Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision née le 14 juin 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre les décisions des autorités consulaires françaises à Pointe-Noire (République du Congo) refusant de délivrer à Mme B... E... A... épouse C..., son épouse alléguée et à l'enfant Eliph Blessing C... qu'il présente comme sa fille mineure, des visas d'entrée et de long séjour en France au titre du regroupement familial.
Par un jugement n° 2309974 du 14 juin 2024, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer à Mme C... ainsi qu'à l'enfant Eliph Blessing C... les visas de long séjour sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er août 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... C... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visas d'entrée en France n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- l'acte de naissance produit pour l'enfant Eliph Blessing C... est frauduleux dès lors que les résultats de la levée d'acte effectuée auprès de l'officier d'état civil de la mairie de Pointe-Noire ont permis d'établir que cet acte de naissance était inexistant ;
- l'acte de mariage de M. C... et de Mme A... épouse C... est irrégulier dès lors qu'il ne comporte ni la signature des époux, ni la signature des témoins ;
- la décision contestée ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle ne méconnaît pas les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
M. C..., à qui la requête a été communiquée, n'a pas produit d'observations en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... C..., ressortissant burundais, a obtenu le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse et de sa fille alléguée, Mme B... E... A... et l'enfant Eliph Blessing C..., par une décision du 9 août 2021 du préfet du Rhône. Mme A... épouse C... et l'enfant Eliph Blessing C..., ressortissantes de la République du Congo, ont déposé des demandes de visa d'entrée et de long séjour au titre du regroupement familial auprès de l'autorité consulaire française à Pointe-Noire (République du Congo). Ces demandes ont été rejetées par deux décisions du 14 mars 2023. Par une décision née le 14 juin 2023, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre les décisions consulaires. Par un jugement du 17 juin 2024, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. C..., cette décision de la commission de recours, a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.
2. Lorsque la venue d'une personne en France a été autorisée au titre du regroupement familial, l'autorité administrative n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de caractère probant des documents destinés à établir l'identité des demandeurs de visas et les liens familiaux avec la personne ayant sollicité le bénéfice du regroupement familial.
3. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Il résulte des dispositions de l'article 47 du code civil que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient aux juges administratifs de former leur conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, les juges doivent, en conséquence, se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui leur est soumis.
4. Aux termes des dispositions de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " En l'absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D. 312-3 et D. 312-7 est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. L'administration en informe le demandeur dans l'accusé de réception de son recours ". Il ressort des dispositions précitées que la décision en litige doit être regardée comme étant fondée sur le même motif que les décisions consulaires auxquelles elle s'est substituée, tiré de ce que les documents d'état civil présentés par les demandeuses de visas en vue d'établir leur état civil comportent des éléments permettant de conclure qu'ils ne sont pas authentiques.
5. Pour justifier de l'identité de Mme A... épouse C... ainsi que du lien marital les unissant, M. C... a produit un volet n° 1 d'acte de naissance n° 73, établi le 21 mars 1995 par le centre d'état civil principal de la commune de Mossendjo (République du Congo), ainsi qu'un acte de mariage n° 217, dressé le 23 août 2019 par le centre d'état civil principal de la commune de Pointe-Noire, ces documents faisant état de ce que Mme C... est née le 14 mars 1995 et a épousé M. C... le 23 août 2019. Il ressort des pièces du dossier que l'anomalie, que comportait l'acte de mariage sur le prénom de Mme A... épouse C..., a fait l'objet d'une rectification d'erreur matérielle par une décision rendue le 3 janvier 2022 par le procureur de la République de Pointe-Noire. Enfin, si l'extrait d'acte de mariage et la copie intégrale de l'acte de mariage produits par le requérant ne comportent aucune signature des intéressés, tel n'est pas le cas, contrairement à ce que soutient le ministre, de l'original de cet acte de mariage, également produit par M. C..., qui est revêtu de la signature des époux ainsi que de leurs témoins. Dans ces conditions, le lien matrimonial de M. C... et de Mme A... est établi. Par suite, en refusant de délivrer le visa sollicité par Mme A... au motif que ce lien n'était pas établi, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées.
6. Pour justifier de l'identité et du lien de filiation de l'enfant Eliph Blessing C... à l'égard de M. C..., celui-ci a produit un acte de naissance n° 7412 dressé le 28 septembre 2020 par le centre d'état civil de la commune de Pointe-Noire. Si le ministre se prévaut de ce qu'en réponse à une procédure de levée d'acte, les autorités congolaises chargées de l'état-civil ont indiqué que cet acte était inexistant, il ressort toutefois des pièces que cette absence d'acte a été relevée dans le registre d'état civil du 4ème arrondissement Loandjili de la commune, alors que le certificat de naissance produit a été établi par le centre principal du service d'état civil communal. Dans ces conditions, l'identité et le lien de filiation de l'enfant Eliph Blessing C... à l'égard de M. C... doivent être regardés comme établis. Par suite, en refusant de délivrer le visa sollicité pour l'enfant Eliph Blessing C... au motif que ce lien n'était pas établi, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite née le 14 juin 2023 de la commission de recours et lui a enjoint de délivrer à Mme A... et à l'enfant Eliph Blessing C... les visas sollicités dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. D... C....
Délibéré après l'audience du 6 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2025.
La rapporteure,
I. MONTES-DEROUETLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
A. MARCHAND
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT02435